Rachida El Azzouzi
Paris – Pour le sociologue algérien, Mohamed Mebtoul, la déclaration de renoncement du président Bouteflika à un cinquième mandat est un mensonge au peuple qui se poursuit. Mais ce dernier n’est pas dupe, particulièrement sa jeunesse, désormais actrice incontournable dans la transformation du politique.
« La société n’est pas une cruche vide que le pouvoir peut constamment instrumentaliser » , réagit le sociologue Mohamed Mebtoul alors que le pouvoir algérien a annoncé le renoncement du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat sans dire quand (et si un jour autre que celui de sa mort) il achèverait le quatrième. Professeur à l’université Oran 2, fondateur de l’anthropologie de la santé en Algérie ainsi que du Groupe de recherche en anthropologie de la santé (GRAS) à l’origine notamment d’une grande enquête sur la jeunesse, et auteur d’un ouvrage percutant Algérie : la citoyenneté impossible ? (éditions Koukou, 2018), Mohamed Mebtoul voit dans la déclaration de renoncement du président zombie la promesse d’une continuité du régime. Entretien.
Comment analysez-vous la déclaration de renoncement du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat et le report des élections ?
Mohamed Mebtoul : Bouteflika et sa clientèle continuent en réalité de mentir au peuple. Comme la lettre du 3 mars 2019 où le président promettait à sa réélection une conférence inclusive avec la participation de l’opposition ainsi qu’une nouvelle constitution plus adaptée à la réalité politique et l’organisation d’une élection présidentielle anticipée sans lui,le pouvoirfonctionne à la manipulationet à l’instrumentalisation de l’histoire.
Placer premier ministre un ancien responsable du ministère de l’intérieur est unepreuve irréfutable que lepouvoir est dans sa continuité à lui. Il ne répond en aucune façon aux attentes du mouvement populaire. Le discours d’aujourd’hui est très clair. Il stipule que c’est bien le même régime politique qui se recycle en organisant la conférence, en prenant les décisions qui lui permettent de rester au pouvoir. Le mouvement populaire a exigé la rupture avec le système politique et non pas sa reproduction à l’identique. Bouteflika n’est qu’un des instigateurs du régime politiquequi continue dans le mépris et l’irrespect du peuple.
Noureddine Bedoui, le nouveau premier ministre est un homme du système politique. Il a fait toute sa carrière dans l’administration en qualité de wali (préfet). Il est discipliné. Il appliquera à la lettre les instructions du clan présidentiel. En réalité, le maître d’oeuvre du processus politique imposé par le haut – nouvelle constitution soumise au référendum, conférence nationale, préparation des élections présidentielles sans que l’on ait une date précise – est incontestablement le même régime politique en connivence avec le responsable de l’armée.
Le chef d’état-major Gaïd Salah a toujours défendu avec acharnement Bouteflika. Le changement souhaité par le peuple, à savoir une transition vers la démocratie, a été bel et bien avorté par le pouvoir qui reste en place. Aucune dissolution du parlement et du sénat qui aurait permis de faire émerger d’autres acteurs politiques n’est prévue. Le mouvement social malgré son ampleur n’aura pas pour l’heure suffi pour démanteler en profondeur le système politique.
Vous voulez dire que le peuple algérien est condamné à vivre sous le règne de la « continuité » du régime, du système Bouteflika ?
Non, pas au regard de ce mouvement social pluriel et puissant. La notion de « continuité » mobilisée par le pouvoir ne peut plus, à mon sens se reproduire à l’identique. Elle semble fortement dépassée, aujourd’hui. Elle est devenue une notion vide de sens. La « continuité » , tel que l’entend le pouvoir, « restons tels que nous sommes » , est bel et bien morte parce que le système politique n’a plus les ressorts politiques pour manipuler les gens. Le pouvoir est incontestablement dans la défensive, le silence et la peur de se voir éjecté brutalement par celles ou ceux qu’il a méprisés.
