Rabah Moulla, 18 mai 2021
Suspendues pendant près d’un an en raison de la crise sanitaire de la COVID-19, les marches populaires hebdomadaires ont bel et bien repris en Algérie depuis la célébration du deuxième anniversaire du Hirak, le 22 février dernier. Pourtant les autorités du pays avaient bien exploité la période de la pandémie pour tenter d’affaiblir le mouvement populaire et d’empêcher son retour dans la rue. Elles avaient en outre manœuvré pendant des mois en exacerbant les contradictions et les divergences entre les différents courants idéologiques et politiques qui traversent le mouvement.
Début février dernier, croyant sans doute que trop peu d’Algériens auraient encore l’envie et surtout l’énergie suffisante pour reprendre le chemin des manifestations de rue, les autorités ont parié sur l’échec des appels à la mobilisation pour le 22 du même mois et n’ont pas cherché à les empêcher. Elles donnaient l’impression d’avoir le contrôle sur la situation et sur leur agenda. Elles avaient procédé à la libération de plusieurs dizaines de détenus politiques et annoncé des élections législatives pour le 12 juin prochain qui sont présentées, à qui veut bien le croire, comme un signe de la normalisation de la vie politique dans le pays.
Surprises par l’ampleur des manifestations à Alger, en Kabylie et dans quelques grandes villes du pays qui ont rappelé les moments forts du mouvement, les autorités décident à nouveau de recourir à la répression. Dans la foulée, les vieux démons de la torture refont surface de même que les sévices sexuels contre les jeunes interpellés, comme en témoignent l’ancien détenu Walid Nekkiche et l’adolescent Said Chetouane. Ces révélations, qui rappellent les méthodes des pires dictatures, au lieu de décourager les militants, ont constitué une onde de choc à l’échelle nationale et ont renforcé la conviction de beaucoup d’Algériens de la nécessité de poursuivre la lutte jusqu’au changement du régime.
Le régime fait le choix de la répression
Incapable de se réformer, de libérer les espaces d’expression, d’améliorer les conditions sociales des couches populaires notamment des jeunes pour qui les horizons sont bouchés et de s’engager sur la voie d’une solution politique à la crise, le pouvoir n’a d’autres choix que de recourir à la répression. Parallèlement, le régime poursuit sa feuille de route afin d’assurer sa survie par la mise en œuvre de nouvelles institutions via des processus électoraux dépourvus de transparence et d’un minimum d’équité.
Les législatives du 12 juin prochain s’inscrivent dans cette perspective. Le pouvoir a bien tenté de convaincre des partis de l’opposition de prendre part à ces élections en leur promettant sans doute l’octroi de quelques sièges de députés. Mais face au rejet populaire que suscitent ces élections, il n’y a que les restes de l’ancienne alliance présidentielle constituée autour de l’ancien président Bouteflika et quelques arrivistes assoiffés du pouvoir qui ont accepté de jouer le jeu.
L’alternative politique tarde à s’affirmer
En signe de représailles, plusieurs partis du camp démocrate sont harcelés depuis plusieurs mois. Il en est de même pour plusieurs journalistes, sites d’informations et médias alternatifs qui soutiennent le mouvement populaire. Même sous le règne de Bouteflika, les libertés fondamentales n’ont jamais été aussi malmenées qu’en ce moment.
Cela explique sans doute, du moins en partie, pourquoi le Hirak peine à définir sa propre feuille de route et à dégager une représentation politique capable de porter ses revendications pour le changement démocratique et pour l’édification d’un État de droit. Il y a pourtant bien eu quelques initiatives politiques visant à fédérer des collectifs de la société civile et des figures du mouvement autour des principaux slogans du Hirak, ou encore, à organiser les différents partis et organisations progressistes. Mais elles tardent à être reconnues par le mouvement populaire et encore moins à construire un rapport de force capable de contraindre le pouvoir à répondre aux aspirations du peuple.
Les puissances impérialistes bien servies
L’impunité du pouvoir peut donc se poursuivre, d’autant que sur le front extérieur, il est protégé. Surtout qu’il sert bien les intérêts des puissances impérialistes. Il n’y a qu’à rappeler l’adoption, durant le Hirak, de la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Élaborée en étroite collaboration avec les cinq grandes compagnies pétrolières au monde, elle abandonne une partie de la souveraineté du peuple sur ses richesses énergétiques. Conséquemment, la société française Total est désormais le premier groupe pétrolier présent en Algérie devant la société d’État Sonatrach. Également, on peut citer la disposition insérée dans la nouvelle constitution qui autorise désormais « l’envoi d’unités de l’armée nationale populaire à l’étranger » à la demande des gendarmes du monde. Et on connait les dégâts qu’ils ont causés dans la région en Libye, au Mali ou encore en Syrie. Des gestes qui sont loin de déplaire aux dirigeants occidentaux tel le président français Emmanuel Macron, qui par conséquent, a salué le « courage » de son homologue algérien.
Au Québec : une diaspora mobilisée
Le Canada continue aussi de faire des affaires avec le régime algérien. En mars 2020, le gouvernement Trudeau avait chargé son envoyé spécial, l’ancien premier ministre Charles Joseph Clark, de transmettre ses félicitations au président « mal-élu » Abdelmadjid Tebboune. Un peu plus de six mois plus tard, la Chambre des communes a adopté, à l’unanimité, une motion du député Alexandre Boulerice du NPD, condamnant « la répression politique » en Algérie, exigeant « le respect des droits de l’homme » et appelant à la libération de tous les prisonniers d’opinion et les prisonniers politiques. Elle sera suivie, quelques jours plus tard, par l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec de la motion présentée par le député QS Andrés Fontecilla pour soutenir le peuple algérien, dénoncer la répression, réclamer le respect des droits de la personne et la libération des détenus. Ces motions ont été rendues possibles grâce au dynamisme de la communauté algérienne du Québec qui soutient le Hirak. Des centaines de membres de cette communauté continuent de manifester à Montréal chaque fin de semaine pour soutenir les luttes dans le pays et dénoncer la répression qui va crescendo depuis plusieurs semaines. Ces motions ont fait mal au régime qui a actionné ses relais pour dénoncer « l’ingérence du Canada et du Québec dans les affaires internes de l’Algérie ». Elles ont été saluées par plusieurs figures du Hirak qui y ont vu un geste de solidarité internationale avec la lutte légitime du peuple algérien pour construire une république démocratique, sociale et plurielle.