Climat : « Seule une insurrection peut empêcher le collapse

IVAN DU ROY, Basta, 125 septembre 2019

 

Depuis l’ère quaternaire, la Terre oscille environ tous les 100 000 ans entre un état glaciaire et un état interglaciaire, entre deux périodes de glaciation. Ce qui nous menace c’est une sortie des limites de cette oscillation. La probabilité d’un scénario où la Terre basculerait vers un état d’étuve a été accrédité par un article paru en juillet dans la revue de l’Académie des sciences américaines [2]. En Inde, les projections des températures dans dix ou quinze ans montrent que certaines régions connaîtront des pics à plus de 50°C [3], ce qui pourrait arriver en France aussi à la fin du siècle [4]. Les corps ne pourront le supporter, des régions deviendront invivables, et les plus pauvres seront les plus touchés.
Une partie de nos émissions de gaz à effet de serre est absorbée dans les océans, qui n’ont jamais été aussi acides depuis 300 millions d’années. Cela détruit les récifs coralliens et menace la faune aquatique. Sur les continents, la vitesse de migration des plantes n’est pas non plus assez rapide pour s’adapter au changement climatique [5]. S’y ajoute l’extension de la déforestation, la fragmentation des habitats et les dégâts chimiques de l’agriculture intensive : dans les réserves naturelles allemandes, les scientifiques ont observé une chute de plus de 75% des populations d’insectes en trois décennies [6].

Il ne s’agit plus de se positionner comme optimiste ou pessimiste, comme catastrophiste éclairé – en appeler à la possibilité d’une catastrophe, pour susciter la mobilisation qui l’évitera – ou encore, au contraire, comme quelqu’un qui refuse d’utiliser la peur parce que ce serait un sentiment politiquement problématique. Que cela nous plaise ou non, un rapport a été présenté au dernier congrès mondial de géologie en 2016, déclarant que la Terre a quitté l’Holocène pour entrer dans une nouvelle époque géologique, l’Anthropocène. Que cela nous plaise ou non, des centaines de travaux scientifiques montrent que des seuils sont franchis ou sont en passe de l’être pour toute une série de paramètres du système Terre, au-delà desquels les évolutions sont brutales : emballement climatique comme source d’événements extrêmes décuplés, montée des océans nécessitant de déplacer des centaines de grandes villes et des milliards de personnes à l’échelle du siècle, effondrement de la biodiversité, cycle de l’azote, du phosphore et de l’eau… De multiples effondrements sont déjà en cours ou à venir.

Ce qui gronde devant nous n’est pas une crise climatique à gérer avec des « solutions » ou une mondialisation économique à réguler, mais la possibilité d’un effondrement du monde dans lequel nous vivons, celui de la civilisation industrielle mondialisée issue de cinq siècles de capitalisme. Certains préfèrent définir l’effondrement comme l’extinction de l’espèce humaine. Même avec le pire scénario climatique et écologique, cette perspective reste aujourd’hui moins probable qu’elle ne l’était au temps de la guerre froide et du risque d’hiver nucléaire.

Imaginons le pire : des bouleversements climatiques, écologiques et géopolitiques, des guerres dévastatrices entre puissances pour les ressources, des guerres civiles attisées par les fanatismes xénophobes ou religieux, des guerres de clans dans un monde dévasté… Mais pourquoi les quelques humains survivants et résistants à la barbarie ne trouveraient-ils vraiment aucune ressource et aucun lieu habitable sur Terre ? Se donner la fin de l’espèce humaine comme cadre de pensée de l’effondrement, c’est risquer d’inhiber toute pensée et toute politique. Je pense que ce scénario ne doit pas monopoliser notre attention : il ne fascine qu’au prix de l’occultation de toute analyse géopolitique, sociale ou géographique.

Une définition plus intéressante, autrement plus probable au 21e siècle que l’extinction de l’espèce humaine, est celle donnée par Yves Cochet et l’Institut Momentum : l’effondrement comme « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie…) ne sont plus fournis – à un coût raisonnable – à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Comme la violence de la crise grecque nous l’indique, ce type d’effondrement peut toucher des pays entiers, y compris en Europe. Étant donné l’interconnexion de l’économie mondiale, on peut étendre l’hypothèse à celle de l’effondrement d’un système : la civilisation du capitalisme industriel et sa culture consumériste, civilisation aujourd’hui globalisée même si les disparités sociales et territoriales restent majeures.

Après l’effacement de tant de systèmes politiques au cours des 50 derniers siècles et alors que de toutes parts nous parviennent des rapports sur les bouleversements qui affectent la Terre, n’est-il pas téméraire de considérer le capitalisme industriel et consumériste comme immortel ? Étant donné qu’il est la cause du dérèglement planétaire [7], il me semble plutôt intéressant de penser son effondrement, voire même de le préparer !

Comment ?

En multipliant par exemple les actes de non-coopération avec le modèle consumériste, en résistant aux dérives fascisantes ou aux oppressions que la crise écologique ne manque pas de favoriser, en s’opposant aux projets inutiles et à la poursuite de l’extraction des énergie fossiles comme des minerais, en renforçant les alternatives qui émergent. A l’image du « dernier homme » post-apocalyptique et individualiste hollywoodien, je préfère plutôt l’image des collectifs qui participent à l’effondrement d’un vieux monde productiviste : ceux qui bloquent les mines et font chuter le cours des actions des multinationales, ceux qui réinventent des communs – du mouvement de la transition aux zones à défendre. Une autre fin du monde est possible ! [8]

Il est intéressant de regarder le passé, sinon nous resterons très naïfs politiquement, en particulier face à cette crainte d’un effondrement futur. Cette sorte de sublime d’un effondrement qui arriverait plus tard est une représentation de riches blancs occidentaux. Des populations et des sociétés voient déjà leur vie bouleversée, ou l’ont vu par le passé. Avec l’arrivée des Européens en Amérique, les populations amérindiennes se sont littéralement effondrées, passant de 55 millions de personnes à 5 millions entre 1492 et 1650. Ce n’est pas un effondrement ça ? Ce génocide a d’ailleurs laissé des traces dans les carottes glaciaires des climatologues. On y mesure une chute de plus de 5 ppm de la concentration de carbone dans l’atmosphère entre 1492 et 1610 [9]. Cette baisse est liée au fait que, 50 millions d’Amérindiens ayant disparu, plus de 50 millions d’hectares cultivés sont revenus à la friche et à la forêt, qui ont capturé du carbone.

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