Hakim Ben Hammouda 4 avril 2020
La pandémie du Covid-19 est en train de bouleverser notre monde comme nous ne l’avons jamais vu en temps de paix. Par l’ampleur de ces pertes humaines, la rapidité de sa transmission et notre incapacité à arrêter sa propagation, ce virus est à l’origine d’une grande angoisse et d’une peur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.
Mais, en plus des peurs et des fureurs, cette crise sanitaire de grande ampleur est en train de remettre en cause nos modes de pensées et nos pratiques politiques, économiques et sociales au cours des décennies passées. Cette pandémie est venue nous montrer grandeur nature les dérives de notre monde et un productivisme globalisé qui a eu des effets effrayants sur la nature et la société. Parallèlement aux angoisses et aux effrois, le Covid-19 est à l’origine d’une réflexion majeure sur le monde d’avant, nos dérives passées et notre monde à venir.
Plus rien ne sera comme avant, avaient prévenu responsables politiques, acteurs de la société civile, intellectuels et penseurs.
C’est un autre monde que nous devrons nous attacher à définir et à reconstruire ensemble.
Et probablement, l’une des premières grandes révisions concerne la globalisation dont les douces certitudes nous ont bercés pendant plus de trois décennies. Le projet de la globalisation néolibérale s’est présenté à nous comme la réponse à la crise du modèle de l’Etat-nation hérité du système westphalien et qui a régi le monde depuis le 17e siècle. La globalisation nous permettait d’échapper au monde de la modernité et de nous inscrire dans celui plus joyeux et moins contraignant de la postmodernité. Mais, elle favorisait également une sortie de l’Etat providence qui éprouvait les plus grandes difficultés à faire face aux incertitudes et aux difficultés du monde d’après-Seconde Guerre mondiale.
La crise du Covid-19 est en train de remettre en cause la globalisation heureuse qui a dominé le monde depuis les années 1980 et qui a offert le nouveau cadre de formulation des politiques économiques et des grands choix de politique publique. Mais, il faut dire que cette pandémie n’est pas la crise du monde global et qu’elle vient probablement donner le coup de grâce à cette dynamique en panne depuis des années. Nous avons eu la grande crise financière de 2008 qui a montré les dérives de la globalisation financière et l’instabilité qu’elle fait régner sur le monde. Les années post-crise financière ont été aussi marquées par les débats et les critiques sur la montée des inégalités que la globalisation a renforcée.
La pandémie du Covid-19 est venue renforcer la crise de la globalisation et la mélancolie qui la couvre depuis quelques années. Les politiques mises en place aujourd’hui et les choix et les décisions des acteurs économiques sont en train de façonner un nouveau monde et une nouvelle architecture qui vont renforcer la sortie de la globalisation débridée mise en place depuis quelques décennies.
Cette sortie de la globalisation heureuse s’observe, nous semble-t- il, autour de six points essentiels. Le premier concerne le retour de la notion de souveraineté et de frontières. Or, rappelons-le, la globalisation a été fondée sur l’abandon de cette souveraineté politique, comme économique, au profit des grandes institutions multilatérales comme les grandes firmes transnationales.
Ce dogme est en train d’être remis en cause aujourd’hui et les grands pays sont en train de se rappeler au bon souvenir de la souveraineté nationale, notamment dans la production des industries stratégiques, comme les industries pharmaceutiques, pour faire face aux effets des crises sanitaires. C’est aujourd’hui que le monde, particulièrement les pays développés, a découvert sa dépendance pour les produits actifs à la Chine et à l’Inde qui produisent aujourd’hui près de 80% de la production mondiale de ces produits. Et, les voix de s’élever sur la nécessité de sortir de ce mythe de fin de souveraineté pour reconstruire les activités stratégiques abandonnées jusque-là.
Le second point dans la remise en cause de la globalisation concerne le retour de l’Etat et le rôle prépondérant qu’il est en ,train de jouer dans la gestion de cette crise et qu’il continuera à jouer dans le monde d’après. Ce retour fracassant de l’Etat dans la lutte contre les effets sanitaires de la pandémie comme dans la gestion de ses dimensions économiques et sociales, a fait voler en éclats les anciennes conceptions du rôle régulateur de l’Etat et la nécessité de limiter ses interventions dans la correction des imperfections du marché qui étaient au coeur de la globalisation triomphante. Or, aujourd’hui, on assiste à ce retour qui ne s’arrêtera pas de sitôt.
Le troisième point de cette remise en cause de la globalisation heureuse concerne le retour du social. La montée des inégalités et les débats majeurs qu’elle a suscités ont montré les limites de la globalisation et sa contribution dans cette marginalité croissante.
Aujourd’hui, la pandémie du Covid-19 est à l’origine d’un retour du social, d’une plus grande prise en compte de l’effort de solidarité et des investissements dans la santé et dans l’éducation par l’Etat et pour créer une nouvelle sociabilité.
Le quatrième point est lié à la globalisation de la production et au développement des chaînes de valeur mondiale qui a favorisé une grande division du travail au niveau mondial et qui a fait de notre monde un petit village. Certes, cette tendance a été fortement remise en cause au cours des dernières années avec la montée des guerres commerciales, particulièrement entre les Etats-Unis et la Chine. La pandémie du Covid-19 est en train de remettre en cause cette tendance et d’appeler à un retour des Etats-nations et des régions.
Le cinquième point est en rapport avec la financiarisation qui a constitué un fondement essentiel de la globalisation et un pendant essentiel de celle de la production. Certes, la crise de 2008 a contribué à égrener ce mythe et les normes de risques mises en place avec Bâle 3 ont été à l’origine d’un repli des grands groupes bancaires et financiers sur leurs bases nationales ou régionales.
Cette tendance va s’accentuer avec la nouvelle crise et la démesure financière de la globalisation sera certainement remise en cause. Enfin, le dernier point concerne la gouvernance de la globalisation et la tentation de limiter le rôle et la place des institutions de gouvernance mondiale comme les Nations unies, l’OMC, la Banque mondiale ou le FMI. Or, la crise de la pandémie du Covid-19 a montré l’importance des institutions multilatérales dans la gestion des crises globales, pourvu qu’elles soient à l’écoute des plus faibles et des plus démunis.
La pandémie du Covid-19, comme toutes les épidémies dans l’histoire de l’humanité, est en train d’ouvrir une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité. Parallèlement à la lutte contre la propagation de l’épidémie, nous sommes en train d’assister à l’émergence d’une nouvelle expérience humaine plus solidaire, ouverte et démocratique.