Emma Soares, correspondante en stage
Depuis 2023, les forces de soutien rapides (RSF) et les forces armées soudanaises s’affrontent dans une guerre destructrice qui n’épargne pas les civils. Les affrontements violents sont récurrents et la population civile construit des chemins de résistance pour faire face au chaos. Alternatives a organisé une conférence à l’occasion de La Grande transition sur les stratégies de paix et de résistance au Soudan, une discussion animée par un collectif étudiant et d’activistes de la diaspora soudanaise au Canada. Au cours de cette discussion, plusieurs spécialistes du conflit tentent de répondre à une question fondamentale : comment les civils peuvent s’organiser pour résister à la guerre ?
Les stratégies de répits et de résistances sont au cœur de la guerre civile soudanaise. Abdel Salam Sidahmed, chercheur aux Nations Unies et directeur de programme pour Amnesty Internationale, nous fait part d’une réalité tragique, celle où « des milliers de vies ont basculé dans la nuit ».
La guerre s’étend désormais jusqu’à l’ouest et le centre du pays, où le RSF attaque villes et villages sur son passage sans aucune justification. La violence encourue par les populations civiles atteint des niveaux extrêmes où les violations des droits humains sont systémiques : viols massifs, bombardements sur des zones habitées, torture des personnes et meurtres. Ces actes placent le Soudan dans un état constant d’impuissance et d’insécurité.
En plus des civils, les activistes, personnels humanitaires et journalistes sont systématiquement ciblés par les groupes armés qui n’ont « aucun intérêt à ce que la guerre finisse » et perçoivent très mal les efforts de soutien aux civils.

Et l’aide internationale ?
Les efforts menés par les acteurs internationaux se montrent insuffisants. Ils ont échoué à produire des accords de paix ou de cessez-le-feu malgré de nombreuses tentatives. Leur perception du conflit peine à saisir la complexité des relations qui s’affrontent et les différentes dimensions sur le terrain, des problèmes récurrents quand des acteurs externes élaborent les pistes de résolution.
Abdel Salam le répète à plusieurs reprises « on ne voit aucune issue à cette guerre ». Un accord a été signé par les deux parties pour garantir la protection des civils, mais il manquait de pression suffisante sur les groupes armés pour le faire respecter et « la déclaration fut violée depuis le début », ajoute-t-il.
Muzan Alneel, écrivaine soudanaise et chercheuse en politique industrielle, décrit les différentes stratégies civiles pour faire face au conflit depuis 2023. Comment la classe moyenne et les travailleur.ses répondent et agissent face à cette guerre ? Un domaine de recherche encore largement sous étudié que Muzan s’efforce de recentrer dans le débat.
La chercheuse déplore le manque d’intérêt des médias envers les actions et stratégies civiles aux dépens des affrontements armés et des rencontres entre grandes puissances. Elle tente de mettre les projecteurs sur ces difficultés pour contrer l’attention accrue donnée aux acteurs internationaux.
Pour Alneel, ces entités internationales externes au conflit demeurent incapables d’instaurer une paix durable. Selon elle, il faut impérativement rediriger les préoccupations vers des actions locales et laisser place aux acteurs locaux plutôt qu’internationaux.
Une des stratégies civiles les plus efficaces est le développement de centre d’urgence en zone de conflit, afin d’initier des programmes de soutien et de service d’urgence aux populations. Ces structures d’aide mutuelle ont émergé aux premiers jours de la guerre, soutenues en grande partie par les organisations non gouvernementales et les civiles sur place. Ces centres se concentrent sur les services médicaux d’urgence en s’adaptant aux besoins des communautés à travers le conflit. Les routes vers les hôpitaux sont endommagées par les bombardements ou trop dangereuses pour être empruntées par la population. Il importe donc de créer des ressources d’urgence plus efficaces et à proximité des villes touchées.
Les centres d’aide garantissent également une possibilité de refuge pour les 12 millions de personnes déplacées dans le pays. Une « impressionnante résilience » s’exprime dans la résistance et l’entraide des communautés soudanaises. Le personnel qui participe à garder ces lieux en vie est régulièrement attaqué et ciblé par les forces armées, considéré comme une menace. Malgré tous leurs efforts, ces centres peinent à tenir debout, les ressources manquent et le financement est trop instable pour garantir leur survie.
Le rôle des Émirats arabes unis
Le militant Husam Mahjoub, spécialisé en économie et affaires internationales, pointe du doigt les Émirats arabes unis (EAU) pour leur financement du conflit. Il souligne son « rôle destructeur » dans la guerre au Soudan. Les ÉAU sont des bailleurs de fonds de nombreuses forces révolutionnaires. Ils soutiennent des groupes armés dans plusieurs pays et entretiennent des liens étroits avec le RSF.
Les émirats ont joué un rôle dans plusieurs affrontements au Soudan, munis de « capacités violentes et d’un accès économique important » selon Mahjoub. Ils ont contribué au coup d’État militaire du RSF contre le gouvernement de transition soudanais. Ce petit pays du Moyen-Orient représente un pouvoir régional impérial d’envergure qui s’engage dans des guerres par procuration en Afrique et au Moyen-Orient. Ils fournissent des armes et du financement à des groupes armés violent, dont le RSF, faisant s’éterniser la guerre dans l’inaction et le silence de la communauté internationale.
Les panélistes évoquent le besoin de rendre imputables les puissances qui intensifient le conflit. Il s’agit d’un enjeu primordial pour assurer que des intérêts externes ne rentrent en conflit avec les processus de paix. Les stratégies de résistances et de répits développées par les populations civiles doivent être au cœur des pistes de résolution. En incluant les acteurs locaux, on redonne une voix aux premières victimes du conflit. Pour les panélistes, les conséquences du « silence international » sont dévastatrices. Les Soudanais.es « s’organisent et résistent, ils demandent de la solidarité, pas de la charité ».