Allemagne : le contestable héritage européen d’Angela Merkel

 

Pour les uns, la chancelière allemande a sauvé l’Union européenne dans une période de crise ininterrompue. Pour les autres, son « règne » se résume à un « Merkantilisme » faisant primer les intérêts allemands sur tout le reste. Elle laisse en héritage une Europe plus divisée et plus minée que jamais.

S’ils avaient pu, les Allemands auraient voté pour Angela Merkel une cinquième fois. À défaut, ils sont à la recherche du candidat le plus à même de poursuivre la même trajectoire, la même politique. Son ministre SPD des finances, Olaf Scholz, semble tenir la corde.
Si l’Allemagne a tant envie de perpétuer l’ère Merkel, c’est que pour elle, ces 16 ans de pouvoir – un des plus longs mandats politiques en Europe de ces dernières décennies – ont été comme un « âge d’or ». Pendant ses mandats débutant juste après l’entrée des pays de l’Europe de l’Est dans l’Union, le pays a retrouvé sa pleine puissance, a été accepté comme l’acteur dominant de l’Europe et a remodelé le continent selon ses vues sans rencontrer la moindre résistance, la moindre objection.
Mieux, l’Allemagne s’est affirmée comme un pôle de stabilité dans un monde en plein chamboulement. Quand les Américains se désespéraient des sautes d’humeur, des folies de Donald Trump, que les Britanniques s’interrogeaient pour savoir où Boris Johnson les emmenait, Angela Merkel était la dirigeante occidentale qui incarnait encore un monde connu, les valeurs libérales et humanistes. « On se souviendra d’elle pour son sérieux, son leadership stable, son talent pour le compromis politique », écrit déjà plein de regrets l’éditorialiste Ishaan Tharoor dans le Washington Post.
Qui parlera désormais au nom de l’Europe ?, s’inquiètent déjà de nombreux observateurs. Alors que, de la crise climatique à la pandémie de Covid-19, en passant par la possibilité d’une nouvelle guerre froide entre une Chine affirmant sa puissance et des États-Unis ébranlés, le monde est sens dessus dessous, l’Europe ne va-t-elle pas être cantonnée au rôle de grande muette, de spectatrice passive après le départ de la chancelière ?
Le « Merkantilisme » comme ligne de conduite
Mais a-t-elle vraiment eu ce rôle ? A-t-elle vraiment été le leader de l’Europe ? Certains célèbrent aujourd’hui la chancelière comme celle qui a su maintenir, en dépit de tout, l’Union européenne. Ces détracteurs dénoncent au contraire une dirigeante pusillanime, subissant les événements plus que les contrôlant, qui n’a eu comme ligne de conduite que le « Merkantilisme ». Une politique marquée par la défense des intérêts allemands au point d’en oublier la solidarité et les principes européens.
Dans tous les cas, le bilan européen d’Angela Merkel, à bien y regarder au moment de son départ, est loin d’être convaincant. Elle laisse en héritage une Union européenne essorée, non pas tant par la crise du Covid-19 que par des années d’austérité, d’absence de croissance, d’ambition et de perspective. Depuis l’instauration de l’euro, certains pays, à l’instar de l’Italie, ne sont allés que de récession en stagnation. Le chômage, et particulièrement celui des jeunes, dans l’Europe du Sud, atteint des niveaux stratosphériques, nourrissant un exode de toute une jeunesse formée.
Les déséquilibres patents dès les débuts de la construction européenne n’ont cessé de s’accentuer. Les pays périphériques, dont toute l’Europe du Sud, mais aussi la Finlande et la France, ne cessent de se désindustrialiser et de s’appauvrir au profit d’un centre formé par l’Allemagne et son hinterland formé autour des Pays-Bas, de l’Autriche et d’une partie des pays de l’Europe de l’Est intégrés à la chaîne de valeur allemande.
Toutes ces questions ont soigneusement été mises sous le tapis, Angela Merkel laissant à ses successeurs le soin de les régler d’une façon ou d’une autre. Quelle que soit l’urgence des problèmes. Car ce laminage économique vient nourrir un malaise social et politique profond en Europe. La décomposition politique et la montée des droites extrêmes dans nombre de pays européens en sont la marque, au fur et à mesure que s’ancre l’idée qu’il n’y a pas d’alternative, qu’il n’y a pas d’autre politique possible, comme Angela Merkel l’a maintes fois répété .

