1968 en Italie : du mai rampant à l’automne chaud

Claude Rioux, À Bâbord,

L’agitation qui mènera au « mai rampant » de 1968 – une expression faisant référence au caractère progressif, voire sinueux de la mobilisation – commence au début 1966 à l’Institut des sciences sociales de Trente, qui envisage la création d’une contre-université pour contrecarrer « l’université de classe ». En 1967, grèves, occupations, organisation d’une semaine pour le Vietnam s’y succèdent. L’agitation s’étend et atteint la Sapienza de Pise, occupée en février 1967, puis l’Université catholique de Milan et la faculté des lettres de Turin où les étudiants mettent en place des contre-cours et des structures autogérées en novembre de la même année. L’anti-autoritarisme et la critique des contenus de l’enseignement sont les thèmes dominants.

Maggio strisciante

La contestation se radicalise au fil des mois et touche en 1968 de nombreuses villes universitaires. À Florence, dès le mois de janvier, le recteur démissionne à la suite des violences policières qui ont marqué les premières manifestations étudiantes. Dans la plupart des grandes villes, les affrontements avec les forces de l’ordre sont aussi vifs que fréquents. À Rome, au mois de mars, à la suite de l’évacuation de l’université et d’incidents avec la police, les étudiants se mobilisent massivement pour réclamer la réforme de l’université et marchent, rue Giulia, vers la faculté d’architecture, fermée sur décision du recteur. Cette bataille, dite de la Villa Giulia, fera de nombreux blessés et restera dans les mémoires comme l’événement fondateur de la révolte qui gagne toute l’Italie.

La spécificité du « mai rampant », étendu dans le temps comme dans l’espace de la Péninsule, est dans la rencontre en ces années-là des mouvements étudiant et ouvrier. Déjà au printemps 1968, il y eut des relations entre les étudiants et les ouvriers de quelques usines, en particulier Lancia à Turin et Saint-Gobain à Pise. Les relations deviennent peu à peu permanentes et produisent des formes organisationnelles démocratiques nouvelles, comme l’assemblée operai-studenti (ouvriers-étudiants) autour de la Fiat de Turin. Les tentatives syndicales pour «chevaucher le tigre du mouvement ouvrier spontané» conduiront, au cours des années suivantes, à la formation des conseils ouvriers dans les usines, une structure de démocratie directe.

Autunno caldo

Cependant les explosions de mécontentement se multiplient, débouchant souvent sur des heurts avec la police. En avril 1969 à Battipaglia, dans le sud, une manifestation contre la fermeture de l’unique établissement industriel de la ville dégénère en affrontements entre manifestants et policiers, faisant deux morts parmi les premiers. À peu près dans la même période, les grèves contre les cadences de travail, pour l’augmentation des salaires et une diminution des heures de travail commencent à se multiplier chez Fiat à Turin. Le 3 juillet 1969, les syndicats 
déclarent une journée de grève générale sur un objectif extérieur à l’usine : la lutte contre la hausse des loyers. Les cortèges, rejoints par les étudiants, convergent sur l’usine de Mirafiori. Face à celle-ci, à l’entrée du Corso Traiano, de violentes bagarres éclatent avec la police. Les affrontements durent plusieurs heures et s’étendent à d’autres quartiers de Turin. Au même moment, les débrayages et les grèves se multiplient dans de nombreuses entreprises. À la fin du mois d’août, lorsque les travailleurs rentrent de vacances, les grèves reprennent chez Fiat, chez Pirelli et chez bien d’autres.

On ne saurait énumérer ici toutes les journées d’action des trois mois de l’« automne chaud » : les 11 et 12 septembre les métallurgistes, le 16 la chimie et la métallurgie du secteur d’État, le 7 octobre grève des métallos à Milan, le 8 grève nationale du bâtiment et des métallos de Rome, le 9 octobre grève générale de la région Frioul-Vénétie julienne, le 10 octobre grève des métallos turinois, les 15 et 16 octobre grève à Milan contre la vie chère, le 17 octobre grève générale à Palerme, le 19 novembre grève générale contre la vie chère et violentes manifestations à Milan, le 28 novembre, manifestation nationale des métallos à Rome…

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