Le mouvement social est fort parce qu’il mobilise trois éléments indissociables : le patriotisme populaire qui se traduit par l’amour du pays. On entendra souvent dans les propos des jeunes : « J’aime plus profondément mon pays que ces gens du pouvoir » , ou au contraire : « C’est mon pays aussi. C’est pour cela que je manifeste. » La symbolique est attestée par la connivence avec le drapeau national porté autour du corps des jeunes manifestants.
La proximité physique et affective avec le drapeau est très importante. Elle remet en question d’autres slogans tenus par les jeunes lors de la venue du président Chirac en Algérie, en 2001 : « Donnez-nous le visa, donnez-nous le visa. » Or, dans les manifestations, on assiste à une inversion cognitive. Il y avait au contraire, de par les slogans chantés collectivement, un besoin de réinventer autrement la nation telle qu’elle a été gérée de façon autoritaire par les différents pouvoirs depuis l’indépendance politique de l’Algérie en 1962.
Tout indiquait concrètement l’émergence d’une autre indépendance formulée cette fois-ci par les gens de toute catégorie sociale, ces jeunes âgés entre 15 et 30 ans, fortement déconsidérés par le pouvoir. Il suffit de noter les observations suivantes au cours des marches : klaxons de voitures, de motos, les youyous stridents des femmes, les drapeaux portés par des mains très frêles de jeunes manifestants, dévoilant un mouvement des corps enfin libres, et une inventivité du langage ordinaire des jeunes. Le deuxième élément au centre de ce mouvement est incontestablement ce besoin de dignité, qui va au-delà de la dimension strictement affective et morale, une quête de reconnaissance sociale et politique.
On peut le dire de façon plus métaphorique, en traduisant les propos des jeunes : « Vous nous avez mis [à propos du pouvoir] sur la touche pendant des décennies, sans aucune perspective politique. Aujourd’hui, nous voulons enfin vivre et exister dans la société, sans être rejetés comme des « bons à rien ». » Enfin, ce mouvement social a incontestablement permis de redonner du sens au mot liberté. Cette liberté de parole et d’action a permis aux manifestants de se réapproprier l’espace public et politique. Le slogan le plus significatif était le suivant : « Algérie libre et démocratique » .
Les appels à manifester et à poursuivre le mouvement continuent de se multiplier. Le rapport de force reste-t-il du côté du peuple ?
Indéniablement, le rapport de force est en faveur des Algériens qui ont eu le courage de briser avec panache le mur du silence. Ils ont donné à voir un régime fragilisé et mortifère qui tente encore par la manipulation et les mensonges de gagner du temps et qui opte pour de scabreuses parades. L’objectif est de sauver sa peau qui se confond avec celle du système politique. Celui-ci a nourri et engraissé pendant deux décennies toute une clientèle diversifiée. Elle est insérée activement dans les différentes institutions : patronat, UGTA, Armée, institutions parlementaires, partis politiques de l’Alliance présidentielle, Organisation des anciens moudjahidine, etc. Même si on assiste de plus en plus ces jours-ci à des revirements de certains membres influents de ces organisations dépendantes du pouvoir, qui se prononcent contre le 5 e mandat.
Ces courtisans étaient bien dans la vénération calculée du président de la République, revitalisé par un faux et usage de faux du fait de sa maladie, un cadre vide honoré par ses partisans. Ils avaient en effet besoin de lui, pour faire fructifier leurs affaires douteuses. Tout leur était permis gratuitement et sans efforts : les marchés, les prêts bancaires sans délais de remboursement, le placement de leurs enfants dans les institutions publiques et privées, leur donnant accès à d’immenses privilèges, renforçant les inégalités sociales entre les différentes catégories sociales. Ils ont la possibilité de contrôler la société, en recrutant de façon considérable les policiers au nombre actuel de plus de 220 000. On a donc un semblant d’État, loin d’être au service des intérêts publics, qui s’est fortement privatisé durant ces deux dernières décennies Bouteflika.
