Chomsky, le climat et la bombe

Danger d’extinction (éditions Ecosociété), rassemble une conférence et des entretiens du célèbre linguiste avec des activistes états-uniens. Aux Etats-Unis, Chomsky est une voix qui compte pour de larges secteurs de la gauche américaine, d’autant plus qu’il s’est toujours efforcé d’être compréhensible pour tous, ce qui n’est pas la qualité première de nombre d’intellectuels.

 

Noam Chomsky, Danger d’extinction. Changements climatiques et menace nucléaire, Ecosociété, 2020.

L’historien et militant Howard Zinn perdit la vie à l’âge de 88 ans sur le chemin le menant à une énième conférence. J’ai peine à imaginer un autre destin pour Noam Chomsky qui, à 92 ans, continue à éveiller les consciences américaines avec le calme et la pugnacité qui le caractérisaient quand il se faisait le pourfendeur de l’american way of life dans les années 1960 et 1970.

Danger d’extinction, publié dernièrement par les éditions Ecosociété, rassemble une conférence et des entretiens du célèbre linguiste avec des activistes états-uniens. Aux Etats-Unis, Chomsky est une voix qui compte pour de larges secteurs de la gauche américaine, d’autant plus qu’il s’est toujours efforcé d’être compréhensible pour tous, ce qui n’est pas la qualité première de nombre d’intellectuels.

Danger d’extinction donc. Pour Noam Chomsky, les deux dangers qui menacent la planète s’appellent risque nucléaire et dérèglement climatique. Il avait 17 ans quand deux bombes rayèrent de la carte les villes d’Hiroshima et de Nagasaki. Et depuis, nous vivons avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Car, nous dit Chomsky, nous avons frôlé plus d’une fois la catastrophe, autrement dit la destruction de l’Humanité. La fin du monde bipolaire, l’implosion du bloc soviétique auraient dû signifier la fin de la menace nucléaire ; il n’en fut rien. Et Chomsky de pointer la politique belliciste, expansionniste de l’OTAN, autrement dit des Etats-Unis, qui ne pouvait que provoquer en retour la crispation du nouveau régime russe. Cette menace, il se refuse à la minorer et se désole de l’absence de grandes mobilisations citoyennes capables de forcer les puissants à de nouveau s’asseoir autour d’une table et à évoquer la destruction de leurs stocks d’armes de destruction définitive.

Depuis une à deux décennies, c’est le dérèglement climatique et ses conséquences très concrètes qui sont au coeur des discussions. L’anthropocène des uns, le capitalistocène des autres peuvent provoquer la sixième extinction de masse. Beaucoup en ont conscience, mais certains se refusent à y croire. Aux Etats-Unis, nous dit Chomsky, 40 % des Américains sont climatosceptiques ou persuadés que tous ces désagréments disparaîtront avec le retour du Christ sur terre.

Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté, disait le philosophe Alain. Noam Chomsky acquiesce : « L’idée que le destin d’un pays et du monde soit entre les mains d’un bouffon sociopathe est particulièrement inquiétante. » Il parlait ici de Trump, mais si Trump n’est plus, le trumpisme lui n’a pas disparu. Chomsky s’accroche à l’idée que la majorité des individus sur terre ont un intérêt commun : sauver la planète. Il rejette le mépris dont font preuve certains secteurs dits radicaux à l’égard des électeurs attirés par les sirènes populistes, climatosceptiques ou les discours millénaristes ; il y voit des individus atomisés, isolés donc vulnérables, sans prise sur le réel et dont les églises sont les derniers refuges : « conscientiser la population demande des efforts considérables et soutenus, mais il s’agit d’un tâche incontournable », écrit-il.

Chomsky, éducationniste et pragmatique, ne croit pas ou plus au Grand Soir, à la révolution. Devant l’imminence du désastre, il met tous ses espoirs dans la capacité des gens à peser sur le cours de l’histoire par leur mobilisation, leur vote, et à lier leurs combats : contre la destruction de la planète, contre la misère sociale, compagne des politiques néo-libérales, contre le délabrement démocratique et l’émergence des « Etats autoritaires pervers ». Comme le soulignent les préfaciers, l’analyse de Chomsky est « sombre, quoique compensée par une foi profonde dans la résistance de la base ». Réformiste Chomsky ? Assurément. Il y a un siècle, certains pensaient que de la catastrophe pouvait/devait naître la Révolution, et alors ils partirent à l’assaut du Palais d’hiver. La nature de la catastrophe à venir offre-t-elle la même perspective ? A cette question, Chomsky a répondu non.