Il n’y avait rien d’inéluctable à ce que la crise financière de 2008, née des débauches des banques et du système financier international, se transforme en crise de la dette, de la zone euro. Rien, si ce n’est que la voie choisie par Angela Merkel y a mené tout droit.

Tout n’est pas le fait uniquement d’Angela Merkel. Ses seize années de mandat à la tête de l’Allemagne ont tout été sauf un long fleuve tranquille. Un mot résume la période : crise. Qu’elle ait été financière, économique, politique, sociale , migratoire, sanitaire, climatique, ce fut un enchaînement ininterrompu de crises. Une partie de ces conflagrations ont été ou sont encore liées aux systèmes de production, de surexploitation, de dérives financières instaurés depuis des décennies. Mais les réponses – et plus souvent encore les non-réponses – choisies par Angela Merkel ont aussi contribué à les amplifier.
Car il n’y avait rien d’inéluctable à ce que la crise financière de 2008, née des débauches des banques et du système financier international, se transforme en crise de la dette, de la zone euro, en une décennie perdue pour le continent. Rien, si ce n’est que la voie choisie par Angela Merkel, soufflée par son ministre des finances Wolfgang Schäuble, y a mené tout droit.
Passé le moment de sidération et de panique provoqué par l’effondrement de Lehman Brothers, Angela Merkel, poussée par une droite allemande acquise de longue date à l’ordolibéralisme, a participé activement à une des plus grandes manipulations intellectuelles du néolibéralisme. Cette crise, née d’un total dérèglement de la sphère financière et du privé rivalisant dans des innovations plus obscures et incontrôlables les unes que les autres, transformant le monde en un vaste casino, est devenue par magie une crise liée aux dépenses publiques, aux dérives budgétaires des États. Le déficit public, les dettes publiques, voilà où étaient la faute morale, le péché, selon les responsables politiques allemands.
Loin de se pencher sur le rôle des banques – la Deutsche Bank n’étant d’ailleurs pas la dernière en matière de turpitudes –, le gouvernement allemand mit tout son poids pour exonérer la finance et ses actionnaires de toute responsabilité et leur demander au moins partiellement de payer la note. À aucun moment le rôle des banques françaises et allemandes ne fut soulevé dans les difficultés de la Grèce, celles-ci n’étant imputables, à en croire les conservateurs, en particulier allemands, qu’aux errements des gouvernements grecs successifs. Les problèmes de l’Espagne liés à l’éclatement de la bulle immobilière ne furent plus associés aux prises de risque inconsidérées des banques mais aux dépenses du gouvernement socialiste. On eut recours à la même fiction pour l’Irlande, plombée par la faillite de ses banques.
Dès 2009, Angela Merkel fit adopter par le parlement allemand le principe du zéro déficit (Schwarze Null) comme règle inviolable des politiques publiques en Allemagne. Le principe devait s’imposer à toute l’Europe en quelques mois. À partir de 2010, l’austérité, la rigueur budgétaire, les coupes sociales devinrent les lignes directrices de la politique européenne. Alors que l’économie mondiale sortait avec grande difficulté de la crise financière, l’ensemble des pays européens, sous l’influence de l’Allemagne, décidèrent de supprimer tout soutien budgétaire, d’adopter des politiques de réduction budgétaire. Tout devait tendre vers le zéro déficit.
Avec le recul, mêmes les plus orthodoxes des économistes considèrent que cette orientation fut une des plus grandes erreurs des responsables politiques européens de l’époque. Au nom d’un fétichisme absurde pour des chiffres sans signification, ces derniers avaient tué les ferments d’une reprise, alors que le continent n’était pas encore remis de la crise de 2008. L’Europe entrait dans la tourmente.
