Afghanistan : l’avenir menacé des femmes

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Version originale sur The Conversation, 19 août 2021
Les talibans règnent désormais en maître absolu en Afghanistan, vingt ans après avoir été chassés du pouvoir par l’armée américaine.
C’est ce que craignaient le plus les 15 militantes que nous avons interviewées depuis un an, dirigeantes communautaires et politiciennes afghanes, dans le cadre d’une initiative internationale axée sur la défense et la protection constitutionnelle des droits des femmes en Afghanistan. Pour assurer la sécurité des participantes à notre étude, nous avons choisi de ne pas mentionner leur nom, ou de nous en tenir à leur prénom. Elles étaient extrêmement sceptiques sur le fait que les talibans aient pu changer.
« Toute réforme des talibans semble impossible », nous a affirmé une militante de Kaboul, âgée de 40 ans. « Ils prônent une idéologie fondamentaliste, en particulier en ce qui concerne les femmes. »
De la soumission au Parlement
De 1996 à 2001, les talibans ont régné sur l’intégralité de l’Afghanistan. Si l’ensemble de la population a dû se plier aux interdictions découlant de leur interprétation conservatrice du Coran, ce sont les femmes qui en ont le plus souffert.
À l’époque, les femmes n’étaient pas autorisées à sortir de chez elles sans un chaperon mâle, et devaient porter une burqa les recouvrant de la tête aux pieds. Il leur était interdit de se rendre dans les centres de santé, fréquenter l’école ou travailler.
En 2001, les États-Unis ont envahi l’Afghanistan, renversé le régime des talibans et travaillé avec les Afghans à mettre en place un gouvernement démocratique.
L’occupation américaine du pays visait officiellement à mettre la main sur Osama ben Laden, le cerveau des attentats du 11 septembre à New York, réfugié en Afghanistan avec l’aval des talibans. Mais les États-Unis ont aussi invoqué les droits des femmes pour justifier leur occupation.
Une fois les talibans chassés du pouvoir, de très nombreuses femmes ont intégré la vie publique, y compris dans les sphères du droit, de la médecine et de la politique. Les femmes représentent aujourd’hui plus du quart des parlementaires afghans. Déjà en 2016, plus de 150 000 femmes avaient été élues à des postes locaux.
Rhétorique et réalité
L’an dernier, après 20 ans de présence en Afghanistan, les États-Unis ont signé un accord avec les talibans, s’engageant à retirer leurs troupes du pays à condition que les talibans coupent les ponts avec al-Qaida et entament des pourparlers de paix avec le gouvernement. Cet accord est évidemment désuet aujourd’hui, alors que les talibans règnent en maître sur tout le pays.
Les talibans avaient alors affirmé dans le cadre des pourparlers engagés, – et réaffirmé ces jours-ci – vouloir accorder aux femmes des droits « conformes à l’Islam ».
Cela dit, selon les femmes que nous avons interviewées, les talibans rejettent toujours la notion d’égalité des sexes. « Même si les talibans ont appris à apprécier Twitter et les réseaux sociaux à des fins de propagande, leurs actions sur le terrain montrent qu’ils n’ont pas changé », nous a récemment affirmé Meetra, une avocate.
L’équipe de négociateurs des talibans ne comptait aucune femme, et, à mesure que leurs combattants locaux s’emparaient de districts, les droits des femmes y régressaient.
Une institutrice du district situé dans la province septentrionale de Mazâr-e-Sharif, tombé au printemps aux mains des talibans, nous a raconté : « Au début, en voyant les interviews des talibans à la télé, nous avons cru qu’il existait un espoir de paix, que les talibans avaient peut-être changé. Mais je les ai vus de près, et ils n’ont absolument pas changé. »
Dans les zones sous le contrôle des talibans, il n’était pas rare d’entendre les haut-parleurs des mosquées claironner que les femmes doivent désormais porter la burqa et être accompagnées d’un chaperon mâle en public. Ils brûlent les écoles publiques, les bibliothèques et les laboratoires d’informatique.
« Nous détruisons ces lieux et mettons en place nos propres écoles religieuses pour former les talibans de demain », a expliqué un combattant local à la chaîne France 24 en juin 2021.
Dans les écoles religieuses pour filles dirigées par les talibans, les élèves apprennent en quoi consiste le rôle « approprié » des femmes, selon leur interprétation stricte du Coran. Il consiste essentiellement en l’accomplissement de tâches domestiques.
Pour beaucoup d’Afghans, la manière d’agir des talibans prouve que ceux-ci rejettent les principes de base de la démocratie, dont ceux de l’égalité des sexes et de la liberté d’expression.