La Fondation Salvador Allende et ses partenaires ont organisé la rencontre « ¡Creando poder popular! 50 ans de création de pouvoir populaire » à l’occasion de la commémoration du coup d’État au Chili en 1973, dans la magnifique salle de l’Economusée du fier monde à Montréal. Une exposition immersive remplie de photographies, d’affiches, d’art chilien et de musique révolutionnaire qui nous plonge dans l’ambiance du Chili des années 80. Des murs obscurs réfèrent aux moments sombres de la dictature, mais le rappel des couleurs souligne l’espoir du peuple chilien qui n’a jamais cessé de vivre.

C’est dans ce décor que s’est tenue la table ronde du 12 octobre dernier, animée par Ricardo et Manuel Peñafiel, qui a réuni plusieurs acteurs sociaux et politiques québécois. L’objectif : partager l’impact qu’a eu l’expérience des luttes au Chili et qui continue de nourrir le pouvoir populaire ici au Québec.

De pie, luchar, el pueblo va a triunfar1

Le 11 septembre 1973, le palais de la Moneda est bombardé par les forces militaires d’Augusto Pinochet, appuyées par la CIA. En pleine Guerre froide, le président socialiste Salvador Allende élu démocratiquement depuis 1970, a eu le courage de s’opposer au modèle libéral que les États-Unis imposaient à son « arrière-cour ». Mieux vaut une dictature répressive libérale qu’un régime démocratique socialiste. Mais elle n’a pas arrêté le peuple chilien dans sa quête d’émancipation, elle l’a propulsé.

Lors de sa dernière allocution à la radio, el Presidente proclame : « Ils ont la force, ils peuvent nous asservir, mais les avancées sociales ne s’arrêtent pas, ni avec le crime ni avec la force. L’histoire est à nous et ce sont les peuples qui la font. »2 Cet espoir retentira dans le cœur du peuple et le fera vivre. La dictature laisse le Chili devenir le laboratoire du néolibéralisme, entraînant des millions de disparu.es et exilé.es politiques, dont une partie trouve refuge au Canada et au Québec. Ils amènent avec eux l’espoir populaire.

Mais ce message n’est pas porté par toutes et tous. En effet, Sébastien Rivard raconte le récit romantisé qu’il a eu de cette force populaire. Au Québec, dit-il, chacun.e raconte la violence physique et psychologique de la dictature, qui nourrit le peuple chilien. Mais lors de son séjour au Chili, alors que Pinochet allait se faire arrêter, une partie du peuple exprime son appui al Général. Cette piqûre de rappel est essentielle pour comprendre l’union populaire : la lutte n’est jamais entière même pour celles et ceux qui la subissent.

L’union fait la force

L’important est la solidarité populaire : les mouvements sociaux québécois soutiennent ces migrant.es et entendent leurs histoires. La mémoire du coup d’État ne s’arrête pas aux frontières. On se souvient de cette journée, où les militaires chiliens ont rassemblé étudiant.es, ouvrières et ouvriers au sein du stade national de Santiago. On se remémore aussi l’enlèvement de camarades, que personne ne reverra.

Sur les terres québécoises, ces témoignages se retrouvent et s’échangent. Ce qui se déroule au Chili est intimement lié aux luttes d’ici. D’abord parce que le Canada n’a jamais cessé ses relations avec la dictature, et que les entreprises minières canadiennes ont continué leurs activités extractivistes rapportant des millions de dollars au pays. Ensuite parce que ces revendications se retrouvent dans une seule et même lutte : celle des opprimé.es.

