Du 19 au 25 juin dernier se tenait, en région parisienne, la 54e édition du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace. Communément appelé le Salon du Bourget, l’évènement est présenté comme le « Le rendez-vous sur Terre des professionnels du ciel ». L’édition 2023 ayant attiré plus de 2500 exposants, 322 délégations officielles en provenance de plus de 100 pays et 300 000 visiteurs, le salon du Bourget est une rencontre internationale de taille. Conférences, démonstrations de vol ainsi que présentations y sont entre autres ouvertes au grand public. 

L’évènement est surtout important pour les entreprises du secteur de l’aviation. C’est lors de cette semaine biennale que la course aux juteux contrats de fabrication d’avions bat son plein. Cette année, Airbus en est sorti grand gagnant en dépassant son éternel concurrent Boeing au chapitre des ventes. Au total, des contrats d’une valeur de plus de 150 milliards de dollars US y ont été signés.

Le Salon du Bourget aime se présenter comme un évènement promouvant un secteur économique conscient des enjeux mondiaux actuels. Avec sa certification en matière de responsabilisation sociale des entreprises, bien sûr, mais surtout avec sa prétention d’être la vitrine d’une industrie luttant pour la décarbonisation de l’industrie aérienne.

L’hypocrisie environnementale de l’aéronautique 

Le secteur de l’aviation présente la décarbonisation de l’industrie comme la solution miracle qui justifierait et permettrait de doubler la flotte aérienne mondiale. Alors que les craintes liées aux émissions de gaz à effet de serre sont sur toutes les lèvres, Boeing prévoit plutôt que la flotte aérienne mondiale passera de 24 500 à 48 575 avions d’ici 2042.

L’industrie refuse donc clairement d’envisager une décroissance ou même un plafonnement du trafic aérien actuel, ce qui lui permettrait de faire sa part dans la lutte aux changements climatiques. Manifestement, l’argent est au cœur de son refus. Rappelons que les deux plus grosses sociétés du monde de l’aviation, soit Airbus et Boeing, ont respectueusement déclaré des revenus de 63,9 milliards et de 66,6 milliards de dollars US en 2022.1 

De plus en plus d’experts appellent toutefois à la décroissance. C’est dans cette optique que 15 organisations environnementales, dont Greenpeace, ont récemment mis en garde contre cette idée de transport aérien carboneutre. Leur tribune intitulée Climat : « Le Salon du Bourget signera-t-il la nécessaire réduction du trafic aérien ? » et publié dans Le Journal du Dimanche mentionne entre autres que les espoirs placés dans les carburants d’aviation durables (SAF) seront déçus. Car bien que ces carburants soient moins polluants, ils ne permettront pas suffisamment d’efficacité énergétique et ne seront pas produits en assez grande quantité pour subvenir aux besoins de la flotte aérienne mondiale. Même si leurs productions augmentent actuellement, les SAF représentent aujourd’hui moins de 1% de la consommation mondiale de carburant d’aviation2 et leur coût de revient est de 3 à 4 fois plus élevé que celui du carburant d’aviation habituel.3 Les promesses d’atteindre la carboneutralité du secteur de l’aviation d’ici 2050 semblent donc, au mieux, illusoires…

L’influence du complexe militaro-industriel

Le prestige associé à un évènement comme le Salon du Bourget met aussi de côté les énormes implications militaires de l’industrie de l’aviation. Airbus vend en effet bien plus que des avions permettant de retrouver sa famille ou de voyager. On retrouve dans son catalogue plusieurs avions militaires pour lesquels les États-Unis, l’Inde, le Qatar, l’OTAN et des dizaines d’autres ont passé plusieurs commandes.4 La situation est similaire chez Boeing qui a déclaré des revenus de plus de 23,3 milliards de dollars US en 2022 pour sa seule filiale Défense.5 

Peu étonnant alors que nos gouvernements ne s’engagent pas à imposer des limites aux projections du trafic aérien de ces compagnies. De fait, elles leur permettent de concrétiser leurs plans de défense nationale et d’assoir leurs présences militaires à travers le monde. Pensons aux avions militaires Airbus de la mission française au Sénégal qui assure la « sécurité des intérêts français » ou bien encore ceux de Boeing qui font, par le biais de missions de routine de l’armée américaine, acte de présence en mer chinoise orientale.6 

  1. Boeing Revenue 2010-2023 | BA. (s. d.). Consulté 11 juillet 2023, à l’adresse https://www.macrotrends.net/stocks/charts/BA/boeing/revenue &  (S. d.). Consulté 11 juillet 2023, à l’adresse https://www.airbus.com/en/newsroom/press-releases/2023-02-airbus-reports-full-year-fy-2022-results []
  2. IATA : Augmentation de 200 % de la production de SAF en 2022. (s. d.). Air et Cosmos. Consulté 11 juillet 2023, à l’adresse https://air-cosmos.com/article/iata-augmentation-de-200-de-la-production-de-saf-en-2022-63781 []
  3. Un carburant d’aviation durable pour une manière de voyager plus durable—KLM Canada. (s. d.). KLM Royal Dutch Airlines. Consulté 11 juillet 2023, à l’adresse https://www.klm.ca/fr/information/sustainability/sustainable-aviation-fuel []
  4. Airbus. (2023) Orders, Deliveries, In Operation Military aircraft by Country – Worldwide (Summary) https://airbus.web.factory.eu.airbus.com/sites/g/files/jlcbta136/files/2023-06/2023-05_MRS_GEN_Ord-Deliv%20by%20country.pdf []
  5. Boeing. (2023) Défense, Space, Security (Overview) https://www.boeing.com/resources/boeingdotcom/defense/overview/BDS_business_overview.pdf []
  6. Sénégal : L’Escale aéronautique des éléments français au Sénégal rétrocédée à l’armée de l’air. (s. d.). Consulté 12 juillet 2023, à l’adresse https://www.aa.com.tr/fr/afrique/sénégal-l-escale-aéronautique-des-éléments-francais-au-sénégal-rétrocédée-à-l-armée-de-lair/2291744  & Mer de Chine – Incident entre des avions américain et chinois. (2017, mai 19). 24 heures. https://www.24heures.ch/incident-entre-des-avions-americain-et-chinois-910293225450 []