L’État a fonctionné dans un entre-soi sélectif, mobilisant les affinités familiales et régionales. Il s’agissait de placer les siens à de hauts postes de responsabilité : le frère Saïd est conseiller spécial du président, le président du sénat est de la même région que ce dernier, le président du conseil constitutionnel, nouvellement nommé est un proche du président, une façon de se protéger contre les frères ennemis. Ce sont tous ces éléments qui sont mis en exergue par les jeunes qui n’ont en réalité jamais été écoutés, étiquetés par les acteurs politiques de façon paternaliste, comme des irresponsables qui ne souhaitent pas travailler dans leur pays. Quelle belle revanche pour ces jeunes Algériens de démontrer le contraire ! Ils ont donné une véritable leçon de lucidité, de courage politique et de civisme aux différents tenants du pouvoir.
« La confiance rejaillit entre les Algériens. La parole dans les familles est plus libre »
Vous avez étudié la notion de citoyenneté en Algérie. Pourquoi est-elle impossible selon vous ? Comment le système politique a-t-il perverti l’action citoyenne ?
Mon ouvrage sur la citoyenneté a été la résultante de mes différents travaux d’enquête menés pendant plus de trente ans dans les domaines du travail ouvrier dans l’industrie, de la santé, la maladie, la médecine, et des jeunes de conditions sociales diversifiées. Je me suis inscrit dans une approche anthropologique pour appréhender finement la notion de citoyenneté, en partant de l’expérience sociale des gens qui me montraient de façon éclatante leur opposition sourde, invisible, peu reconnue au mode de fonctionnement autocratique du pouvoir algérien, se considérant comme « n’étant rien dans la société » .
La notion de citoyenneté n’a donc pas été décryptée, comme l’ont fait les juristes et les chercheurs en science politique, de façon normative, mais au contraire, en privilégiant les pratiques quotidiennes des personnes. Je tente de montrer les difficultés de sa construction dans la société algérienne en raison de la non-reconnaissance sociale et politique de la personne. Les données de terrain me permettaient d’indiquer l’effacement de la citoyenneté qui est aussi une manière de s’indigner, de s’insurger contre les multiples injustices sociales et les tentatives d’infantilisation de la population.
Il est en effet difficile d’être reconnu comme citoyen quand le pouvoir ne cesse d’instrumentaliser l’histoire présentée de façon toujours héroïsée, lisse, sans aucune bavure. Tout était parfait en référence à des chiffres fabriqués politiquement sur le nombre de logements, d’universités, de routes, etc. Le pouvoir n’avait pas besoin de citoyens mais de sujets obéissants et de spectateurs enthousiasmés, les obligeant à applaudir – même s’il faut pour cela user de la corruption – les résultats toujours « positifs » acquis sous la « clairvoyance » du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, devenant l’homme providentiel pour ses courtisans qui se sont constamment appuyés sur lui, pour continuer à accaparer les richesses du pays, ou de ce qu’il en reste…
L’action citoyenne a donc été constamment pervertie par le pouvoir qui a joué sur la peur en indiquant aux Algériens : « Vous avez de la chance de vivre dans un pays « stable » comparé à beaucoup d’autres pays arabes. » Il est donc important d’accepter le statu quo, en restant tranquille et sage, puisque l’État-pouvoir, par la médiation des subventions, permettait aux Algériens de toute condition sociale d’accéder aux produits de première nécessité, à des prix avantageux. Le statu quo est présenté comme la seule alternative « crédible » qui assure le « bien » des Algériens, mais sans eux.
Il y a donc une volonté politique explicite de privilégier une forme de stagnation collective imaginaire qui interdit toute possibilité d’autonomisation des agents sociaux devant rester dépendants du politique. Celui-ci a privilégié la société du « ventre » pour construire le statu quo. La société du « ventre » signifie ici l’engagement du pouvoir à façonner, renforcer et valoriser le statut de consommateur qui laisse peu de place à des formes d’émancipation politiques et culturelles qui sont pourtant centrales dans la construction de la citoyenneté. La société algérienne est gérée de façon autoritaire.
Les pouvoirs publics sont enfermés dans leurs rationalités a priori , continuant à importer massivement des produits divers, pour plus de 44 milliards de dollars pour l’année 2018, faisant le bonheur des importateurs algériens et des États des pays occidentaux. Le risque majeur à très court terme est d’être contraint pour le pouvoir de quémander de l’aide financière auprès des organismes internationaux, notamment le Fonds monétaire international.
