Élections québécoises : le faux-vrai débat sur l’immigration  

Un débat organisé le 15 septembre par la Communauté chrétienne haïtienne de Montréal (CCHM) a permis à des candidats d’origine haïtienne de rencontrer une cinquantaine de personnes, très majoritairement de cette communauté. Ce fut, comme on pouvait s’y attendre, un défilé de platitudes et de généralités sans queue ni tête, notamment des représentants du PLQ (Frantz Benjamin, candidat dans Viau) et de Julie Séide (candidate de la CAQ dans Sauvé-Bourassa).

Le discours de la honte

Petit roquet de la formidable machine libérale dans l’est de Montréal, Benjamin n’avait pas honte de se « vanter » d’un gouvernement qui a aggravé la pauvreté par ses politiques d’austérité dans des quartiers pauvres comme Montréal-Nord (42 % des habitants sont immigrants et 40 % sont en dessous du seuil de la pauvreté). Benjamin dans le fonds ne s’en fait pas trop, puisqu’il recevra la grande majorité des votes de l’importante communauté d’origine italienne de Viau dans cette forteresse libérale. Quant au reste, il s’appuie sur un puissant dispositif de patronage et de clientélisme qui fait de plusieurs groupes communautaires de l’est des relais du Parti/gouvernement libéral. Sur la question de l’immigration, Benjamin s’est efforcé de faire peur en rappelant les remarques de Legault, sur les « tests » des valeurs et les expulsions. Il pensait être astucieux en citant Legault vantant Trump, ce qui, en effet, n’est pas fait pour rassurer les Haïtiens.

Faire semblant et faire peur

Julie Séide avait la sale job de défendre cela, alors que son parti, qui est plutôt la shop d’un seul homme, joue à fond de train la carte de l’identitarisme. Les rares fois que Legault et ses sbires ouvrent la bouche, c’est pour dire que les immigrants sont une menace, à peu près dans les mêmes termes que ceux que Duplessis utilisait contre les juifs, les « pollacks » et les « wops ». On pourrait, pense-t-il, à la limite, les accepter, mais pas trop, à condition qu’ils répondent à « nos » besoins (lire, les besoins des entreprises). Séide par ailleurs aurait quelques chances de passer dans Bourassa-Sauvé, si un bon de nombre de gens adopte la posture du « vote utile » (n’importe qui sauf le PLQ). Fait à noter, Séide avait amené avec elle une petite armée de cheerleaders animées par un « spin » blanc qui lui chuchotait ce qu’elle devait répondre quand elle hésitait. Le projet Legault à son meilleur.

Le PQ en déroute

Marie-Aline Vadius (candidate du PQ dans Laurier-Dorion), une jeune femme calme et affable, a parlé du PQ comme s’il venait d’être créé avant-hier, sans le triste épisode de la « charte des valeurs », et sans la politique austéritaire des Bouchard-Landry. La game du PQ, c’est de prendre le programme de QS et de faire semblant. Je ne dirais pas pour autant que Vadius est une menteuse, car elle semblait penser vraiment qu’il faudrait faire plusieurs choses pour lutter contre la discrimination. Mais comment y croire ? Comme le PLQ, le PQ a gouverné depuis 1976 en portant très peu attention à la discrimination contre les immigrants, y compris par rapport au grave problème de reconnaissance des diplômes, ce qui fait que des tas d’ingénieurs et de dentistes immigrants conduisent des taxis. Vadius a promis également de reconnaître et d’appuyer davantage le secteur communautaire (c’est la première « ligne » pour l’intégration), mais encore là, sans dire que le PQ avait été décevant à ce niveau pendant ses années au pouvoir.  C’est ce qui explique sans doute que Vadius est pas mal en dehors de la course à deux (PLQ-QS) qui se fait dans Laurier-Dorion.

Une proposition honnête

Le jeune solidaire David Touchette (candidat dans Lafontaine) s’est bien démarqué. Il a insisté sur le fait que par rapport au problème de l’insertion, la proposition d’une accessibilité totale et gratuite des garderies au doctorat était une clé. Il a parlé de pauvreté, d’exclusion, de racisme systémique, du fait, par exemple, que les minorités visibles et les immigrants en général sont quasiment absents de la fonction publique. Il a rappelé la bonne idée de mettre en place des carrefours pour les immigrants dans chaque région du Québec, ce qui permettrait aux nouveaux arrivants de se démêler dans le dédale administratif et des complications de la vie. Une idée somme toute simple, qui serait totalement convergente avec ce que font des tas de groupes communautaires, la plupart du temps sans moyen. Pour dire les choses simples, les immigrants ne sont ni une menace ni un « problème ». Ils contribuent déjà et beaucoup au mieux vivre et aux vires ensemble du Québec, à des années-lumière du discours haineux du réseau Quebecor, de Christian Rioux du Devoir, de la CAQ et d’une frange restreinte, mais bruyante des identitaristes.

