Adnan Abu Amer, Chroniques de Palestine, 4 mars 2020
Les Israéliens de toutes tendances politiques se sont félicités du « plan de paix » de Trump, mais les citoyens palestiniens du prétendu État juif sont en colère parce que l’accord fait référence à des échanges de terres et de populations entre Israël et les territoires prétendument administrés par l’Autorité palestinienne.
Cela confirme qu’Israël veut les déplacer, répondant ainsi aux attentes de la droite.
Les membres arabes du parlement israélien ont déclaré qu’ils n’accepteraient pas ce ainsi-nommé Accord du siècle et sa proposition d’annexion explicite. Néanmoins, le gouvernement israélien d’extrême-droite a maintenant le feu vert pour priver de leur citoyenneté des centaines de milliers de Palestiniens vivant dans le « Triangle » au nord d’Israël.
Il est clair que le plan de Trump ne vise pas seulement à voler une plus grande partie des terres palestiniennes occupées en 1967, mais il veut aussi « transférer » les Palestiniens des territoires occupées en 1948. Israël veut donc « échanger » toutes ces zones avec l’Autorité de Ramallah… Les protestations contre ce plan ne sont donc pas simplement une question de solidarité avec les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza ainsi qu’avec les réfugiés de la diaspora, car il existe une véritable conspiration contre l’existence même des Palestiniens en Israël.
Les Palestiniens en Israël ont tenu des réunions de crise pour discuter des implications de l’accord, en particulier pour ceux du Triangle, qui est une zone à prédominance arabe en Israël – à proximité de la Cisjordanie – divisée en Triangle du Nord avec les villes de Kafr Qara, Ar’ara, Baqa Al-Gharbiyye et Umm Al-Fahm, et le Triangle du Sud, avec les villes de Qalansawe, Tayibe, Kafr Qasim, Tira, Kafr Bara et Jaljulia. C’est un bastion du mouvement islamique en Israël, dirigé par le Cheikh Raed Salah.
La partie du Triangle mentionnée dans le plan Trump couvre 350 kilomètres carrés. La zone menacée par la proposition d’échange couvre plus de 42 000 acres, habités par 300 000 Palestiniens, lesquels représentent 20% de la population palestinienne totale à l’intérieur d’Israël et qui ont la citoyenneté israélienne. Ces villages sont donc une source de préoccupation démographique pour Israël en raison de l’augmentation constante de la population, qui devrait atteindre 500 000 habitants dans les cinq prochaines années, faisant ainsi pencher la balance démographique en faveur des Arabes palestiniens.
Le Triangle est de nature plus conservatrice que les régions arabes plus intégrées d’Israël. L’échange de territoire et de population hors d’Israël entraînera la disparition de ceux qui préservent le mieux l’identité palestinienne traditionnelle. Les groupes politiques locaux estiment que l’échange de terres et de population est une extension des efforts de longue date d’Israël pour liquider la question palestinienne ; Israël veut toujours plus de terres mais sans le peuple de Palestine. Ce n’est pas la première fois que les Israéliens cherchent à transférer le plus grand nombre d’habitants du Triangle et en même temps le moins de territoire. Un tel transfert ne touchera pas seulement les Palestiniens directement concernés, mais aussi leurs familles élargies et leurs liens sociaux, dont beaucoup seront rompus.
Les efforts visant à judaïser les zones du Triangle pour donner à Israël une certaine profondeur stratégique comprennent l’installation d’une ceinture de colonies à la périphérie des villes arabes. Cela a soulevé l’inquiétude des Palestiniens, avec des attaques presque quotidiennes des colons contre eux-mêmes et leurs propriétés. On craint également qu’un autre massacre comme celui de Kafr Qasem en 1956 ne soit en préparation pour pousser la population locale à partir.