Le monde découvrit alors les PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne), l’acronyme créé par le monde financier pour désigner les pays vulnérables de la zone euro, ceux contre lesquels la spéculation pouvait se déchaîner, quel qu’en soit le prix à payer pour les populations. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ouvrirent toutes grandes les portes au déchaînement de la spéculation lors du sommet de Deauville en octobre 2010. Contre un soutien consenti du bout des lèvres aux pays de la zone euro en difficulté, la chancelière posait comme conditions au soutien financier de l’Allemagne un retour aux critères de Maastricht (3 % de déficit budgétaire, 60 % de dettes publiques par rapport au PIB) pour tous les pays aidés dès 2013 et la mise à contribution des créanciers privés en cas de sauvetage d’une banque européenne par le mécanisme européen de stabilité.
Présentée comme pragmatique, Angela Merkel révélait dans les faits un dogmatisme acharné. Ses prétentions étaient tellement irréalistes qu’il n’en fallut pas plus pour déchaîner les éléments. L’Europe sombra dans la crise de la dette, la crise de l’euro, révélant sous une lumière crue les faiblesses, les erreurs de conception de la zone euro depuis sa création et surtout l’absence de toute solidarité.
D’une union entre pays, l’Europe se transformait sous nos yeux en attelage bancal entre créanciers et débiteurs. La presse populaire allemande, à l’unisson de la droite la plus conservatrice, se déchaîna, vitupérant contre ces pays du Club Med, fainéants et braillards, ces Grecs menteurs et duplices qui venaient piller les Allemands. Pas une seule fois Angela Merkel n’eut un mot pour critiquer ces attaques, pour faire taire une droite toute proche de l’extrême, pour défendre les pays de l’Europe du Sud. Et jusqu’en juillet 2015, la chancelière allemande laissa planer le doute sur sa volonté d’exclure la Grèce de l’Union, comme son ministre des finances le souhaitait.
De cette période, Angela Merkel donne l’image d’une chancelière procrastinant, ne cessant de temporiser, de tergiverser, refusant toute action commune concertée. Sa ligne et ses choix paraissent alors déterminés par les circonstances de l’instant, des élections régionales ici ou là, des échéances ou des discussions avec la droite bavaroise. À maintes reprises, les chefs d’État européens, le président américain Barack Obama et même le gouvernement chinois partirent à l’assaut de Berlin pour presser la chancelière de prendre des décisions, de s’engager pour sauver la zone euro. En vain.
Un corset de fer pour les États membres de la zone euro
Si Angela Merkel a pu avoir une telle longévité à la tête de l’Allemagne, si elle peut partir aujourd’hui en étant qualifiée de la femme qui a sauvé l’Europe, elle le doit à une seule personne : Mario Draghi, président de la BCE de fin 2011 à 2019. Il a été celui qui a tenu à bout de bras l’euro, le dernier lien qui tenait alors l’Union européenne. Utilisant toutes les ficelles, les subterfuges, passant outre les veto de la Bundesbank et de ses alliés, forgeant des alliances avec tous ceux qui pouvaient lui être utiles, il est parvenu à contourner en partie la résistance allemande, et à maintenir une Union européenne au bord de l’explosion, grâce à la monnaie unique. Mais il n’avait qu’une arme à sa disposition : la politique monétaire, avec ses lacunes et à double tranchant.
Mais cette brèche à l’orthodoxie monétaire a eu son prix. Par petits pas, par petites touches, Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schäuble ont enfermé les responsables européens : en contrepartie d’un sauvetage hors norme de l’euro, ils ont imposé un corset de fer à l’ensemble des pays de la zone euro.
Mécanisme de sauvetage européen, pacte de stabilité instaurant de nouveaux critères, notamment un déficit structurel devant tendre d’abord vers 1,5 %, puis vers zéro, réformes structurelles imposées, à commencer par les retraites, le chômage, la santé, l’éducation, quasi-bannissement de tout investissement public, soumission de tous les budgets avant même les parlements aux instances européennes : toute une nouvelle architecture économique et financière pour l’ensemble des pays européens a été mise en œuvre. Et pour les récalcitrants, il y avait l’exemple de la Grèce sous les yeux. Avec les mesures sauvages imposées par la Troïka (FMI, BCE, Union européenne) à la clé.
« Ce qui était en jeu n’était pas les performances macroéconomiques mais l’imposition de la discipline à un membre rebelle de la zone euro »rappelle l’économiste et historien Adam Tooze dans son livre Crashed : comment une décennie de crise financière a changé le monde, qui sert de référence sur cette période. Pour lui, l’Europe a conduit à ce moment-là des politiques relevant d’un suicide collectif.
