Niger :  la population prise entre l’armée et Boko Haram

 

Moussa Tchangari & Ibrahim Diori, Alternatives Espace Citoyen, Juillet 2019[1]

 

La région de Diffa dans l’est du Niger est l’une des plus sinistrées du pays depuis l’éclatement en février 2015 de l’insurrection armée de Boko Haram et l’instauration des mesures d’état d’urgence. Cette région des confins du lac Tchad, frontalière des États fédérés nigérians de Borno et Yobé, subit de plein fouet les conséquences de cette insurrection armée ; elle traverse aujourd’hui une situation socioéconomique particulièrement difficile et compte le plus grand nombre de réfugiés et déplacés internes dans le pays.  L’association Alternative Espace Citoyen vient de réaliser une enquête dans cette région tourmentée.

La direction régionale de l’état civil (DREC) a recensé au 30 juin 2019 quelques de 248 887 personnes vivant hors de leur résidence habituelle, dont 104 288 déplacés internes, 118 868 réfugiés venus essentiellement du Nigeria voisin et 25 731 retournés. La plupart de ces personnes dépendent, en partie, de l’aide internationale apportée par une multitude d’organisations humanitaires présentes sur le terrain. Selon le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies au Niger (OCHA), la situation humanitaire s’annonce difficile dans la région de Diffa pour l’année 2019. L’organisme onusien estime que, sur une population totale d’environ 738 000 habitants vivant dans cette région, « près de 461 323 personnes auront besoin d’une assistance humanitaire.

Près de quatre années après l’instauration de l’état d’urgence, les populations civiles de la région de Diffa continuent de vivre dans la psychose. L’insécurité persiste toujours dans la plupart des départements, avec son lot de personnes tuées, blessées ou enlevées et de destruction de biens matériels. Selon l’enquête réalisée par l’Association Alternative Espaces Citoyens, les principaux protagonistes du conflit armé en cours dans la région de Diffa, à savoir le groupe Boko Haram et les forces régulières nigériennes,  ne respectent pas des normes du droit international humanitaire. Les insurgés de Boko Haram sont largement perçus par les populations locales comme des « criminels sans foi ni loi », mais, il importe de souligner que cette attitude de défiance est aussi perceptible, même si c’est à un degré moindre, à l’endroit des forces régulières nigériennes.

La population prise entre deux feux

Entre février 2015 et décembre 2018, plusieurs cas de violations commises par des éléments des forces régulières ont été signalés, mais, ils sont restés largement peu connus du public, suggérant que la présence massive d’acteurs humanitaires sur un terrain de conflit armé, si elle est bien utile pour couvrir les besoins de base des populations civiles, peut se révéler d’une efficacité très limitée en matière de protection et défense de leurs droits. Le « mutisme » des acteurs humanitaires, qu’ils soient internationaux ou nationaux, n’est cependant pas le principal facteur favorisant les violations des droits humains. Le nombre particulièrement élevé des violations découle, en grande partie, de la défaillance du système judiciaire nigérien. L’écrasante majorité des personnes interrogées estiment qu’il n’est pas possible de « formuler des recours devant la justice et d’avoir gain de cause contre les abus et violations des droits de l’Homme commis par les agents de l’État ou des éléments de Boko Haram.

Les mesures d’état d’urgence, en vigueur depuis le 10 février 2015, ont non seulement provoqué un désastre économique et social, mais aussi ouvert la voie à des violations graves des droits humains.  Après plus de trois ans de mise en œuvre de la stratégie « du tout sécuritaire », les résultats sont plus que mitigés en matière de sécurité mais aucun infléchissement conséquent n’est observable sur le terrain, hormis la modeste initiative de réinsertion des « repentis » de Boko Haram.

La lutte citoyenne

Avec Alternatives, les citoyens documentent cette situation et font pression sur les autorités tout en informant les agences humanitaires. Les principales revendications sont les suivantes :

  • Lever immédiatement toutes les mesures d’exception ayant une incidence grave sur la situation socioéconomique des populations, en particulier celles relatives à l’interdiction de la pêche, du commerce du poisson et du poivron et l’interdiction de la tenue de certains marchés hebdomadaires.
  • Respecter et faire respecter les droits humains et le droit international humanitaire par rapport aux personnes arrêtées et détenues. Les autorités doivent conduire des enquêtes sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire afin d’engager des actions administratives et judiciaires contre les auteurs, co-auteurs et complices; elles doivent également protéger et faciliter les actions des acteurs humanitaires et des défenseurs des droits humains, y compris devant la justice.
  • Apporter une assistance alimentaire et mettre en place des programmes de soutien aux populations de la région, en particulier les personnes déplacées et les réfugiés, qui sont aujourd’hui dans une situation de précarité extrême.
  • Porter une attention particulière à la question de l’éducation et de l’emploi des jeunes ainsi qu’ aux questions de développement socioéconomique des régions affectées par les conflits armés. Les enquêtes ont démontré que la montée de l’extrémisme violent est indissociable de la question de l’éducation et de l’insertion socioéconomique des jeunes.
  • Renforcer les capacités des citoyens, des organisations de la société civile et des médias locaux en matière notamment des droits humains, d’éducation à la citoyenneté et à la culture de la paix, de prévention et gestion des conflits.

[1] La page facebook de l’association : https://www.facebook.com/AECNiger/

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