Fanon brûlant d’actualité

Dans Fanon, hier et aujourd’hui, le documentaire de Hassan Mezine, le réalisateur réussit à faire sortir Franz Fanon du musée et des cérémonies de commémoration creuses pour le restituer aux hommes et aux femmes en quête d’émancipation.

Marwan Andalousi, As Safir 10 octobre 2018

La bande annonce du film se trouve à https://www.youtube.com/watch?v=3zTaQRG0VRA

Le documentaire Fanon, hier et aujourd’hui, réalisé par Hassan Mezine, est une stimulante contribution à la résurrection cinématographique d’un immense combattant pour la liberté des peuples. Un Moudjahid de la pensée en action que les idéologues dogmatiques ont largement ignoré et que les propagandistes de droite n’ont eu de cesse de diaboliser. Frantz Fanon, figure emblématique des luttes anticoloniales, celui-là même que les universités néocoloniales éludent entre silence aigre et embaumement perfide, réapparait dans ce film dans toute sa pertinence politique, dans toute son urgence. Le fils de la Martinique et l’Algérien, l’internationaliste Fanon revient parmi nous comme dans un songe pour rappeler que l’aliénation est l’instrument le plus redoutable de la domination, que la colonialité est une continuité criminelle et que la dignité est inséparable de la liberté.

Hassan Mezine, qui a travaillé aux côtés de René Vautier, a construit patiemment son ouvrage, touche après touche, pour présenter une trajectoire fulgurante par son intensité intellectuelle et la nature indomptable de l’engagement. Après plusieurs années de recherches d’archives, de collecte d’images, de témoignages et de tournage, Hassan Mezine a réussi à réaliser un film à la fois riche en informations, profond et sensible.

Le documentaire, loin de n’être qu’un exercice de pédagogie politique, est divisé en deux parties, se conjugue en deux respirations, celle de l’Histoire et celle du temps présent. La première partie éclaire sur les engagements initiaux et la trajectoire singulière d’un jeune lycéen des Antilles françaises, son entrée en résistance contre le nazisme auprès des Forces Françaises libres (FFL). Mais Fanon déchante en prenant conscience très vite de la réalité du racisme au sein même de cette armée de « libération ». Il reconnaitra sans la moindre ambiguïté d’ailleurs dans une lettre à ses parents s’être fourvoyé dans un combat qui n’était pas le sien. Cette douloureuse expérience a probablement été l’un des éléments fondateurs de sa pensée future. Celle qui s’énonce dans toute sa vigueur et son audace dans « Peau noire, masque blanc » son opus inaugural sur les traumas du racisme.

Ensuite, vient son engagement, plus connu, dans le Front de libération nationale algérien (FLN). Cette partie de sa courte vie, il est mort en 1961 à 36 ans, est reconstituée par les témoignages de personnalités algériennes, françaises et africaines, qui l’ont croisé ou plus durablement fréquenté. Des témoignages vivants et émouvants qui révèlent des aspects de la personnalité de Frantz Fanon, son extrême rigueur et son amour de la vie, son attachement sans faille à la cause algérienne et son africanité.

On pourra ainsi voir, parmi d’autres apports, les témoignages sobres et percutants de l’algérien Abdelhamid Mehri et du Nigérien Ousmane Dan Galadima., de Lilyan Kesteloot, universitaire discrète mais reconnue, qui a rencontré Fanon à Rome en 1959 à un moment crucial de sa vie militante. Et, bien sûr, de la très attachante Marie-Jeanne Manuellan, elle-même auteure de « Sous la dictée de Fanon »(1), qui a travaillé aux côtés du psychiatre lors de son séjour tunisois et qui a dactylographié une partie de ses écrits dont l’impérissable « Damnés de la terre ».

« Nous ne sommes rien sur terre, si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté. » Extrait d’une lettre de Frantz Fanon à Roger Taïeb (1961)

La seconde partie du documentaire est consacrée aux luttes contemporaines portées par des femmes et des hommes dans plusieurs pays. Raphael Confiant(2) inaugure un cycle de regards militants sur les résistances et l’influence de Fanon sur les mobilisations politiques dans la Caraïbe et à travers la planète. Hassan Mezine nous fait ainsi voyager sur les latitudes d’oppression d’un monde fragmenté. Du rappeur qui se bat pour les sans papiers et contre les violences policières au Portugal,aux militants décoloniaux sud-africains en passant par l’Algérie et le Niger, (où l’un des intervenants est actuellement emprisonné), et en France pour conclure en toute logique politique sur la Palestine. L’ultime combat contre le colonialisme sous sa forme la plus criminelle, entre spoliation et apartheid, est mis en lumière fanonienne par la psychiatre palestinienne Samah Jabr.

Au fil de la narration et d’éclairages parfois intimes, comme ceux fournis notamment par son fils Olivier et l’évocation délicate de Josie son épouse, Frantz Fanon parait plus proche dans sa sensibilité et son courage intransigeant. Cette partie du film fera découvrir au public que la pensée de celui qu’Aimé Césaire appelait le « Guerrier-Silex » est toujours vivante et inspire des militants issus de divers horizons, des hommes et des femmes qui refusent l’injustice aux quatre coins du globe. Loin d’être le porte-parole de la violence pure que d’aucuns imaginent, Fanon est un humaniste sans exclusive, solidaire de toutes les causes justes. Il reste un libérateur à cent lieues de la pensée unique et des identités carcérales.

Le réalisateur a ainsi réussi avec son film à faire sortir Franz Fanon du musée et des cérémonies de commémoration creuses pour le restituer aux hommes et aux femmes en quête d’émancipation. Fanon, hier et aujourd’hui est un film de résistance et d’espoir qui concerne un vaste public qui va des amateurs de films documentaires et politiques aux chercheurs et étudiants. Mais il ne s’agit pas d’un film biographique de plus consacré à une haute figure des combats des peuples du tiers-monde, Hassan Mezine a su capter avec subtilité et restituer avec force l’esprit irrédentiste du Guerrier-Silex, pour le plus grand plaisir des spectateurs.

Le film Fanon hier et aujourd’hui, a été projeté aux Rencontres cinématographiques de Béjaïa, en Algérie, au début septembre. Il a été également projeté dans plusieurs salles en France, à Bruxelles et à Madrid. Le film poursuivra son chemin par la suite à Londres, en Martinique et en Guadeloupe, au Mexqiue…

Fanon, hier et aujourd’hui – 87 minutes – 2018 – Réalisé par Hassan Mezine.
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1- Sous la Dictée de Fanon – Marie-Jeanne Manuellan – Editions de l’Amourier – 2017.
2- Ecrivain et homme politique Raphael Confiant vient de publier L’Insurrection de l’âme. Frantz Fanon, vie et mort du guerrier-silex, Raphaël Confiant, Caraïbéditions – 2017.

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