Côme Bastin, Reporterre, 20 février 2021
Disha Ravi, 21 ans, est accusée d’avoir comploté contre la nation parce qu’elle a diffusé un kit de soutien à la révolte paysanne qui secoue l’Inde. Son arrestation, le 14 février, provoque l’indignation d’une partie du pays.
Elle passait un dimanche matin en famille lorsque la police est venue frapper à la porte. Le 14 février, Disha Ravi, 21 ans, a été arrêtée et transportée par la police de Bangalore à New Delhi, à deux mille kilomètres de là. Elle est accusée d’avoir élaboré un kit de soutien aux agriculteurs indiens qui manifestent pour réclamer l’abrogation d’une réforme agraire libéralisant les marchés agricoles. Et par là même, d’être responsable desviolences entre fermiers et policiers qui ont eu lieu dans la capitale le 26 janvier.
Disha Ravi est une des membres fondatrices de la branche indienne de Friday For Future, le mouvement écologiste de Greta Thunberg. Le kit de soutien en question a justement été partagé par la Suédoise mais ne contient que des conseils d’actions parfaitement légales [1] : signer des pétitions, ou utiliser des hashtags… Mais pour la police de New Delhi, qui enquête sur un précédent kit, supprimé depuis, il fait partie d’une « conspiration internationale » contre l’Inde entre émeutiers, écologistes et une ONG Sikh américaine, la Poetic Justice Foundation.
L’arrestation de cette jeune militante sur des bases si légères suscite l’indignation au sein de l’opposition et de la société civile. « C’est une attaque sans précédent contre notre démocratie, soutenir les paysans n’est pas un crime », a ainsi déclaré le maire de New Delhi, issu du parti d’opposition AAP. « L’Inde ne se laissera pas bâillonner », a réagi la figure du parti du Congrès Rahul Gandhi. Les parents de Disha Ravi sont également sous le choc.
Toutes sortes de rumeurs et de fausses nouvelles sont lancées par les fans du Premier ministre Narendra Modi sur Internet : par eemple, Disha Ravi s’appellerait ainsi Disha Ravi Joseph, et serait une chrétienne cherchant à diviser l’Inde. Le Bharatiya Janata Partylui (BJP), parti de droite nationaliste hindou, n’en démord pas : « Soutenir les agriculteurs n’est pas un crime, mais conspirer contre l’Inde et inciter les autres à le faire en est un, même à 21 ans », juge son porte-parole Gaurav Bhatia.
« Une hausse alarmante de la censure »
Cet évènement a en réalité lieu alors que le gouvernement indien durcit la répression des agriculteurs sur le terrain, et aussi sur Internet, en répétant que leur mouvement est téléguidé par des étrangers. À défaut de pouvoir faire taire Greta Thunberg ou la star Rihanna, qui ont toutes deux apporté leur soutien aux fermiers, le gouvernement se déchaîne contre ses citoyens.
Internet a été coupé aux frontières de New Delhi, où les fermiers sont de plus en plus nombreux. Sous la menace, Twitter a dû bloquer 1.345 comptes, souvent sans explications. « Les mesures prises par le gouvernement sont disproportionnées et montrent une hausse alarmante de la censure », réagit Adar Gupta, directeur de l’Internet Freedom Foundation.
Plus généralement, la pression exercée contre les organisations et les activistes environnementaux va croissante en Inde. Comme nous l’expliquions dans cet article, le site du mouvement Friday For Future, aux côtés de deux autres, avait été bloqué en juin via une loi antiterroriste. Son tort ? Contester la dérégulation du code environnemental. Des ONG telles que Greenpeace ont été réduites au silence par l’interdiction de financements étrangers.
L’arrestation de Disha Ravi trouve cependant un écho national et international qui pourrait s’avérer contre-productif pour le gouvernement, pris dans la spirale de l’effet Streisand. Des étudiants se sont rassemblés à Bangalore pour protester contre cette incarcération. Pour le Guardian, Disha Ravi est devenue le symbole de la chape de plomb qui s’abat contre les dissidents en Inde.