Inde : main basse sur le Cachemire

 

Lina Sankari, l’Humanité, 6 août

 

Après avoir dépêché 35 000 militaires, New Delhi a révoqué hier l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire, réalisant ainsi un vieux rêve des fondamentalistes hindous. Un affrontement direct avec le Pakistan n’est pas à écarter.

Qu’il paraît loin le temps où les nations provoquaient des incidents factices pour déclencher la guerre. Il aura cette fois suffi à New Delhi d’évoquer la préparation potentielle d’une attaque terroriste d’envergure par le Pakistan pour dépêcher 35 000 militaires au Cachemire indien et révoquer, hier, l’autonomie constitutionnelle de la région, également revendiquée par Islamabad, et en proie à une insurrection séparatiste. Une décision lourde de conséquences qui pourrait relancer les hostilités entre les deux puissances nucléaires qui se sont affrontées à quatre reprises depuis 1947. Hier, les rassemblements ont en outre été interdits et les réseaux de communication totalement coupés. Des responsables politiques sont assignés à résidence. Vendredi, le gouvernement indien avait déjà annulé le pèlerinage du 15 août vers le temple hindouiste d’Amarnath, situé dans les montagnes himalayennes, après la découverte, à 3 kilomètres de la grotte sacrée, d’une mine antipersonnel de fabrication pakistanaise et d’un fusil de précision américain. Sur ordre de New Delhi, pèlerins et touristes étrangers ont dû quitter la zone en urgence. Signe de la confusion qui règne dans la vallée, des scènes de ruée vers les magasins et les pompes à essence ont été observées.

En vertu de son statut spécial et de l’article 370 de la Constitution indienne, l’Assemblée législative du Jammu-et-Cachemire bénéficiait jusqu’alors d’une autonomie dans la définition de ses politiques, à l’exception des volets relevant de la défense, des affaires étrangères, du budget et des communications. « Aujourd’hui marque le jour le plus noir de la démocratie indienne », a réagi hier l’ancienne cheffe de l’exécutif de Jammu-et-Cachemire, Mehbooba Mufti. « La décision unilatérale d’abolir l’article 370 est illégale et inconstitutionnelle. Elle fera de l’Inde une force d’occupation au Jammu-et-Cachemire », a-t-elle poursuivi. Outre qu’elle pourrait provoquer une grave crise institutionnelle en Inde, la modification du statut spécial du Cachemire par décret présidentiel appelle également un autre projet de loi visant à séparer le Jammu-et-Cachemire de la région orientale du Ladakh, à majorité tibétaine. La partie restante engloberait les plaines à majorité hindoue et la vallée de Srinagar, où l’islam est prépondérant. « Cela aura des conséquences catastrophiques pour le sous-continent. Les intentions du gouvernement de l’Inde sont claires. Il veut le territoire du Jammu-et-Cachemire en terrorisant son peuple », a enfin expliqué Mehbooba Mufti.

Les électeurs ont massivement suivi l’appel au boycott des élections

Cette disposition répond en réalité à une vieille revendication des ultranationalistes hindous. Leur représentant, le premier ministre Narendra Modi, qui s’est offert un plébiscite lors des législatives du printemps, pense désormais avoir le mandat nécessaire pour réaliser les desseins du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), la branche armée du Parti du peuple indien(BJP). « Les habitants du Jammu-et-Cachemire pourront être pleinement assimilés au reste de « l’Akhand Bharat » seulement lorsque des révisions constitutionnelles auront été effectuées », spécifiait déjà le chef du RSS, Mohan Bhagwat, il y a deux ans. Dans les fantasmes expansionnistes des nationalistes hindous, « l’Akhand Bharat » regroupe tous les territoires où l’Inde aurait une influence culturelle réelle ou supposée : l’Afghanistan, la Birmanie, le Pakistan, le Népal, le Bangladesh et le Sri Lanka.

En février dernier, lors de la campagne électorale, Narendra Modi n’avait pas hésité à attiser le feu dans cette zone en menant un raid contre un camp d’entraînement du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed dans la région de Balakot, au Pakistan. Pourtant, dans la circonscription de Srinagar, les électeurs ont massivement suivi l’appel au boycott des élections lancé par les leaders séparatistes. Comment en aurait-il été autrement alors que la zone vit, depuis 1990, sous le régime du Armed Forces Special Powers Act (Afspa), qui confère une totale impunité aux forces armées indiennes. Arrestations sans mandat, meurtres, torture, détention illimitée… le tout sans possibilité d’enquête par les Nations unies.

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