Soldats de l'armée chilienne avec des fusils M1 Garand, quelques jours après le coup d'État au Chili en septembre 1973. Crédit : Koen Wessing/Hollandse Hoogte Wikimedia Commons CC BY-SA 4.0 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:00248347-951x640.jpg

Par Ananda Proulx, participante à L’UÉMSS.

Pour Santiago Castillo Braithwaite, jeune chilien actif dans les mobilisations sur le logement au sein de l’Agrupación por la Vivienda Luchadores y Luchadores de Lo Hermida, cette contradiction entre les aspirations populaires et la montée de la droite radicale est un défi important à surmonter auquel font face les groupes militants chiliens.


Cet article est tiré de l’atelier « Des coups d’État en Uruguay et au Chili, au sort actuel des prisonniers politiques en Amérique latine et dans la Caraïbe » organisé par France Amérique Latine (FAL), la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) et l’Agrupación por la Vivienda Luchadores de Lo Hermida. L’atelier s’est tenu dans le cadre de l’Université des mouvements sociaux et des solidarités à Bobigny.


Une des raisons de ce blocage de la volonté populaire de changement du système devant le renforcement des politiques néolibérales au Chili pourrait être la désinformation systématique, selon Santiago, ce que confirment par ailleurs les échanges avec ses camarades d’Uruguay et du Pérou.

Le 11 septembre 1973 au Chili

L’atelier s’est amorcé par la présentation de Claudio Figueroa de l’Association des ex-prisonniers politiques chiliens qui a d’abord rappelé l’élection de Salvador Allende en 1970, candidat très populaire de la gauche socialiste, qui a constitué une menace aux yeux de la droite politique et du patronat. Le 11 septembre 1973 fut le jour du coup d’État du général Augusto Pinochet, justifié notamment par la peur rouge, celle du communisme.

La droite met ensuite en place un modèle économique et social néolibéral extrême à partir de 1975. Parallèlement, la dictature impose un modèle politique s’appuyant sur l’émergence d’une constitution en 1980. Une série de réformes économiques s’ensuivent où santé, éducation et régimes de retraite se voient privatisés.

À partir de 1980, des protestations très importantes s’organisent dans le pays. C’est alors que l’objectif politique de mettre fin à la dictature prend de l’ampleur. La peur rouge est encore une fois instrumentalisée par la droite politique qui dépeint toutes et tous les manifestant.es comme étant communistes. Les droits humains sont brimés en guise de répression : la dictature militaire est responsable de plusieurs dizaines de milliers de personnes mortes ou disparues, de prisonniers politiques torturés et de personnes exilées. Les protestations permettent finalement, vers la fin des années 1980, à remettre en question le régime politique chilien et un nouveau gouvernement élu démocratiquement remplace la dictature de Pinochet qui aura duré 16 ans. Plus récemment, Claudio Figueroa rappelle que le projet de nouvelle constitution, qui devait amender celle héritée par la dictature, fut rejeté par une majorité de la population (61,9 % des voix exprimées).  C’est maintenant l’extrême droite qui a saisi le mandat de la constitutionnelle. C’est indubitablement une défaite pour la gauche politique chilienne.

Le 27 juin 1973 en Uruguay

Moins de trois mois avant le coup d’État au Chili, le peuple uruguayen a subi un coup d’État qui a mis en place un gouvernement de droite. Pour l’Uruguayenne Helena Éloy du réseau ¿ Dónde están ? (Où sont-ils?), ce gouvernement impose des politiques en faveur des possédants dans une conjoncture économique où les prix mondiaux chutent. De nombreuses grèves, des mouvements de guérillas urbaines et des mouvements sociaux sont réprimés par la dictature. Le régime repose sur un terrorisme d’État et la torture. Pour Helena Éloy, la dictature fonctionne par la terreur et donne lieu à 200 disparitions forcées et 100 à 200 assassinats politiques. Elle s’appuie sur une idéologie conservatrice et un régime économique très libéral, poursuit-elle.

C’est alors que le gouvernement organise un référendum qu’il perd et négocie son départ. L’impunité lui est accordée et la justice n’est pas rendue, malgré le retour à la démocratie. En 2005, un gouvernement de gauche est élu et permet des progrès économiques et sociaux, mais il ne travaille que modestement sur l’enjeu de l’impunité. Aujourd’hui, en Uruguay, le parti d’extrême droite obtient de plus en plus de poids politique alors qu’il remporte 11 % des voix en 2019, lui donnant une position d’arbitre qui menace de perpétuer l’impunité des criminels de l’ancienne dictature.

L’impact de la désinformation

Bien que cela n’explique pas tout, l’impact négatif de la désinformation sur les aspirations populaires est évident, selon les panélistes de l’atelier. Il n’y avait pas de liberté de presse durant la dictature de Pinochet. Deux grands médias avaient un monopole médiatique et soutenaient le modèle économique. El Mercurio est une entreprise journalistique qui possède vingt journaux régionaux et trois journaux nationaux. Lorsqu’une seule entreprise contrôle autant de journaux, sa portée et son influence sont considérables. C’est ce que démontre le documentaire El diario d’Agustín.

Juste avant le coup d’État, face à la menace qui pesait sur ses richesses, El Mercurio, grande entreprise d’information, a diffusé de la fausse information sur les réformes et les intentions d’Allende et de ses partisans. Durant la dictature de Pinochet, les actions de El Mercurio représentent le paroxysme de ce que la manipulation des médias et de l’information peut entraîner de pire : la diffusion de mensonges, la dissimulation d’actes de torture, de meurtres et de violations des droits humains en général. Il est important et intéressant de garder à l’esprit que El Mercurio existe toujours à ce jour et qu’aucune arrestation n’a été effectuée contre quiconque au sein de cette entreprise, même après la fin du régime de Pinochet.

La table ronde de l’atelier a permis de constater que l’accès à l’information véridique demeure un enjeu partout dans le monde, mais spécialement dans les pays de l’Amérique latine. Cela pourrait expliquer une des raisons pour lesquelles un blocage persiste au Chili, mais aussi ailleurs.

NOTES ET RÉFÉRENCES

Université de Sherbrooke. (s.d.). Chili : les années Bachelet (2006-2010). Perspective Monde. https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/738

Dupont, P. (5 septembre 2022). Au Chili, la nouvelle constitution massivement rejetée par référendum, selon les résultats partiels. Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/05/au-chili-la-nouvelle-constitution-massivement-rejetee-par-referendum-selon-les-resultats-partiels_6140197_3210.html

Agüero, Ignacio y Villagran, Fernando, 2008, El Diario de Agustín [Documentaire]. Ignacio Aguero & Asociados & Amazonía films.