Andres nous rappelle que la mobilisation chilienne doit être analysée en prenant en compte le contexte international et les mouvements indépendantistes qui décrédibilisent la voix des grandes puissances. Cet ensemble populaire ne se revendique pas comme victime, comme le souligne Amélie Nguyen, mais comme acteur de lutte mondiale contre le capital. Dans ce registre, Nimâ Machouf insiste sur le fait qu’il est essentiel de considérer la lutte dans sa globalité pour créer l’unité. Suivant son expérience, elle déplore le refus des organisations féministes québécoises de soutenir les revendications des femmes en Iran. Peur d’être étiqueté comme anti-islamiste ou insensibilité face à leurs revendications, quoiqu’il en soit ce manque de solidarité affaiblit l’union populaire.

Imaginer le pouvoir populaire

Aujourd’hui la mémoire du peuple chilien et les revendications populaires sont toujours actives. Néanmoins, Ricardo Peñafiel souligne que la menace bureaucratique n’est jamais loin, pour celles et ceux qui sont engagé.es au sein des institutions. Certains regrettent la radicalisation du mouvement, d’autres plus optimistes, comme Chantal Ide, rappellent que les échecs sont essentiels pour réussir.

Pour Benoit Lacoursière, la notion de créer le pouvoir populaire est presque plus importante que le besoin de le prendre. Premièrement parce que le changement ne résulte que d’un processus profond qui ne peut être fait que par la base. Deuxièmement parce que ceux qui ont le pouvoir ne peuvent pas complètement le contrôler, si certain.es refusent la domination. La victoire contre le communisme que les États-Unis ont imposée n’a jamais été totale, car le pouvoir populaire a continué de vivre dans les rues.

Pourtant, 50 ans plus tard, l’expression populaire s’est dégradée au sein des syndicats. Les mouvements émergeant sur les réseaux sociaux entraînent une « individualisation des luttes » où les lieux d’échanges réels disparaissent. Pire encore, le contre-pouvoir médiatique sur ces plateformes est régi par les lois algorithmiques des entreprises privées qui les contrôlent, affaiblissant l’imaginaire collectif.

Il faut donc repenser le pouvoir, en se basant sur les mémoires du passé et les aspirations à venir. Des rencontres chaleureuses comme celle-ci permettent de renforcer la motivation et les aspirations populaires. Les récits du passé sont nécessaires pour que les motivations populaires soient véhiculées entre les générations. Crear el poder popular nous oblige constamment à le réinventer pour le faire vivre.

Signalement : la table ronde était animée par Ricardo Peñafiel, enseignant de sciences politiques à l’UQAM, et son frère Manuel. Nés au Chili, les deux ont dû quitter le pays en 1974 avec leur famille. Autres intervenant.es :

  • Sébastien Rivard, organisateur communautaire aujourd’hui, avec qui ils se lient d’amitié. La table ronde est aussi composée notamment de :
  • Andres Fontecilla, député de Laurier-Dorien de Québec Solidaire et Chilien d’origine;
  • Benoit Lacoursière, secrétaire général et trésorier de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ) et enseignant de cégep ;
  • Chantal Ide, militante au sein du Conseil central du Montréal Métropolitain (CCMM) et syndicaliste au sein du Conseil des Syndicats nationaux (CSN)
  • Amélie Nguyen, directrice du Centre International de Solidarité ouvrière (CISO) à Montréal.
  • Nimâ Machouf ; d’origine iranienne, elle se réfugie au Québec lors de la répression politique de 1982. Épidémiologiste, elle fut candidate lors des élections fédérales de 2019 pour le Nouveau Parti démocratique (NPD).

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Debout, en lutte, le peuple triomphera : paroles de la chanson « El pueblo Unido, jamás será vencido » du groupe chilien de Quilapayún. Ce chant populaire traverse les frontières et mobilise les forces populaires de génération en génération partout sur la planète. []
  2. Discours de Salvador Allende le 11 septembre 1973 prononcé depuis le palais de la Moneda à la radio Magallenes, dernière radio qui n’avait pas été prise par les militaires. « Tienen la fuerza, podrán avasallarnos, pero no se detienen los procesos sociales, ni con el crimen, ni con la fuerza. La historia es nuestra y la hacen los pueblos ». []