Aller à la racine

Pour autant, la question de l’immigration n’a pas été vraiment abordée dans sa dynamique complexe. Au Québec, au Canada et dans les Amériques, l’immigration de masse a commencé avec les esclaves amenés de force d’Afrique pour travailler jusqu’à la mort dans les plantations. Au 19e siècle, des millions de pauvres européens expulsés de leurs villages en Irlande, en Italie, en Pologne, sont venus servir de cheap labour dans les industries et les mines, dans des conditions pitoyables. Les migrations étaient en fin de compte l’huile à moteur du capitalisme prédateur de cette époque. Après la Deuxième Guerre mondiale, des générations d’Europe du Sud et centrale sont arrivées pour construire Montréal et d’autres grandes villes.

Voler les cerveaux

Plus tard dans les années 1970, l’afflux a commencé du côté de l’Afrique, des Caraïbes, de l’Amérique latine. Fait à noter, la nouveauté était alors l’arrivée de personnes très qualifiées, souvent diplômées. Ainsi, on « décapitait » des pays comme Haïti de ses cadres et professionnels, que le capitalisme « achetait » à bon marché. Enfin depuis une vingtaine d’années, l’arrivée est massive d’Asie où des millions de jeunes diplômés et d’entrepreneurs débarquent ici. Ils sont « payants » compte tenu de leur situation de vulnérabilité, qui les oblige à travailler plus que tout le monde et avec des revenus en général de 15-20 % inférieurs aux autres habitants dans le territoire.

Le drame des réfugiés

Les flux d’immigration ont pris ces derniers temps une tournure dramatique avec l’exode massif de millions de personnes. Le cas de la Syrie est emblématique. Voici un État qui a été malmené par une dictature complaisante, pendant longtemps appuyée par les États-Unis et le Canada, et qui s’est engouffré dans une guerre sanguinaire contre des ennemis non moins sanguinaires, eux aussi appuyés par les États-Unis et leurs relais locaux (Arabie Saoudite, Turquie, Israël). Les pays occidentaux, dont le Canada, feignent de s’émouvoir, alors qu’ils sont largement responsables de ce désastre. En attendant, on traite les réfugiés comme des pestiférés, en essayant de les empêcher de venir jusqu’ici, en les prenant au compte-gouttes, après des mois (voire des années) d’attentes interminables. Une fois arrivés ici, les réfugiés sont profilés, suspects. Leurs enfants n’ont pas accès aux CPE, et tout le reste qui va avec. Trudeau et Couillard osent se vanter qu’on en a reçu 35 000, alors que, sur le terrain, il y a 10 millions de Syriens en attente d’un refuge (sans compter les innombrables multitudes d’Irak, de Palestine, d’Afghanistan, du Congo, de la Somalie). Il faudra bien un jour juger ce comportement criminel des puissances qui détruisent des régions entières et qui ensuite versent des larmes de crocodile devant la pile des morts et des blessés.

Que faire ?

Si on regarde cette situation en pleine face, on voit bien qu’on ne va pas régler les problèmes avec quelques projets et programmes, même avec toute la bonne volonté du monde. Je comprends que la campagne, y compris celle de QS, ne porte pas sur la question de l’effroyable (dés)ordre planétaire, mais il y a comme un angle mort dans la chose. Certes, il faut être compatissant, et se battre pour que tous soient accueillis avec justice et dignité, mais ce n’est tout simplement pas vrai, que ce drame va être réglé si on en accepte 40 000, 50 000 ou même 100 000. Bien sûr, en attendant, il faut au moins s’occuper humainement de ceux et celles qui sont ici.

Attention aux faux amis

Il ne faut pas être naïf cependant. Les lobbys patronaux, de mèche avec le PLQ, qui parlent de pénurie de main-d’œuvre, veulent des immigrants et des réfugiés bien « disciplinés », dont les 200 000 malheureux qui viennent ici en tant que « travailleurs étrangers temporaires », donc, totalement corvéables par les entreprises et pratiquement sans droit. Dans les fermes québécoises où on ne trouve plus un seul travailleur né ici, seuls les Mexicains et les Guatémaltèques se cassent le dos à récolter le brocoli pour le salaire minimum, à vivre dans des roulottes 6 mois par an. La solution n’est certes pas de les mettre dehors, mais simplement de leur permettre de défendre leurs droits, y compris celui de se syndiquer, comme cela leur a été refusé par les tribunaux. On aura toujours des « pénuries » de main-d’œuvre si on dépend d’un capitalisme sauvage et prédateur, qui survit à cause des salaires de misère, que seuls les damnés de la terre sont obligés d’accepter.

Confronter les responsables

Les États-Unis et leurs alliés subalternes, encore puissants bien qu’en déclin, sont confrontés ici et là par des luttes de résistances très dures. Ils cherchent, entre autres, à relancer les traités de « libre-échange » comme l’ALÉNA, qui ne sont ni libres, ni centrés sur l’échange, mais organisés pour subalterniser davantage l’économie et la société des pays pauvres et de niveler par le bas la nôtre et celle des États-Unis. En Amérique centrale et au Mexique par exemple, c’est une guerre civile larvée entre les riches et les pauvres, dans un contexte de violences extrêmes qui amènent des millions de personnes à tenter la périlleuse aventure de l’émigration. Travailler avec les mouvements de résistance, appuyer les centaines de groupes populaires et de syndicats qui luttent dans des conditions d’une extrême adversité, supporter les mouvements d’émancipation qui essaient de réinventer des projets de transition sociale et environnementale s’avère un impératif incontournable, si on veut mettre fin au cercle vicieux actuel.

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