Mohamed Keita, extrait d’un texte publié par ORTM en direct 29 janvier 2020
La crise sécuritaire et identitaire que vit le Mali plonge ses racines dans le passé colonial du pays, aggravée par la vaque de sécheresses à laquelle le pays a dû faire face par deux fois dans les années 1974 et 1984. L’on ne doit pas oublier non plus les excroissances de la guerre civile en Algérie dans les années 1992, ni celles de la chute du Guide libyen en 2011. Tout cela est exacerbé par le nouveau jihadisme régional et international, alimenté par les vieilles rancœurs entre agriculteurs sédentaires et pasteurs nomades dans le Delta du Niger où les tensions intercommunautaires sont les plus vives et les plus meurtrières, ces dernières années.
La main invisible de la France
L’Algérie était une colonie de peuplement pour la France, en plus de deux atouts majeurs dont le Sahara reste toujours dépositaire : un site idéal pour les essais nucléaires et la richesse du sous-sol en hydrocarbures et autres minerais stratégiques.
Mais, la France a dû quitter l’Algérie par la force des choses, après la guerre d’indépendance menée par le Front de Libération nationale (FLN) dont la victoire est acquise en 1962 suite aux Accords dits d’Evian.
Pour compenser cette perte, la France a réchauffé son vieux projet de l’Organisation commune des Régions sahariennes (OCRS) des années 1957, visant à soustraire les « populations blanches » du Sahara, notamment les Berbères ou Touareg, de la prétendue « domination des Noirs du Sud », pour les regrouper dans un seul Etat saharien, en faisant tordre le cou à l’histoire commune de cette zone. En effet, c’est l’Empereur du Mali qui a fait construire, de retour de la Mecque, en 1324, l’actuelle grande mosquée de vendredi de Tombouctou, Djingareyber, en la personne de Kankou Moussa, originaire du Mandé. Il était de patronyme KEITA puisqu’il est le petit-fils en ligne directe du grand Soundjata KEITA. Les chroniqueurs arabes n’accordant pas d’importance au patronyme, son nom de famille n’est pas mentionné dans leurs tarikhs ou récits historiques. Mieux, une année auparavant, en partance pour la Mecque, le même Kankou Moussa KEITA a fait construire une mosquée à Gao, dont les fouilles récentes ont permis de mettre à jour les anciennes fondations (Des images de ces fouilles ont même été diffusées par l’ORTM). Deux autres souverains du Mali ont également séjourné à Tombouctou pendant toute leur adolescence, Aly COULIBALY, un des fils de Biton COULIBALY, et N’Golo DIARRA, fils adoptif et gendre de Biton COULIBALY (N’Golo a épousé la fille de Biton, Makourou, la mère de son fils aîné, Bambougou N’Ti DIARRA). C’est dire qu’Aly COULIBALY et N’Golo DIARRA ont tous les deux vécu, dans les années 1730, dans la famille maraboutique des KOUNTA, dont l’emplacement est l’actuel camp militaire de la ville de Tombouctou. Ledit camp porte d’ailleurs le nom de l’illustre El Békaye KOUNTA. Comme quoi, contrairement à la récente réécriture de l’histoire, le Nord et le Sud du Mali étaient bel et bien un seul pays, des siècles durant, bien avant l’arrivée des colonisateurs français.
Cependant, ce projet de s’assurer le contrôle du Sahara « pour encore longtemps » a échoué parce que les Ifoghas de Kidal, propulsés à la chefferie traditionnelle par la France aux dépens des Ulimiden de Ménaka, avaient choisi d’être avec le Mali indépendant en 1960, sans doute dans l’espoir de se voir délégitimés par l’US-RDA au pouvoir à Bamako.
La sécheresse des années 1973 et 1983
Un phénomène naturel va jouer, toutefois, un rôle catalyseur ou de fermentation pour les nouvelles rébellions que le pays connaîtra justement en 1991 et en 2012 : la sécheresse. En effet, comme tous les pays du Sahel, le Mali a été frappé par une vague de sécheresses en 1973-1974 et en 1983-1984.
La conséquence a été plus durement ressentie par les populations vivant dans le Sahel et dans la partie septentrionale du pays, dont les pasteurs nomades en particulier, qui ont perdu la presque totalité de leur cheptel : Peuls, Touareg et Maure/Arabes.
Les populations sédentaires et beaucoup de nomades se sont déplacés vers le Sud et les zones urbaines, souvent dans les pays limitrophes comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana, en ce qui concerne particulièrement les Peuls et les Songhays.
Ayant perdu leur cheptel et, subséquemment, leur pouvoir économique et le statut social qui va avec, les pasteurs Peuls de toutes les zones du Sahel se sont considérablement appauvris pour la plupart d’entre eux et beaucoup d’entre eux, notamment les Peuls du Delta central du Niger, succomberont plus tard, en 2015, aux tentations islamistes et/ou djihadistes.
En revanche, la majorité des Touareg a préféré émigrer soit dans le Sud algérien (Tamanrasset) ou en Libye où des groupes entiers ont été enrôlés dans les bataillons militaires pour combattre au Tchad et au Liban, dans les années 1980.
