Min Sook Lee, Al Jazeera, 6 mai 2018
Beaucoup aiment à penser que le Canada est le pays de la « tolérance » et de la « diversité ». On dit que c’est un État qui défend les droits de la personne et une terre d’opportunités pour ceux qui veulent travailler fort et respecter les règles, qui sont présumées justes. L’une des raisons pour lesquelles le Canada est en mesure de maintenir cette réputation est que ceux qui vivent le mensonge sont réduits au silence. Mon film remet ce mythe en question, en mettant au premier plan les voix de ceux qui ont longtemps été ignorés, marginalisés ou effacés.
Le documentaire, Migrant Dreams, porte principalement sur un groupe de travailleurs agricoles indonésiens amenés au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Le film vise à documenter le rapport entre le travail, la race, la classe et l’établissement à travers le prisme des programmes de travailleurs migrants du pays.
Aujourd’hui, plus de 500 000 travailleurs migrants, provenant de plus de 80 pays, ont un statut temporaire au Canada. De ce nombre, environ 110 000 sont à bas salaire et attachés, dans la possibilité de changer, à un emploi, un emplacement et un employeur.
Le gouvernement fédéral gère toute une gamme de programmes de travail pour les travailleurs migrants, les nounous, les nettoyeurs, les travailleurs de la restauration rapide – qui relèvent tous du PTET. Ces programmes offrent aux employeurs l’accès à une main-d’œuvre « non libre », et c’est leur statut même de « non-libre » qui rend ces travailleurs rentables. En Ontario, la capitale de l’agriculture en serre en Amérique du Nord, cette main-d’œuvre subventionne l’expansion de cette industrie à la hauteur d’un milliard de dollars. Les travailleurs sont liés à leurs employeurs pendant la durée de leur emploi.
C’est un système qui invite à l’abus : salaires impayés, accès limité à des soins de santé opportuns, conditions de travail dangereuses, logements surpeuplés, conditions de travail abusives, déductions salariales douteuses et non-paiement des heures supplémentaires accumulées. Les problèmes rencontrés par ces travailleurs sont systémiques; ils ne sont pas le résultat de la « pomme pourrie » dans le « bon panier ». Le programme légifère l’inégalité.
Une dimension particulièrement flagrante du PTET concerne les frais de recrutement. Bon nombre de travailleurs migrants ont payé des frais allant de 6 000 $ à 12 000 $ à des recruteurs ou à des courtiers pour travailler dans le cadre du programme. Avec des frais si élevés, certains arrivent lourdement endettés.
Les programmes de travail temporaire des travailleurs migrants ont connu une expansion exponentielle au fil des ans, remplaçant de fait les voies d’immigration au Canada, poursuivant une tradition bien établie. En 1872, le Canada adoptait la Dominions Land Act afin de donner 160 acres de terres gratuites aux colons européens. Moins de dix ans plus tard, en 1885, le Canada imposait la Loi sur l’immigration chinoise, pour dissuader les Chinois d’y entrer et leur imposer une taxe d’entrée de 50 $. Les programmes de travail des migrants exposent la construction coloniale du Canada. Ils créent des catégories de citoyens et de non-citoyens avec des ensembles de droits et de privilèges correspondants. Ils normalisent le racisme de la citoyenneté comme une forme de construction d’une nation « suprémaciste ».
« Migrant Dreams » est disponible sur le site de TVO : https://tvo.org/video/documentaries/migrant-dreams-feature-version