Assiste-t-on à un retour de la citoyenneté aujourd’hui avec ces marées humaines, pacifiques, civiques, fraternelles et festives déferlant partout dans le pays, à la ville comme à la campagne ?
Le mouvement est d’un civisme exemplaire et magnifique qui remet en question tous les présupposés et les jugements rapides et négatifs portés sur les jeunes Algériens par le pouvoir algérien. Ce mouvement social est en effet porteur de citoyenneté qui peut être rapidement caractérisée par une appropriation active, collective et plurielle de l’espace public et politique.
Disons-le de façon prudente face à un processus en cours et donc inachevé, on assiste timidement à l’émergence du citoyen qui a pris l’initiative de s’indigner et de dire tout haut et publiquement qu’il n’en peut plus de ce pouvoir qui l’a toujours considéré comme « mineur » , incapable de dire le politique, ce qui est une façon d’instituer la société. Par ce mouvement populaire qui a émergé par le bas, ils disent tout simplement leur refus de rester sous tutelle d’un pouvoir désigné par la force et la manipulation des personnes.
La conviction politique va-t-elle pouvoir refaire surface ?
Il ne faut pas être naïf ou idéaliste. Le mouvement populaire est à ses débuts. Le sursaut général est lié aujourd’hui au refus catégorique du système politique. Il concerne aussi, faut-il le souligner, les multiples défections ou stratégies de reconversion parmi un nombre important de personnes mais aussi d’associations qui étaient antérieurement sous la dépendance du pouvoir. Ce recyclage politique n’est en aucune façon spécifique à l’Algérie. Mais il semble indiquer que rien ne sera comme avant. La glace a été trop brisée pour qu’elle puisse être reconstituée telle qu’elle était à l’origine.
Les jeunes ont montré, loin des discours paternalistes sur leur indifférence ou leur dépolitisation, qu’ils représentent désormais un acteur social incontournable dans la transformation du politique. Il semble important que le débat public et contradictoire puisse avoir lieu sereinement dans les espaces publics pour proposer des pistes de changement dans cet esprit solidaire et unitaire qui a marqué les marches des vendredis. La conviction politique est une construction sociale et collective qui ne peut s’opérer uniquement par des injonctions administratives ou juridiques.
Il semble important d’affronter et démystifier avec courage et lucidité les multiples censures, les interdits, les non-dits, les peurs qui ont, il faut le souligner, profondément façonné la société. Or c’est par la réflexivité collective que le mouvement social et populaire pourra grandir, se renforcer, pour permettre cette invention démocratique au quotidien. Nous observons déjà dans la vie quotidienne des signes intéressants : la confiance rejaillit entre les Algériens. Le stress semble moins lourd à porter. La parole dans les familles est plus libre. On assiste à un processus d’enchantement dans la société.
Les institutions universitaires, par exemple, sont l’objet d’une réappropriation active, critique et quotidienne par les enseignants et les étudiants. Ces derniers remettent en question la circulaire en date du 9 mars du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Celui-ci déploie son pouvoir d’ordre pour exiger le départ en vacances anticipé d’une semaine des acteurs de l’université, dans le but de briser le mouvement social. Cela montre la pertinence d’une dynamique par le bas. Nous avons écrit, avec beaucoup d’insistance que les gens ne sont pas « des idiots culturels » pour reprendre les termes du sociologue Garfinkel. La société n’est pas une cruche vide que le pouvoir peut constamment instrumentaliser.
La jeunesse est la plus mobilisée parce que l’Algérie est un pays de trentenaires dirigés par des octogénaires. Peut-elle encore être sauvée alors que la majorité rêve de « harga » (l’exil en traversant la Méditerranée à ses risques et périls) pour fuir la « hogra » (l’injustice, le mépris érigé en système), la « mal-vie » et l’absence de perspectives économiques ?
Évoquons plus précisément un imaginaire fort et contraint des jeunes mais aussi d’une partie de l’élite de vouloir quitter le pays parce qu’ils n’ont jamais été reconnus socialement, politiquement par les pouvoirs indifférents à leurs attentes. Il était donc important d’écouter ce cri de rage des jeunes dans leur diversité sociale et culturelle, centré sur le désir profond d’exister, de vivre et d’être considérés comme des citoyens qu’ils n’étaient pas.