Tout cela été censé redonner une cohésion et une cohérence à la zone euro. Il n’en a rien été. L’Allemagne a d’une certaine façon continué à jouer les passagers clandestins de l’euro, profitant d’une monnaie encore plus sous-évaluée, en raison des faiblesses de ses partenaires, par rapport à sa force économique pour augmenter ses excédents commerciaux. Jamais Angela Merkel et la classe politique allemande n’ont voulu admettre que ces déséquilibres internes posaient problème, que les déficits des autres étaient l’envers de la pièce des excédents allemands. Pour elles, ils sont juste la marque des succès de la politique, de l’économie et de l’industrie allemandes.
Aucun mécanisme de compensation et de transfert n’a été mis en place pour corriger les déséquilibres et lutter contre les forces centrifuges. Même l’union bancaire, si souvent mise en avant par les responsables politiques pour montrer une construction européenne en marche, n’a jamais été achevée, en raison des blocages de Berlin : il n’était pas question que l’Allemagne paie pour les autres. Et pour bien signifier que l’indépendance de la BCE ne saurait lui donner toute latitude, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe plaça sa politique de rachats de titres sous examen.
Surtout, l’Europe a perdu toute dynamique, tout attrait. Après la Grèce et le régime qui lui a été imposé, l’idée européenne est devenue pour certains un repoussoir, une menace. À l’exception de la Grande-Bretagne qui a choisi de rompre avec fracas, aucun autre pays n’a envisagé de prendre le large. « Nous en sommes à un stade où il n’y a ni de force pour transformer l’Europe ni de force pour la détruire »,résume l’économiste Benjamin CoriatChacun d’une façon ou d’une autre a commencé à prendre ses distances, à donner des coups de canif plus ou moins profonds dans le contrat européen.
La question des réfugiés a été le premier révélateur de ces nouvelles fractures.
Sur cette question, Angela Merkel a d’abord été exemplaire. Une même référence revient sans cesse pour saluer Merkel l’Européenne, son courage et sa hauteur de vue : ce jour d’août 2015 où la chancelière allemande décida seule de laisser ouvertes les frontières pour accueillir des milliers de réfugiés en provenance de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak, qui, fuyant les guerres et les atrocités, se bousculaient aux portes de l’Europe, aux frontières de l’Autriche et de la Hongrie : « Wir schaffen das » (« On y arrivera »), déclara-t-elle alors, résolue.
Cette décision si rapide prit de court tout le monde : elle était si contraire aux habitudes de prudence, de procrastination, d’hésitation devenues une des marques des mandats successifs d’Angela Merkel. Il n’y avait qu’un seul précédent depuis qu’Angela Merkel était aux affaires : lorsque la chancelière annonça sans concertation la fin du nucléaire en Allemagne, à la suite de l’accident de Fukushima en mars 2011.
Six ans après, cette décision d’accueillir les réfugiés syriens, qui a profondément divisée la droite allemande – et permis, selon certains analystes, la montée en puissance du mouvement d’extrême droite AfD – est encore débattue. Pour certains, la chancelière n’a fait que plier devant les événements : des milliers de réfugiés étaient déjà sur les routes européennes depuis le printemps, submergeant les frontières de l’Autriche et de la Hongrie. Il était impossible de contenir un tel afflux. Mais même cette audace de l’été 2015, font-ils valoir, n’a été que de courte durée. Les premières vagues passées, la chancelière s’est empressée de refermer les frontières, de rétablir la politique de contrôle et de fermeture européenne établie dès 2007.
En Allemagne, l’accueil de près d’un million de réfugiés a été un effort remarquable et un incontestable succès : plus de la moitié d’entre eux sont intégrés, ont un travail, poursuivent des études et des formations. Mais sur le plan européen, rien n’a bougé. En dépit des diverses promesses, aucune politique européenne cohérente en ce domaine n’a été conçue depuis. À aucun moment Angela Merkel ne s’est attelée à réduire au silence les oppositions des pays de l’Europe de l’Est, Pologne et Hongrie en tête, afin d’élaborer une politique migratoire commune. Peu de gestes ont été faits pour venir en aide aux pays en première ligne. La Grècel’Italie et l’Espagne ont été laissées seules face aux flux des réfugiés.
