Soldats de l'armée nigérienne, en 2015 @ Crédit photo SETAF-AF via Flickr
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Nicolas de Bellefeuille, correspondant en stage

Selon Frédéric Thomas du Centre Tricontinental (CETRI) basé à Bruxelles, on dénombre plus de 50 conflits armés en cours dans le monde. C’est ce qu’a indiqué le chercheur et docteur en sciences politiques le 10 avril dernier, lors d’un webinaire du CETRI, « Monde en guerre : militarisation et résistance ».  

Accompagné de la journaliste Sarra Grira et du politiste Garba Abdoul Azizou, le panel a exploré les dynamiques de résistance dans un monde où la militarisation des sociétés compromet les espoirs d’un avenir durable. Au premier plan, le cas d’Israël au Moyen-Orient et la situation de ses alliés occidentaux comme les États-Unis ou l’Union européenne face à Gaza. Puis, celle du Niger dans la foulée du printemps arabe, en 2011. Plongée dans ces pays martyrisés par des crises sociales.

Intensification de la militarisation

Monsieur Thomas nous énumère quelques facteurs expliquant cette intensification :

  • D’abord, au plan économique, « l’armement constitue toujours un marché juteux, où les États-Unis sont le premier acteur ».
  • Ensuite, l’internationalisation des conflits s’opère par le recours à plusieurs États tiers, l’envoi de troupes ou le jeu de puissance régionale.
  • Enfin, la « sécurisation » transforme les crises politiques en problèmes militaires. Ces dernières ciblent souvent les civils et militarisent la gouvernance en érigeant en ennemis des forces sociales internes opposées..

Israël : une exception meurtrière

Pour Sarra Grira, journaliste et rédactrice en chef du journal Orient XXI, Israël mène une guerre coloniale modernisée. Si la logique de dépossession rappelle les désirs coloniaux des empires d’hier, le conflit s’inscrit dans les dynamiques du XXIe siècle, mêlant haute technologie, soutien occidental et droit international sans pouvoir. La journaliste insiste sur le rôle central des États-Unis, et mentionne le chiffre de 20 milliards de dollars d’aide militaire fournie à Israël en moins d’un an, après les attaques du 7 octobre.

La « démocratie » de Tel-Aviv centrée sur la population juive uniquement met à mal la population palestinienne, qui ne constitue pas des citoyen.nes à part entière. Cela motive les forces armées du pays à intensifier leurs actions contre le peuple à Gaza et en Cisjordanie.

L’Union européenne, quant à elle, reste silencieuse malgré un accord d’association stipulant que la coopération dépend du respect des droits de la personne. Mais aucune suspension de la coopération n’est observée. Madame Grira rappelle que cette guerre coloniale bénéficie d’une forme d’impunité internationale, où le droit — pourtant affirmé par la Cour pénale internationale ou par les accords d’association de l’Union européenne — est contourné ou ignoré.

Israël se présente comme « les yeux des puissances occidentales au Moyen-Orient » affirme la rédactrice. Il s’agit d’une impunité politique et militaire : « La guerre à Gaza s’arrêterait en sept jours si l’aide militaire américaine cessait ».

Au Sahel: développement d’une culture militariste

Au Niger, la situation est toute autre. Depuis 2011, cette région qui  regroupe notamment le Niger, le Mali et le Burkina Faso se trouve aux prises avec une montée du terrorisme. Par conséquent, c’est l’effondrement des démocraties dans ces pays et en l’occurrence, La militarisation de l’espace politique s’amorce dans ces trois pays avec la remise en question de l’idée de démocratie…

Un an plus tôt, en février 2010, un coup d’État au Niger a eu lieu contre le président Mamadou Tandja, qui souhaitait diriger le pays pour un troisième mandat. L’armée prend le contrôle de la capitale, Niamey. Toutefois, le nouveau dirigeant du Niger, Salou Djibo, s’assure de la transition démocratique et organise des élections dès 2011.

Comme l’explique le panéliste Garba Abdoul Azizou, le président Tandja a fractionné la population avec son désir de briguer ce troisième mandat. Pour les fidèles du président, ce coup d’État est vu comme une trahison, alors que d’autres se réjouissent de revenir aux racines de la démocratie.

Cette démocratie est née d’un processus datant de 1990, au cours duquel le pays entre dans une mécanique de démocratie représentative, avec ses institutions et l’augmentation de la vie civile sur le territoire. Or en 2023, avec un nouveau coup d’État, le quatrième depuis 1996, un approfondissement de la militarisation du régime se produit.

Ce nouveau coup d’État provoque une scission plus profonde de la population : « Une partie de la population s’est radicalisée et est devenue antidémocratique, au profit d’un régime militaire qui voulait rendre légitime le coup d’État », explique monsieur Abdoul Azizou.

Une résistance locale, hélas

Les deux spécialistes s’entendent que la résistance à l’échelle internationale pèse peu dans les deux cas discutés. Seule la résistance continentale ou locale peut porter à conséquence.

Dans le cas d’Israël, Sarra Grira insiste sur l’importance de ne pas attendre la décision de la Cour internationale de justice pour qualifier la situation à Gaza de génocide. Elle pointe également l’inaction de l’UE, qui n’a pas réagi au retrait de la Hongrie de la CPI pour protéger Netanyahu. Selon elle, l’UE doit préserver les leviers juridiques et diplomatiques déjà implantés, plutôt que d’en créer de nouveaux.

Du côté des pays du Golfe, la posture reste ambivalente : le Qatar s’impose comme médiateur, alors que l’Arabie saoudite recule face à une prise de position claire. En Afrique, l’Égypte refuse d’ouvrir le Sinaï à la population Gazaouie, par crainte d’instabilité. On peut parler ici de préservation du pouvoir, plutôt que d’un véritable élan de résistance.

Au Niger, une partie de la société civile tente de s’opposer aux politiques de l’armée, avec parfois des effets notables. Cette contestation, qui s’exprime localement et en ligne, reste périlleuse : l’emprisonnement du militant associatif Moussa Tchangari en témoigne.

Mais certaines organisations, nouvellement créées ou réactivées, sont aussi instrumentalisées par les militaires ou des élites politiques, ce qui brouille la frontière entre engagement sincère et opportunisme.

La société civile nigérienne devient alors un espace de rivalités entre élites, dans un contexte où la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), affaiblie, ne parvient plus à jouer son rôle de contrepoids régional

Ce constat se rapproche de celle qu’on observe au Soudan avec l’affrontement de deux principaux groupes armés du pays.

Une médiatisation asymétrique

La médiatisation asymétrique des conflits armés obscurcit certains conflits ailleurs dans le monde, au profit d’autres. Les cas du Sahel, du Soudan et du Soudan du Sud ne bénéficient pas de la même couverture médiatique que les conflits en Ukraine et dans la bande de Gaza. Ce déséquilibre participe à une forme d’acceptation implicite : à force de silence, les famines, les conflits armés ou les coups d’État deviennent presque attendus, perçus comme inévitables dans ces régions fragiles.