Une manifestante levant son poing et le bandeau vert, symbole de la marée verte des manifestations femministes en Amérique latine en faveur du droit à l'avortement. CC By Prensa Obrera URL: http://www.prensaobrera.com/noticia/cornejo-condena-a-ser-madre-a-nina-violada-de-11-anos

Celia Sales

Au Salvador, au Honduras et au Suriname, l’avortement est strictement interdit. L’Uruguay ou la Colombie autorisent l’avortement selon certaines conditions gestationnelles. En revanche, au Chili ou au Venezuela, les conditions sont restrictives, l’avortement étant seulement permis en cas de danger pour la mère. En Bolivie et en Équateur, l’IVG est autorisée pour des raisons de santé. L’instabilité du droit à l’avortement en Amérique latine tend à empêcher certaines femmes à y recourir.

Entre efforts d’ouverture et conservatisme rétrograde

Les conditions d’accès obligent les femmes à s’exposer publiquement, devant parfois avouer des cas de viols pour «justifier» leur demande. Certaines préfèrent rester silencieuses pour éviter l’humiliation ou y recourent secrètement, s’exposant aux dangers de l’avortement clandestin.

Alors que le Brésil n’autorise l’IVG qu’en cas de danger pour la mère, des procédures pour dépénaliser l’avortement avaient été entreprises. Or, comme les négociations traînent et sont toujours en suspens, les femmes continuent d’y avoir recours. En 2023, 19 d’entre elles sont mortes suites à avoir recouru à un avortement clandestin.

Certains pays font un bond en arrière. Le gouvernement de Milei en Argentine, cherche à effacer la victoire de 2020 en proposant de pénaliser l’IVG : trois ans pour la femme qui y recourt et quatre ans pour la personne professionnelle qui l’effectue. À Puerto Rico, alors que depuis 1973 l’avortement est légal, des députés de l’Assemblée législative se sont mobilisés en 2023 pour condamner les centres qui permettaient aux femmes d’y recourir.

L’avortement est nécessaire pour la liberté des femmes, pour décider de leur corps et de leur destinée

La maternité infantile est une réalité partagée en Amérique latine, mais cela n’encourage pas le débat vers la légalisation. Selon l’Observatoire de la santé sexuelle et reproductive, en 2023 au Guatemala, 52 878 naissances provenaient de mères qui avaient entre 10 et 19 ans.

En Uruguay, 119 filles de moins de 15 ans sont tombées enceintes entre 2021 et 2023 et 50 % de ces grossesses faisaient suite à des agressions sexuelles. Au Pérou, en 2023, 1 354 naissances étaient le fait de filles de moins de 15 ans. Alors que le pays l’autorise pour des raisons de santé, Camilla, une indigène de 13 ans s’est vue refuser l’accès à l’avortement.

Le gouffre de l’acceptation sociale

Ce n’est pas parce que les droits sont accordés qu’ils sont appliqués. D’une part, certains pays lancent des campagnes de désinformations qui empêchent les femmes de se renseigner sur leurs droits. En mai 2023, à travers les réseaux sociaux, les photos de personnes qui vendaient des pilules abortives ont été partagées au Salvador, entravant leur vie privée. Au Guatemala, au sein d’une société ultrareligieuse, les femmes qui avouent avoir eu recours à l’avortement sont accusées d’être des criminelles. L’accès à l’avortement révèle aussi les inégalités intersectionnelles, la pression étant encore plus violente pour les femmes pauvres, indigènes ou afrodescentes.

Par ailleurs, certain.es professionnel.les de santé refusent d’y recourir par conviction personnelle ou par peur de représailles. Alors que l’IVG est légale en Argentine, la médecin Miranda Ruiz a été arrêtée après avoir pratiqué un avortement. On l’a accusé de l’avoir réalisé sans le consentement de la patiente. Dans le même cas au Venezuela, Vanessa Rosales est arrêtée en 2020 pour avoir aidé une jeune fille de 13 ans à avorter après avoir été violée par son professeur. Elle a été emprisonnée neuf mois pour «conspiration au sein d’une organisation criminelle».

Une fausse couche peut aussi être considérée comme un cas de négligence. Au Salvador, alors qu’un fœtus est retrouvé dans un sac plastique, Beatriz est condamnée pour trente ans de prison, jugée pour homicide volontaire. Quelques années plus tard, on révèlera qu’elle avait en fait eu une fausse couche. Les femmes ont la responsabilité totale de leur grossesse et, restreintes à leur rôle de progénitrice, elles n’ont pas le droit à l’«erreur». Leur bien-être est négligé, peu importe le contexte qui entoure la grossesse.

«Le droit à l’avortement n’est pas une affaire d’opinion c’est un droit fondamental»1

Ce n’est pas parce que l’IVG est pénalisée que les femmes n’y ont pas recours. Mais cela signifie qu’elles s’exposent à des dangers en ayant recours à l’avortement clandestin ou en poursuivant une grossesse à risques.

Les racines idéologiques traditionalistes et religieuses sont encore implantées en Amérique latine. Même lorsque l’avortement est dépénalisé (voire légalisé), les discriminations sociales empêchent l’accès aux femmes de jouir pleinement de leur droit. Malgré les mesures répressives adoptées par certains gouvernements, les mobilisations perdurent pour faire appliquer ce droit fondamental chez les femmes qui en ont besoin.

Pour en savoir plus : 

  • Amnesty International. «La situation des droits humains dans le monde». Avril 2024.
  • Amnesty International. «An unstoppable movement. A global call to recognize and protect those who deffend the right to abortion». Novembre 2023
  • Statista. «L’avortement dans le monde. Statut légal de l’avortement (IVG) dans le monde en 2024». Janvier 2024.
  1. Citation de l’article d’Amnesty internationales []