Le printemps arabe, une décennie plus tard

Jad Kabbanji, 27 avril 2021

Le 17 décembre 2010 en Tunisie commençait ce qui est communément appelé le printemps arabe. Un épisode historique qui a balayé un bon nombre de régimes de la région et qui a soulevé un enthousiasme certain parmi les populations de ces pays. Il y a dix ans déjà, Ben Ali, Moubarak et Kadhafi quittaient le pouvoir et entraient dans l’histoire par la plus petite des portes. D’autres, comme Assad, Saleh et Al Khalifa résistaient et écrivaient l’histoire avec le sang de leur peuple. Dix ans plus tard, certains sont toujours en poste, certes affaiblis, mais bien en place et sans réelle opposition crédible qui viendrait menacer leur autorité.

Le webinaire organisé par le Transnational Institute et la Fondation Rosa Luxembourg et intitulé « Revolution and Counterrevolution: The Arab Spring Ten Years On » est une série de rencontres virtuelles déclinées en trois temps et dédiées à cet événement historique. En février 2021, la rencontre avait pour objet l’Égypte et la Tunisie. Le 16 avril 2021, l’objet d’étude était la Libye, la Syrie, le Yémen et le Bahreïn. Une dernière rencontre devrait avoir lieu en juin 2021.

Dans cet article, il s’agit tout d’abord de revisiter la deuxième rencontre et de réfléchir sur les grands traits du printemps arabe avec un regard historique. Ensuite, il importe d’examiner les événements qui se déroulent dans cette région depuis 2019 et de souligner l’évolution qualitative par rapport aux événements de 2010-2011.

Les causes profondes du soulèvement

Plusieurs thématiques ont été abordées lors de ce webinaire, notamment la répression menée par les régimes arabes face aux soulèvements et les interférences étrangères. En effet, ce sont deux facettes incontournables à évoquer quand il s’agit du printemps arabe. Toutefois, il est essentiel, afin de saisir la nature profonde des événements qui se sont déroulés dans cette région au cours de la dernière décennie, d’évoquer le contexte socio-économique. Ce contexte aurait mérité une place centrale au webinaire, puisqu’à l’époque il est au fondement même de certaines révoltes. Mise à part Lucia Pradella qui a présenté le cas libyen, aucun des intervenant.es n’a évoqué les réformes néolibérales comme étant un déclencheur des révoltes populaires. Pourtant, le cas syrien est révélateur de ce point de vue. Les premiers mois du soulèvement en Syrie ne sont-ils pas une révolte sans arme des campagnes appauvries par une décennie de réformes néolibérales ?

L’échec de la contre-révolution islamiste

Par ailleurs, la militarisation de certaines révoltes et l’émergence de l’islam politique comme « alternative » au régime despotique de la région n’ont pas été suffisamment évoquées lors de la rencontre. Si contre-révolution il y a, comme le suggère le titre du webinaire, c’est bien ici qu’il faut aller chercher. En effet, une des faiblesses manifestes de la première vague du printemps arabe est la désorganisation des forces populaires. Ceci n’est pas étonnant étant donné que les régimes autoritaires arabes n’ont laissé la place à aucune opposition à l’exception de l’opposition islamiste. Dès lors, il n’est pas étonnant que ces forces islamistes aient pris le pouvoir dans une partie des pays de la région au cours de la dernière décennie, en Libye, en Tunisie et en Égypte ou encore dans des territoires « libérés » de quelques pays comme la Syrie ou le Yémen. Mais avec quel bilan ?

Si ces forces islamistes continuent à disposer d’un soutien populaire non négligeable dans la région, il est certain qu’elles ont échoué dans leurs tentatives de représenter une alternative crédible au pouvoir en place. Partout où elles ont pris le pouvoir, elles ont mené une politique néolibérale qui n’a rien à envier au pouvoir en place. Plus encore, ces forces se sont avérées aussi cruelles et liberticides que les « ennemies » qu’elles combattaient. La Syrie est encore une fois le parfait exemple.

Un processus sur le temps long

L’échec de l’intermède islamiste nous emmène à parler du processus sur le long terme, car s’il est prématuré de parler de révolution arabe, comme le suggère le titre de la conférence, il faut souligner que c’est un processus révolutionnaire qu’il faut envisager sur le temps long. En effet, depuis 2019, on assiste à un nouveau sursaut de la rue arabe notamment au Liban, en Irak et au Soudan. Certes, il y a une continuité avec les soulèvements du début des années 2010, mais l’on constate une évolution qualitative au niveau de l’éveil général et des revendications. Dorénavant, c’est le système en place dans ces fondements économique, social et politique qui est remis en cause. Les revendications sociales sont omniprésentes au côté des revendications de liberté et de démocratie.

C’est cette conjonction de revendications matérielles et immatérielles qui fait la particularité de cette seconde phase du printemps arabe. Autre fait important, les forces islamistes, qu’elles soient chiites ou sunnites, sont maintenant ouvertement critiquées et exposées publiquement comme faisant partie du problème et non plus de la solution. Cependant, les faiblesses persistent, notamment le manque d’organisation. Mais, gardons en perspective que l’opposition est trop hétérogène et qu’il faudrait certainement beaucoup d’efforts et de compromis. Surtout, un véritable dialogue pour définir un projet alternatif crédible sur lequel pourrait se bâtir les sociétés futures libérées du joug du despotisme des régimes autocratiques et confessionnels.