Angleterre : Extinction Rebellion se mobilise malgré le Covid-19

Nina Guérineau de Lamérie (Reporterre), 9 septembre 2020

« On veut qu’ils se sentent coupables de polluer. » Mardi 8 septembre, à midi, Tony, 75 ans, casquette verte et chemise bleue, faisait partie des dizaines d’écologistes à manifester devant le siège londonien de la compagnie pétrolière Shell pour réclamer l’arrêt des extractions de pétrole et de gaz. Depuis le 1er septembre, le mouvement Extinction Rebellion (XR) organise en Angleterre une série d’actions de désobéissance civile [XR est né en Angleterre au printemps 2018.]]. En tout, deux semaines ont été orchestrées « pour mettre sous pression le gouvernement et les médias », explique Fergal McEntee, qui s’occupe des vidéos en direct du mouvement. Prévues pour le mois d’avril, les semaines de mobilisation ont été reportées à cause de la pandémie de Covid-19. L’objectif ? Obtenir un projet de loi sur le changement climatique et la création d’une assemblée citoyenne — qui ressemblerait à la Convention climat française. « Le gouvernement doit mettre la même énergie dans la lutte contre le changement climatique que pour stopper la progression de la Covid-19. Il faut agir maintenant et mettre le climat tout en haut de l’agenda », poursuit l’ingénieur.

Politiques, médias, banques… depuis une semaine, les activistes descendent dans les rues et organisent des opérations de blocage, dans la capitale anglaise, mais aussi à Manchester, à Liverpool et même en Écosse, pour demander au gouvernement « d’agir maintenant » contre le changement climatique. Ce mardi, les « rebelles » s’attaquent aux énergies fossiles. Les manifestants dénoncent la pollution des sols et des eaux causée par Shell — notamment dans les communautés Ogoni, peuple indigène vivant dans le sud du Nigeria — et réclament l’arrêt des extractions de pétrole et de gaz, décrites comme des pratiques « climaticides » par l’organisation écologiste.

À 13 heures, les investigations débutent. Une dizaine de militants mettent en scène une « zone de crime environnemental » devant les portes du géant pétrolier. Pendant quelques minutes, ils prennent des photos, rédigent des notes, récoltent des preuves… « L’entreprise Shell doit être vue comme elle est vraiment : une organisation criminelle. Ses pratiques sont immorales et tuent la planète. Ses dirigeants le savent et dépensent beaucoup d’argent pour gagner le soutien des politiques », affirme Sarah, déguisée en policière scientifique. Sur leur panneau est inscrit « 22 millions de livres [24 millions d’euros] sont dépensés en lobbying anti-climat chaque année ».

Pendant ces deux semaines, en plus de viser les politiques, les grosses compagnies et les banques, les activistes écologistes se sont aussi attaqués aux médias. Samedi 5 septembre, à Broxbourne, une centaine de manifestants ont retardé la diffusion de journaux du groupe News Corp (dirigé par Rupert Murdoch) en bloquant les grilles des imprimeries à l’aide de deux vans et d’échafaudages en bambou. Ce blocage a suscité de vives réactions jusqu’au sommet de l’État. « Une presse libre est vitale pour obliger le gouvernement et les puissantes institutions à rendre des comptes […]. Il est totalement inacceptable de chercher à limiter l’accès du public aux informations de cette manière », a twitté le lendemain le Premier ministre, Boris Johnson. « Si les médias faisaient leur boulot d’information, nous ne serions pas obligés de manifester, a rétorqué le militant écologiste Fergal McEntee. L’urgence climatique n’est pas assez traitée dans les journaux et peu de rapports scientifiques sont publiés. »

« Plus ils essaient de nous bâillonner, plus on reviendra pour se faire entendre »

Après cette opération de blocage des imprimeries, où 80 personnes ont été arrêtées pour intrusion illégale, Extinction Rebellion a été classée comme organisation criminelle par le ministère de l’Intérieur britannique. Au total, depuis le début des manifestations, 596 personnes ont été interpellées. Et mardi 8 septembre, trois manifestants ont été arrêtés après avoir tagué les murs du siège londonien de Shell. La police justifie ces arrestations en raison de la pandémie et du nombre de cas de coronavirus au Royaume-Uni de nouveau en hausse — près de 7.000 depuis lundi 6 septembre. « Notre message est clair : les manifestants n’ont pas le droit de perturber la vie d’autres personnes. Les organisateurs doivent être responsables et ne pas commettre d’infractions aux règles de protection de santé », ont rappelé mardi les forces de l’ordre.

600 arrestations est un nombre jamais atteint, selon l’activiste Fergal McEntee : « Les policiers sont plus agressifs qu’en début de semaine. C’est une tactique du gouvernement pour nous empêcher de manifester. Mais plus ils essaient de nous bâillonner, plus on reviendra pour se faire entendre », affirme-t-il. Et si les deux semaines d’actions d’Extinction Rebellion sont sur le point de se terminer, l’ingénieur militant l’assure : le mouvement ne laissera aucun répit ces prochains mois et prochaines années au gouvernement britannique. Pour lui, l’important est de continuer de mettre sous les feux des projecteurs la réalité du changement climatique. « Oui, finalement peu importe ce que les gens pensent de nous et de nos actions, dit la militante Jessica. Le fait que cela crée du débat est déjà une très bonne chose. »