La main invisible de la Libye
KHADAFFI a tenté de manœuvrer de manière à pouvoir créer un camp militaire déguisé pour des éléments armés et entrainés que le Mali lui-même qualifiera, en 2011, de « soldats libyens d’origine malienne ». C’était aussi une façon pour l’Etat malien de les accepter sur son territoire sans les désarmer au préalable, contrairement au Niger voisin. Le Mali en payera, lourdement d’ailleurs, les conséquences en 2012, d’autant plus que la construction avortée de ce consulat libyen, à laquelle l’Algérie était farouchement opposée, avait débouché, en 2006, sur une mutinerie simultanée et synchronisée dans les garnisons militaires de Ménaka et de Kidal. L’accord qui en a résulté a consacré l’autonomie de fait à la région de Kidal, symbolisée par le désengagement de l’armée nationale de cette partie du territoire avec le démantèlement des camps militaires. La nature ayant horreur du vide, la place laissée vacante par l’armée régulière a été occupée par les groupes rebelles et djihadistes qui finiront par s’emparer de toute la partie septentrionale du pays en 2012. Le même plat, pour ne pas dire piège, sera du reste réchauffé en 2015 sous le couvert de l’Accord d’Alger, avec l’intégration projetée de 63 000 combattants dans les forces armées et de sécurité de notre pays, les forces armées nationales elles-mêmes (tous corps confondus) ne dépassant guère les 12 000 hommes, selon certaines indiscrétions (Secret défense oblige). Il s’agit en réalité des fameux « soldats libyens d’origine malienne » qui viendraient, du coup, submerger en nombre les FAMa avec l’objectif inavoué de les chasser de leur « Azawad », par les armes.
Les nouvelles rébellions
La chute du Président ATT en 2012 était précédée, elle-même, par celle du Guide libyen, Mouammar KHADAFFI, en 2011, comme un effet domino. En effet, après l’assassinat du Président libyen, les soldats de son armée, d’origine malienne, selon la terminologie d’un communiqué officiel, ont regagné la « mère-patrie », le Mali, avec armes et bagages.
Le Mouvement national de l’Azawad (MNA), créé quelques mois plus tôt dans les locaux de la mairie de Tombouctou, a saisi cette opportunité pour s’allier avec ces groupes de déserteurs libyens pour former « le Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA) », avec l’ambition bien affichée de se battre pour l’indépendance de cette partie du territoire malien.
Pour une fois, dans l’histoire de la rébellion au Mali, les groupes armés étaient autant aguerris que les soldats de l’armée régulière, avec l’avantage d’être mieux équipés, sans oublier les centaines de soldats intégrés qui ont pris fait et cause pour la nouvelle rébellion en retournant l’arme contre leurs frères, comme évoqué ci-dessus. En désertant, ils dégraissaient drastiquement les effectifs de l’armée nationale pour aller grossir proportionnellement les rangs de l’ennemi. D’autre part, en plus des équipements et munitions qu’ils emportaient avec eux, ils avaient tous les renseignements sur leurs anciens frères d’armes : les équipements, les effectifs, le niveau de préparation des éléments, les plans opérationnels pour l’attaque et la défense des garnisons, etc. Cerise sur le gâteau pour eux et sur insistance des Américains, ils ont été les plus nombreux à bénéficier du plan de formation et d’entrainement des Forces armées américaines dans le cadre du Programme transnational de Renforcement des Capacités opérationnelles et tactiques des Armées des pays du Sahel, appelé Flintox, face justement à la montée en puissance perceptible des organisations terroristes et autres forces du mal à connexion internationale.
Ce qui est sûr, c’est que le leader de la rébellion des années 1991, en la personne de Monsieur Iyad Ag GHALI, a voulu prendre la tête de cette nouvelle coalition armée en 2011 ; mais les nouveaux acteurs du MNLA ne l’entendaient pas de cette oreille. Dépité, Iyad Ag GHALI a créé son propre mouvement armé, qu’il a baptisé ANSARDINE, d’obédience islamiste cette fois-ci. Contrairement aux leaders du MNLA, lui n’est pas autonomiste, encore moins séparatiste ou indépendantiste. Mais, son objectif est d’instaurer la charia à Kidal, voire sur l’ensemble du territoire national.
Les deux mouvements, MNLA et ANSARDINE, vont cependant se coaliser contre l’Etat malien et ses symboles, notamment l’armée et l’administration, en prenant possession de tout le Nord du pays en mars 2012, à l’exception notable des capitales régionales de Kidal, Gao et Tombouctou. Ils vont s’emparer de celles-ci également à la suite du coup d’Etat du 22 Mars 2012, pronunciamiento dont l’auteur n’est autre que le capitaine SANOGO.
