Le lancement de l’appel pour l’annulation de la dette publique africaine est un événement majeur

Allocution de Gustave Massiah, représentant du CRID au Conseil International du Forum Social Mondial, dans le cadre de la cérémonie de lancement de l’Appel pour l’annulation de la dette africaine dans le cadre de la Covid-19, qui avait lieu ce 23 juin 2020 à Dakar.

Le lancement de l’appel pour l’annulation de la dette publique africaine est un événement majeur et je suis heureux d’y apporter le salut de nombreux mouvements qui participent au Forum Social Mondial.

Cet appel répond à un double défi : le défi du vieux monde qui est toujours là et le défi de la rupture ouverte par la crise pandémique. La dette est un nœud, un des nœuds qui fait tenir le vieux monde. Celui qui résiste à la décolonisation, qui maintient la dépendance et qui renforce les discriminations.

En 1955, le programme de la décolonisation était défini, à Bandoeng : l’indépendance des états, la libération des nations, la révolution des peuples. La première phase de la décolonisation a été atteinte, celle de l’indépendance des Etats dont on a pu mesurer les limites. La deuxième phase de la décolonisation ne fait que commencer.

En 1973 et 1977, les non-alignés s’affirment et la crise de l’augmentation des prix du pétrole marque leur irruption sur la scène mondiale. La réponse est donnée dès 1975 par le G5 qui deviendra le G7 : endettez-les ! Endettez-les et ligotez-les !

Le néolibéralisme est la réponse à la décolonisation et aux luttes sociales qui se développent y compris dans les pays du Nord. La dette et l’ajustement structurel vont s’opposer à l’indépendance des États et empêcher l’évolution vers la libération des peuples. L’altermondialisme est le mouvement antisystémique du néolibéralisme. Il commence dès le début des années 1980, dans les pays du Sud, en Afrique, en Asie, en Amérique latine dans les mouvements cotre la dette et contre les PAS.

En 1989, après la chute du mur de Berlin, le capitalisme néolibéral complète le FMI et la Banque Mondiale avec l’OMC (l’Organisation mondiale du Commerce). La dette est toujours l’arme première du capitalisme néolibéral. Le mouvement altermondialiste répond par des manifestations internationales autour du mot d’ordre : le droit international ne doit pas être subordonné aux droits aux affaires.

Le recours au droit international pour traiter de la dette est mis en avant dans la session, sur le FMI et la Banque Mondiale, du Tribunal permanent des Peuples, à Berlin en 1988. Et dans les manifestations à Madrid et Washington, en 1994, pour les 50 ans de Bretton Woods.

Après Jubilée 2000, la Banque Mondiale prétend se rallier à la réduction de la pauvreté et prétend consulter la « société civile ». Au Cameroun, elle publie un rapport affirmant que 90 % de la société civile a été consultée et a donné son accord. Paul Samangassou, directeur de Caritas Cameroun publie un communiqué en expliquant que Caritas n’a jamais été consultée et ne fait donc peut-être pas partie de la société civile. Le rapport est retiré !

En 1989, à Paris, le mot d’ordre était : dette, colonies, apartheid, ça suffat comme ci ! Il reste actuel. Dette, c’est notamment la création du CADTM et le mot d’ordre d’annulation des dettes illégitimes et odieuses. Colonies, c’est le refus de la remise en cause de la décolonisation et la prise de conscience de l’actualité de la continuité entre l’esclavage et la colonisation. Apartheid, c’est la relation entre les inégalités et les discriminations, c’est le mouvement antiraciste magnifiquement mis en avant par le refus des assassinats de George Floyd, d’Adama Traoré et de tant d’autres. Cette liaison entre l’esclavage, la colonisation et la dette est illustrée par la dette de Haïti que la France a imposé pour
payer les indemnités versées aux esclavagistes après la libération de Haïti et que la France a encaissé, sans vergogne, de 1825 jusqu’en 1950.

Le mot d’ordre d’annulation de la dette publique africaine va encore plus loin. La pandémie et le climat démontrent que l’écologie remet en cause toutes les prétendues certitudes du FMI et de la Banque Mondiale sur le développement dont la dette est le verrou.

Dans la période qui s’ouvre, les contradictions vont s’approfondir. Nous serons confrontés à une tentative de reprise en main par une stratégie du choc et c’est sur le front de la dette pour imposer les politiques d’austérité que la bataille sera la plus dure. La crise financière de 2008 a montré comment la dette publique a servi à sauver les banques et a été remboursée par les politiques austéritaires qui combinent l’austérité à l’autoritarisme et aux guerres. Mais dans les résistances à la stratégie du choc, la bataille pour l’hégémonie culturelle est engagée. L’idée de la primauté des droits et de l’égalité des droits s’impose et devient une évidence ; droit à la santé, droit au revenu et au travail, droit à l’éducation…

L’égalité des droits, le refus des discriminations et le respect des libertés individuelles et
collectives fondent les mobilisations. La crise pandémique a clairement montré la perte de résilience des empires états-unien et européen. Le système international doit être réinventé. C’est dans cette perspective que se situe la campagne pour l’annulation de la dette publique africaine.

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Gustave Massiah
Gustave Massiah est un militant et intellectuel français, figure de proue de l'atlermondialisme, fervent défenseur de l'écologie et de la justice sociale. Sur le plan des droits humain, il intervient surtout dans les domaines de la solidarité internationale. Il a participé à la création du CEDETIM, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale, de IPAM, Initiatives pour un autre monde, et du CICP, Centre international des cultures populaires qui est une maison d’associations qui regroupe 85 associations de solidarité internationale. Il a soutenu, dès les années 1950, les luttes de libération au Vietnam, en Algérie, en Afrique du Sud, dans les colonies portugaises. Il a été secrétaire général des comités Chili. président du Centre de recherche et d'information sur le développement (CRID) de 2002 à 2009 et vice-président d’Attac de 2001 à 2006. Membre du Conseil international du Forum Social Mondial depuis 2000, secrétaire général de la Ligue Internationale pour les droits et la Libération des Peuples, membre du Tribunal Permanent des Peuples ; rapporteur à la session sur la dette à Berlin en 1988, membre du jury au Mexique sur les assassinats de journalistes, en 2012 ; membre du jury du Tribunal Russell sur la Palestine de 2010 à 2013, à Barcelone, Londres, Le Cap, New York et Bruxelles.

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