Un plan élaboré par le défunt Premier ministre Ariel Sharon, appelé le projet « Sept étoiles », a tenté de changer la nature démographique du Triangle. Une majorité juive devait être créée en établissant des centres religieux, en cernant la ville de Umm Al-Fahm afin qu’elle ne puisse plus se développer, et en reliant la zone aux colonies de Cisjordanie. Cela aurait également entraîné la suppression de la ainsi-nommée « ligne verte » – dite « d’armistice » – de 1949, qui sépare les territoires palestiniens occupés en 1948 de ceux occupés en 1967. Ces derniers étaient censés former l’ « État de Palestine » selon le consensus international. Le projet de Sharon n’a pas dépassé le stade de la discussion.
Il est clair qu’Israël cherche à gagner suffisamment de temps pour imposer un fait accompli sur le terrain en obtenant l’approbation de la Knesset pour l’accord de Trump. Bien que les Mdéputés arabes forment la troisième plus grande coalition avec 12 sièges [aujourd’hui 15 – NdT], leurs chances de contrecarrer le vote sur le plan sont presque inexistantes compte tenu de l’accord général au sein d’Israël pour mettre en œuvre le plan présenté par les États-Unis.
Les Israéliens ont toujours affirmé que la croissance de la population palestino-israélienne était une « bombe à retardement démographique ». Avec un taux de natalité en baisse chez les Juifs israéliens, on craint que les Palestiniens soient plus nombreux que les Juifs sur l’ensemble de la Palestine historique au cours des dix prochaines années.
Des échanges de terres pour désamorcer cette « menace » à la « judéité » de l’État d’Israël ont déjà été évoqués, bien sûr. Après 1967, les politiques d’Israël dans les territoires nouvellement occupés ont inclus l’annexion de Jérusalem – laquelle est encore non reconnue par la plupart des pays du monde – la confiscation de terres, la démolition de maisons et quartiers et la suppression des droits de résidence.
En 1982, un document secret demandait au ministère de l’intérieur de sévir contre les Palestiniens et de les pousser à quitter leurs terres. Ce document a été repris par le général ultra-raciste Rehavam Ze’evi en 1988, et par le célèbre rabbin Meir Kahane, qui a appelé à attaquer Umm Al-Fahm pour provoquer ses habitants.
En 2004, l’ancien ministre de la défense Avigdor Lieberman proposait l’échange de petites colonies israéliennes en Cisjordanie avec des villages et villes arabes du Triangle, sur la base d’accords similaires conclus après la Seconde Guerre mondiale dans différentes parties du monde. Le « plan de paix » de Donald Trump n’est à bien des égards qu’un projet de judaïsation approuvé et soutenu par les États-Unis, donnant à Israël tout ce qu’il veut. Ses buts et objectifs reflètent ceux des plans précédents.
Les agences de sécurité israéliennes sont également préoccupées par l’influence et les activités croissantes du mouvement islamique au sein de l’ « État juif », en particulier dans le Triangle, car ses idées sont similaires à celles des Frères musulmans. Le mouvement mobilise aussi des volontaires contre les violations israéliennes à la mosquée Al-Aqsa. La crainte est que le conflit ne déborde sur de graves affrontements entre les Palestiniens musulmans et les juifs religieux.
Le moment de la publication de l’ « Accord du siècle » est un coup de pouce donné Benjamin Netanyahu, qui doit faire face à une nouvelle élection générale le mois prochain – la troisième en moins d’un an – ainsi qu’à des accusations de corruption. L’accord est un peu une bouée de sauvetage pour le Premier ministre israélien. Néanmoins, l’approbation et la mise en œuvre de ses stipulations peuvent être reportées jusqu’après l’élection, ce qui donnera aux députés arabes le temps de tenter d’empêcher l’expulsion des citoyens du Triangle.
Les Palestiniens d’Israël pensent que le « plan de paix » de Trump est tout sauf pacifique et qu’il mènera à la violence. En répondant aux objectifs et aux aspirations de l’extrême droite israélienne, il parait destiné à renforcer encore le statut d’Israël en tant qu’État d’apartheid, les populations natives étant confrontées à des lois de plus en plus discriminatoires et à des déplacements forcés. Il reste à voir si les Palestiniens en Israël pourront empêcher la mise en œuvre du plan, du moins de la clause d’échange de terres, qui vise à priver tant des leurs de leur citoyenneté et à les transférer contre leur gré.