Mais, prenant sa revanche sur le MNLA, Iyad Ag GHALI va s’allier à son tour à un autre mouvement islamiste, le Mouvement pour l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), en 2012, pour chasser les indépendantistes qui doivent leur salut à un exil forcé en Mauritanie et au Burkina Faso, les deux pays voisins du Mali, qui ont accordé gite et couvert aux leaders du MNLA et à ses combattants. Il faudra attendre l’Opération Serval de l’armée française, en 2013, pour remettre le MNLA sur selle militaire et au centre du jeu (géo) politique dans le Mali en crise.
En créant une enclave de fait à Kidal dont l’accès a été interdit aux FAMa, l’action de la France, à travers l’opération Serval ci-dessus référée, fort salutaire contre les djihadistes qui menaçaient tout le pays en 2013, a fortement contribué à cet affaiblissement, sinon à l’affaissement de l’Etat malien dans cette partie du territoire national, avant que la contagion n’atteigne progressivement tout le Nord et, finalement, le Delta et toute la Boucle du Niger, en 2015.
Mais bien auparavant, c’est l’Etat lui-même qui a eu recours aux milices communautaires au sein des forces armées et de sécurité : les exemples de Ganda Izo, du GATIA et du MAA sont assez éloquents en la matière. C’est le même Etat qui a laissé la communautarisation gagner tout le pays : TabitalPulaaku, Ginna Dogon, Ir Ganda, etc. en sont de parfaites illustrations. En effet, chacun s’arc-boute sur son identité culturelle et son appartenance communautaire aux dépens de l’unité nationale ; alors même que le niveau de brassage social est tel qu’au Mali, c’est indéniablement superflu de creuser tout sillon pour le repli identitaire : il y a un nomade dans chaque sédentaire et vice versa.
Cette dimension politique n’est pas à négliger dans l’exacerbation de la crise sociopolitique, sécuritaire et identitaire que traverse le Delta central du Niger, voire toute la boucle du Niger, jusqu’aux alentours de Niono dans la région de Ségou, notamment Ké-Macina, Diabaly et Niono même.
Par ailleurs, l’on ne doit pas négliger non plus la dimension économique de la crise, en ce qui concerne notamment l’accès aux ressources naturelles entre agriculteurs sédentaires et éleveurs transhumants. Une compétition féroce oppose, en effet, les deux acteurs économiques dans le domaine de la gestion du foncier rural : terres de culture contre aires de pâturage.
Pistes de solutions
La réponse à cette crise structurelle et multidimensionnelle réside, par conséquent, dans le retour effectif de l’Etat, dans ses fonctions régaliennes et dans toute sa plénitude, sur toute l’étendue du territoire national, pour une prise en charge efficace de la sécurisation des personnes et de leurs biens, comme un des préalables à tout acte de développement, pour ne pas dire à toute activité humaine.
Deuxièmement, le tout sécuritaire ayant montré ses limites, il faut engager un véritable processus de développement local avec la participation des populations elles-mêmes qui seront maîtresses de leur propre destin dans un cadre réellement déconcentré et décentralisé, pourquoi pas une régionalisation plus poussée, sans aller à l’autonomie pouvant porter les germes de la séparation. En d’autres termes, il faut une nouvelle présence de l’Etat dans un nouvel esprit : moins d’Etat oppresseur/prédateur, mais mieux d’Etat régulateur/accompagnateur et coopératif.
Le troisième axe en termes de solutions consiste à améliorer l’offre éducative en direction des medersas et des écoles coraniques : enseigner un islam du juste milieu et adopter un programme pour les medersas avec un contenu moderne et scientifique, aux standards régionaux et internationaux.
L’on doit également pouvoir s’attaquer au problème de la cohabitation entre agriculteurs et éleveurs, en délimitant préalablement les champs de culture avec des couloirs bien définis pour la transhumance des animaux. Ces mesures doivent être prises de commun accord avec tous les protagonistes concernés, les agriculteurs sédentaires et les éleveurs transhumants au premier chef. A ce sujet, l’on doit un devoir de vérité aux agriculteurs et aux pasteurs : on ne peut plus pratiquer l’agriculture sur brûlis, ni l’élevage de prestige, comme au temps des ancêtres respectifs, pour les trois raisons évoquées plus haut, c’est-à-dire la démographie galopante, l’urbanisation sauvage et incontrôlée, les effets néfastes du changement climatique.
En cinquième position, l’on doit se doit d’avoir une lecture endogène de la crise et pouvoir, en conséquence, négocier avec les leaders djihadistes, Iyad Ag GHALI et Hamadoun KOUFFA en tête, qui clament ne pas remettre en cause l’intégrité du territoire national. Ce, d’autant plus qu’on a accepté, sinon été contraint par une partie de la Communauté internationale, de prendre langue avec les rebelles notoirement et ostensiblement séparatistes, voire indépendantistes.
En définitive, il nous faut à la fois un changement de mentalités, de paradigme et de méthode pour pouvoir relever les défis liés à ces nouvelles réalités visibles, palpables et indéniables que sont, justement, la démographie galopante, l’urbanisation sauvage et incontrôlée, les effets néfastes du changement climatique, qui sont imbriqués dans un enchevêtrement croisé pour être tour à tour, et à la fois, cause et effet.