La gauche face à la crise en Syrie

La gauche devant la guerre civile en Syrie

Extraits d’une entrevue avec Joseph Daher, le 29 avril 201. Daher sera l’un des intervenants à la conférence LA GRANDE TRANSITION à Montréal les 17-20 mai prochains

Comment caractériser le régime de Bachar al-Assad ?

La Syrie est un régime despotique, dirigé depuis 40 ans par une famille, et c’est aussi un régime patrimonial bourgeois qui a connu un processus de néolibéralisation et de privatisation accéléré considérablement avec l’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad. Soixante pour cent de la population vivait sous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté en 2011. La Syrie a été soumise à la même forme de capitalisme de copinage qui prévaut dans la région.

Comment la révolution a-t-elle commencé ?

L’absence de démocratie et l’appauvrissement croissant d’importantes couches de la société syrienne, dans un climat de corruption et d’inégalités sociales croissantes, ont ouvert la voie au soulèvement populaire. Au début, l’opposition civile populaire était le principal moteur du soulèvement.  Des « comités de coordination » ont rassemblé des réseaux et de groupes progressistes et démocratiques dans tout le pays. Le régime ciblait spécifiquement ces réseaux de militants, qui avaient initié des manifestations, des actes de désobéissance civile et des campagnes en faveur de grèves nationales.

Et puis, il y a eu des défections dans l’armée …

Dès les premiers jours du processus révolutionnaire, le régime a traité les manifestations avec une grande violence, d’où un nombre croissant de défections parmi les conscrits et les officiers qui refusaient de tirer sur des manifestants pacifiques. Au cours des mois suivants, l’Armée syrienne libre (ASL) a été créée. La résistance armée contre le régime était quasi généralisée à la fin de 2011, créant une nouvelle dynamique dans le soulèvement. Les premiers groupes armés d’opposition relevaient souvent d’une dynamique locale et servaient à défendre les villes et les régions contre les agressions des services de sécurité armés. L’ASL n’a jamais été une institution unique et unie, mais plutôt un réseau de groupes militaires indépendants se battant sous son égide. Et puis, les différentes forces de l’Armée syrienne libre ont été affaiblies. Manquant d’unité et de centralisation, les combattants de l’ASL se coordonnaient sur des champs de bataille spécifiques, mais rarement sur des décisions politiques et stratégiques.

Que reste-t-il aujourd’hui du soulèvement démocratique ?

La situation des forces démocratiques et progressistes est très précaire. Après plus de sept années de guerre destructrice et meurtrière, la fatigue est palpable dans la population, qui cherche simplement un retour à la stabilité.   Les effets de la guerre et de ses destructions vont probablement peser pendant des années. Parallèlement à cette situation, aucun organe d’opposition structuré de taille significative et proposant un projet inclusif et démocratique susceptible d’attirer de larges secteurs de la société n’est présent, tandis que les échecs des organes d’opposition en exil et groupes d’opposition armés laissaient des frustrations et des amertumes parmi les personnes qui ont participé sympathisé avec le soulèvement. La montée de Daesh et d’autres forces islamistes a été permise en grande partie par cet affaiblissement des forces démocratiques.

Certains progressistes dans le monde affirment qu’il faut s’opposer à l’« ennemi principal » (les États-Unis et leurs alliés dans la région), ce qui veut dire une attitude plutôt mitigée par rapport au régime syrien et ses alliés russes et iraniens …

Il faut se souvenir du révolutionnaire allemand Karl Liebknecht qui s’était opposé, contre l’Avis de la majorité des socialistes européens à appuyer « son » État dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Il croyait qu’il fallait s’opposer à la poussée de guerre de sa propre classe dirigeante en « coopérant avec le prolétariat d’autres pays dont la lutte est contre leurs propres impérialistes ». En Syrie, la solidarité signifie soutenir les révolutionnaires syriens contre les diverses forces impérialistes internationales et régionales, ainsi que le régime d’Assad, qui essaient tous de mettre fin à une révolution populaire pour la liberté et la dignité. La solution ne réside pas dans la collaboration avec des régimes autoritaires comme le régime Assad ou la collaboration avec les puissances impérialistes comme la Russie, bien au contraire. Notre rôle est de s’opposer aux différentes forces contre-révolutionnaires et de construire un front indépendant à partir de ces deux formes de réactions et de les fonder sur une base démocratique, sociale et anti-impérialiste et de s’opposer à toute forme de discrimination.

À court terme, comment les progressistes dans le monde peuvent aider ?

Plusieurs choses peuvent être faites. Je pense que les progressistes devraient appeler à la fin de la guerre, qui a créé une souffrance terrible. Cela a entraîné des déplacements massifs de population à l’intérieur du pays et en a chassé des millions de réfugiés. La guerre ne profite qu’aux forces contre-révolutionnaires de tous les côtés. Du point de vue tant politique qu’humanitaire, la fin de la guerre en Syrie est une nécessité absolue.

De même, nous devons rejeter toutes les tentatives de légitimation du régime d’Assad, et nous devons nous opposer à tous les accords qui lui permettent de jouer un rôle dans l’avenir du pays. Nous devons également garantir les droits des civils en Syrie, notamment en empêchant les déplacements forcés et en garantissant les droits des réfugiés (droit de retour, droit à des compensations financières en cas de destruction de leurs maisons, justice pour les pertes de leurs proches, etc.).

Par ailleurs, la gauche à l’échelle internationale devrait également lutter :

  • Pour l’ouverture des frontières aux migrants et aux réfugiés et contre la construction de murs ou la transformation de l’Europe en une forteresse qui ferait de la mer Méditerranée un cimetière pour les migrants
  • Contre toutes les formes d’islamophobie et de racisme
  • Contre toute coopération des États occidentaux avec des régimes despotiques dont l’État colonial et raciste d’Israël (dans ce dernier cas, soutenir les campagnes BDS
  • Contre plus de « sécurité » et de politiques antidémocratiques promues au nom de « la guerre contre le terrorisme ».

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