Un an depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes de Vladimir Poutine
Il reste bien difficile d’écrire à propos de ce triste anniversaire, tant il semble renvoyer à un drame —le drame de la guerre— dont on peine à mesurer l’exacte portée quand on vit, comme au Québec, si loin de lui, et quand la seule idée qu’on peut s’en faire dépend de sources lointaines qu’il reste toujours difficile de mettre en perspective.
Mais quand même, à écouter et à ré-écouter les discours dominants en la matière dans les grands médias du Québec, on finit par se demander quelle est donc la mouche qui a piqué tous ces va-t-en-guerre pour qu’on n’entende plus aucune autre voix alternative, sinon de biais ou à la marge ! Comme si dorénavant pour le grand public l’affaire devait être entendue et que personne ne prêtait plus attention aux points aveugles de cette guerre. Foin des prudences passées dont il y a un an beaucoup se prévalaient, cette fois-ci c’est résolument que le Canada doit s’engager militairement —8 chars léopards en prime— aux côtés de l’Ukraine dans une guerre à finir avec la Russie… quitte à jeter par dessus bord bien des données préoccupantes qui s’amoncellent au dessus de nos têtes.
Bien sûr : il ne fait aucun doute que l’Ukraine vit une guerre d’agression perpétrée par le régime russe de Vladimir Poutine, indéniable envahisseur d’une nation souveraine, bafouant ainsi tous les droits en la matière, allant même par ses bombardement indiscriminés sur les populations civiles ukrainiennes, être responsable de véritables crimes de guerre. Il ne fait aucun doute aussi, que tranchant en cela avec certains héritages de la guerre froide, la Russie de Poutine et de la poignée de grands oligarques qu’il a ralliés à sa cause, s’est érigée en un État impérialiste agressif qu’il ne faut pas avoir peur de dénommer comme tel et dont les pratiques sont hélas tout à fait semblables à celles de l’impérialisme états-unien ailleurs dans le monde. Il ne fait donc aucun doute enfin que le retour d’une véritable et durable paix dans cette région devrait passer par la récession à l’Ukraine de ces territoires annexés illégitimement par les troupes russes.
Mais justement –puisque c’est la paix qui est aussi souhaitée par tous— c’est ce qu’il paraît si difficile de comprendre aujourd’hui : pourquoi n’envisage-t-on désormais que la fuite en avant dans la guerre pour y arriver, mettant ainsi en sourdine toute autre voie de sortie possible, fermant la porte à toute autre approche de compromis envisageable ? Alors que l’on sait bien que, compte-tenu des rapports de force géopolitiques et militaires en présence ainsi que de l’arsenal nucléaire possédé par la Russie, cette dernière ne pourra qu’être — au mieux affaiblie, mais certainement pas battue comme telle, à moins d’un embrasement général dont personne ne sortirait indemne. D’autant plus que cette guerre —bien des spécialistes s’en inquiètent— porte en elle déjà tout ce qu’il faut pour conduire au pire : sinon à une troisième guerre mondiale par l’enchaînement aveugle du jeu des alliances, du moins à de possibles accidents nucléaires ravageurs (pensez à la centrale de Zaporijia prise sous les feux ennemis) ou encore aux menaces voilées d’utilisation d’armes nucléaires tactiques. Sans parler bien sûr des centaines de milliers de morts de part et d’autre, pendant que font fortune comme jamais producteurs d’armes et marchands de canons.
C’est le députés socialiste français Jean Jaurès qui, déjà à la fin du 19ième siècle, à une époque où l’humanité connaissait d’intenses rivalités impérialistes, se demandait pourquoi « dans cet immense et commun amour de la paix, les budgets de la guerre s’enflent et montent partout d’année en année, et la guerre, maudite de tous, redoutée de tous, réprouvée de tous, peut, à tout moment, éclater sur tous ? » Et en rappelant que ce péril existera tant que la classe des possédants « pourra imposer aux sociétés qu’elles domine sa propre loi, qui est la concurrence illimitée, la lutte incessante pour la vie, le combat quotidien pour la fortune et pour le pouvoir », il concluait : « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » ?
En ayant certes les yeux braqués sur l’Ukraine, mais aussi sur le sort de l’humanité entière, tout comme en ne perdant rien des cruelles leçons de l’histoire, ne serait-il pas urgent comme jamais de garder bien en tête cet avertissement, en somme ne pas jeter tous nos œufs dans le même panier de la guerre ?
le 27 février 2023