Par Jean Sovon pour Global Voices

Cette dynamique a été mise à rude épreuve avec l’éclatement d’un conflit entre Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdane Daglo, alias « Hemedti », exacerbant les tensions au sein de l’armée. Ces leaders, qui s’étaient alliés pour détourner le pouvoir des civils, se sont retrouvés en opposition, provoquant une fracture profonde et leurs factions respectives se sont engagées dans une lutte pour le pouvoir.

L’alliance éphémère entre les leaders militaires s’est effritée sous la pression des aspirations grandissantes de Hemedti. Armé de son influence sur les Forces de soutien rapide (FSR), le groupe paramilitaire sous son commandement, il a lancé des assauts contre plusieurs entités gouvernementales.

L’escalade de violence qui a suivi porte en elle des ramifications qui dépassent les combattants : on observe des impacts dévastateurs sur les populations civiles, qui sont prises dans les affrontements. Récemment, Human Rights Watch et Amnesty International ont publié des rapports détaillés qui mettent en lumière les tragédies vécues par les civils.

Violences et crimes de guerre contre les civils

La population civile estimée à plus de 48 millions d’habitants est la grande perdante car elle est prise pour cible par les deux camps. Des violences et tueries commises sur la population ont été documentées par des organisations internationales, dont Amnesty International.

Dans son rapport dénommé “ La mort a frappé à notre porte »: Crimes de guerre et souffrances des populations civiles au Soudan”, publié le 3 août 2023, l’organisation pointe du doigt la responsabilité des deux groupes dans des “attaques délibérées ou menées sans discrimination” qui ont causé la mort des milliers de personnes ainsi que des blessées. Un extrait du rapport indique que:

Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont pris entre deux feux et les combattants des deux parties, qui utilisent souvent des armes inadaptées et des munitions explosives à large rayon d’impact, se positionnent souvent dans des zones résidentielles densément peuplées, d’où ils lancent des attaques. Les pillages et saccages de biens publics et privés, dont des infrastructures médicales et humanitaires, auxquels se livrent les parties au conflit exacerbent la situation humanitaire déjà catastrophique. Plus de 2,6 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et plus de 750 000 ont fui dans les pays voisins.

Cette guerre à caractère d’un conflit armé non international selon la convention de Genève devrait épargner la vie des populations civiles, mais ce n’est pas le cas. Elles subissent des violences de tout genre. Des violences sexuelles et viols collectifs ont été commis sur des femmes et jeunes filles. Une victime dans la localité d’El Geneina (ville situé au sud-est du pays frontalière avec le Tchad) témoigne dans le rapport d’Amnesty International:

On n’est nulle part en sécurité à El Geneina. Je suis sortie de chez moi parce qu’il y avait partout des coups de feu […] et ces criminels m’ont violée. Maintenant je crains d’être enceinte […] Je ne pourrais pas le supporter.

Des groupes armés sèment la panique et la mort dans plusieurs localités. Des exécutions sommaires ont lieu dans des écoles où certains habitants se sont réfugiés. Une autre organisation internationale, Human Rights Watch donne dans son rapport plus de détails sur les violences perpétrées par les groupes armés. Ledit rapport présente des témoignages poignants de survivants des fusillades et de victimes de violations des droits humains.

Exode massif

Les atrocités engendrées par ce conflit ont déjà causé le départ des milliers de Soudanais. Les pays voisins servent de pays d’accueil pour les civils, dont beaucoup se réfugient au Tchad. A la date du 10 septembre 2023, selon les chiffres de l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR), ce pays accueillait plus de 400 000 réfugiés soudanais sur son territoire.

Mais les autorités tchadiennes craignent une escalade des conflits qui pourrait toucher leur pays. Les Nations-Unies s’inquiètent d’un risque de génocide. Dans une déclaration, Alice Wairimu NderituSecrétaire général adjoint des Nations-Unies et conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la prévention du génocide, alerte sur la situation préoccupante dans le pays. Elle affirme dans une partie de sa déclaration citée par ONU Info :

Après quatre mois de combats incessants, accompagnés de violations des droits de l’homme et d’abus généralisés, le nombre de morts, de blessés et les milliers de personnes déplacées dans le cadre d’un conflit à forte composante identitaire est inacceptable. (…) les violences intercommunautaires et ethniques, si elles ne sont pas empêchées ou stoppées, pourraient s’intensifier et entraîner l’ensemble du Soudan dans une guerre civile, avec un risque élevé de génocide et de crimes d’atrocité connexes.

Les deux camps reçoivent des appuis de l’étranger

D’autres pays d’Afrique et des puissances étrangères soutiennent les deux camps. En septembre 2023, Abdel Fattah al Burhan a multiplié des voyages à l’étranger notamment en Égypte, au Soudan du Sud, en Érythrée, au Qatar et en Turquie. Pour Khalid Omer Yousif, vice-président du Parti du Congrès soudanais, al Burhan est dans une démarche de consolidation du pouvoir. Au média TRT Afrika Yousif déclare:

Je crois qu’il veut renforcer la position militaire dans cette guerre en discutant avec les pays voisins et les acteurs régionaux et internationaux qui pourraient avoir une certaine influence sur la situation au Soudan.

Au même moment, les Forces de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdan Dagalo sont appuyé militairement selon Le Monde par des mercenaires venus du Mali, le Tchad, le Niger, la Centrafrique, la Russie et d’autres puissances du Moyen-Orient comme les Saoudiens et les Émiratis. C’est ce qu’explique cette vidéo de France 24:

 

Dans de telles conditions, l’espoir pour la population soudanaise de voir les deux camps se rencontrer à la table des négociations pour tenter de ramener la paix dans le pays demeure très faible.