Le philosophe français Paul Ricoeur a bien montré que l’absence de reconnaissance à l’égard de l’Autre aboutit à faire valoir de la contre-violence. Elle représente une réponse à la violence du politique qui fonctionne dans le mépris et l’arrogance à l’égard de ces jeunes stigmatisés et délaissés. Il est important d’écouter les mots des jeunes, pour saisir aujourd’hui l’ampleur du mouvement populaire. Les mots sont focalisés sur leur profond mal-être dans la société : « Je ne vaux rien dans la société » ; « C’est le vide » . C’est cette souffrance au quotidien qui les conduit à produire un discours politique radical mais juste sur les tenants du pouvoir : « Ils ont mangé le pays » ; « Voleurs, voleurs, dégagez » , etc.
Aujourd’hui, la dynamique sociale et populaire, créée par les jeunes de façon dominante, a incontestablement permis l’appropriation d’un contre-pouvoir important reconnu dans la société et par un nombre de plus en plus important d’acteurs institutionnels. Autrement dit, la « hogra » qu’il est possible de caractériser rapidement par l’humiliation, le mépris et l’injustice, est indissociable de la « harga » , consistant pour les jeunes à contourner les frontières pour se rendre en Europe.
Ils ne pouvaient plus rêver dans leur propre pays, contraints au silence, en restant dans un coin de rue ou un café, ou se rendre dans les stades de football, seuls espaces qui leur permettaient de créer avec dérision et humour des chants très critiques à l’égard des tenants du pouvoir, repris dans les marches, faisant référence à un vomissement symbolique du système politique qui doit « dégager » .
En tout état de cause, même si sociologiquement, il est difficile de prévoir l’avenir, le marquage fort et historique du mouvement social ne peut se lire que par la détermination et une volonté des jeunes à refuser la « hogra » qui s’est propagée dans les différentes institutions étatiques : justice, santé, universités, etc.
Vit-on un clash générationnel ? Une nouvelle génération est-elle en train d’émerger et d’inventer de nouveaux modes d’action grâce aux réseaux sociaux ?
Je ne parlerai pas de clash entre générations. Le mot « clash » me semble un peu fort au regard de ce que nous vivons aujourd’hui : le respect des jeunes me semble très prégnant à l’égard des personnes âgées. Dans le mouvement social, des vieilles femmes étaient soutenues par des jeunes, pour leur permettre d’être présentes durant les manifestations. Mais c’est vrai que les schémas de pensée et d’action sont radicalement différents. Les catégories de jeunes ayant aujourd’hui entre 20 et 30 ans sont dans leur monde à eux, dominés effectivement par la mondialisation et les réseaux sociaux.
N’étant pas écoutés par les pouvoirs publics, peu insérés dans le champ politique officiel, parce qu’ils n’y croient pas… Plus essentiellement, le pouvoir les a cloisonnés dans leurs espaces : le coin de rue, les stades, les cafés. Leur seule ressource cognitive forte qui donne sens à leur vie, ce sont les réseaux sociaux, en particulier Facebook. Par leurs médiations, ils s’adonnent à des discussions passionnées marquées par l’humour et une inventivité du langage ordinaire, métissage de l’arabe dialectal et du français, concernant non seulement la politique, le football, la sexualité, mais la production d’un imaginaire vers l’ailleurs. Ils évoquent souvent leur normalité.
« C’est normal que je veuille m’amuser, discuter de tout, plaisanter avec mes amis, draguer… » Par ces aspects, nous sommes effectivement en présence d’une nouvelle génération qui veut vivre profondément sa vie de façon décrispée, pragmatique, pouvant conjuguer à la fois le registre religieux sans passion et la volonté de mobilité, en s’inscrivant pleinement dans la mondialisation. Ils ne sont pas dans les conflits irréductibles, les démarcations brutales et les oppositions politiques radicales qui ont été mis en exergue par les générations précédentes.