Cette grande tolérance d’Angela Merkel vis-à-vis des gouvernements de droite extrême hongrois et polonais se retrouve à bien des étapes. Alors que ces derniers mettent en pièces délibérément des pans entiers de ce qui est censé être la charte des valeurs communes de l’Union, que ce soit en matière de droits des femmes et des LGBT, de justice, de presse, Angela Merkel s’est toujours gardée de hausser le ton face à eux.
Plus grave : lorsqu’il s’est agi d’élaborer un plan de relance commun pour faire face à l’effondrement provoqué par la crise sanitaire, plusieurs États membres emmenés par les Pays-Bas avaient réclamé que les sommes soient liées au respect des engagements européens par les pays membres. Au nom du réalisme, pour permettre la création de ce plan de relance, présenté comme « une formidable avancée européenne », Angela Merkel prit la tête des négociations pour trouver un compromis avec la Pologne et la Hongrie.
Quel accord a-t-elle réellement passé avec la Hongrie d’Orbán et la Pologne de Kaczynski, le leader de l’ultraconservateur et nationaliste PIS, pour obtenir la levée de leur veto au plan de relance ? Personne ne l’a vraiment compris. Mais le rappel à l’ordre n’a manifestement pas été fort. Semaine après semaine, la Hongrie et la Pologne continuent leurs attaques répétées contre « l’ordre européen ». Et Angela Merkel se tait, les intérêts des groupes allemands qui profitent de la base arrière de l’Est leur apportant une main-d’œuvre formée et bon marché semblant l’emporter sur toute autre considération. Tout comme ils l’ont emporté dans la lutte contre le réchauffement climatique.
C’est avec le même cynisme que la chancelière a imposé en décembre un accord commercial entre l’Europe et la Chine, en dépit des déportations des Ouïghours, de la mise au pas de Hong Kong et de la politique chinoise de répression. Car il en allait des exportations allemandes vers la Chine, devenu le deuxième partenaire commercial de Berlin. L’accord a été suspendu à la suite du durcissement du gouvernement chinois. Mais à Bruxelles et Berlin, beaucoup espèrent que ce ne sera que provisoire.
Tout comme doit être provisoire la suspension des règles budgétaires européennes, adoptée en avril 2020 en plein arrêt de l’économie européenne. «  Il est de l’intérêt de l’Allemagne que l’Union européenne ne s’effondre pas », avait alors déclaré Angela Merkel dans un entretien au Monde. Certains avaient voulu croire à une révolution copernicienne chez la chancelière allemande : après avoir été sourde à tout pendant la crise de l’euro, elle admettait enfin que l’Allemagne et le reste de l’Europe du Sud avaient parties liées, que son pays ne pouvait vivre entouré par des pays en plein marasme économique et social.
Les débats actuels viennent crever ces illusions. Alors que les pays européens se relèvent difficilement de la crise sanitaire, que les finances publiques sont laminées dans nombre des États membres, que l’endettement en Espagne, en Italie, en France, pour ne citer qu’eux, dépasse désormais allègrement la barre des 100 %, que la transition climatique va demander des moyens financiers colossaux pour être menée à bien, beaucoup réclament une renégociation des traités européens, une révision des critères de Maastricht et surtout du pacte de stabilité, qui ont perdu tout sens, afin de permettre à l’ensemble des États membres de se redresser.
Comme à son habitude, Angela Merkel n’a rien dit. Sur le départ, il est de son devoir de se taire. Mais les autres dirigeants politiques l’ont fait à sa place, illustrant combien ses 16 ans de mandat ont façonné la politique allemande, l’approche européenne. À l’exception des Verts et de Die Linke, tous les partis réclament un respect des accords signés l’an dernier : un retour aux règles budgétaires s’impose dès 2023, selon eux. Avec pour objectif d’obliger les États membres à ramener leur endettement à 60 % du PIB au plus vite. Autant dire une condamnation à une dépression économique. Plusieurs analyses ont déjà été publiées sur le sujet et elles ont désigné le futur maillon faible, celui qui fait désordre dans la construction européenne aux normes allemandes : après la Grèce, cette fois, c’est l’Italie.