Nouvelle-Zélande : l’islamophobie et ses complices

Hulien Salingue, Hebdo anti capitaliste, 20 mars 2019

 

Le 15 mars, un attentat islamophobe était commis contre deux mosquées de la ville de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Avec un bilan particulièrement lourd : 50 mortEs et des dizaines de blesséEs. Dans un « manifeste » publié le jour même, le tueur exposait ses raisons pour commettre cette tuerie : au cœur du texte, l’obsession du « Grand remplacement » (c’est le titre du « manifeste »), théorie raciste notamment popularisée par l’écrivain français d’extrême droite Renaud Camus.

Tout au long des 74 pages qui composent le « manifeste » de l’auteur de l’effroyable tuerie islamophobe de Christchurch, les mêmes obsessions reviennent : haine de l’islam, haine des migrantEs, défense de la « civilisation européenne » face aux « envahisseurs », etc. L’attentat y est présenté comme « une action de partisans contre une force d’occupation », et la célèbre formule du suprémaciste étatsunien David Lane y figure en bonne place : « Nous devons assurer l’existence de notre race et un futur pour les enfants blancs. »

« L’invasion de la France par les non-Blancs »

Le tueur multiplie les références inter-nationales, avec une place toute particulière accordée à la France, où il se serait rendu au printemps 2017 : « J’ai été accablé de voir l’état des villes françaises. Pendant des années j’avais entendu des histoires sur l’invasion de la France par les non-Blancs, mais je pensais que c’était des rumeurs ou des exagérations. […] Je me sentais désespéré par cette invasion de la France, le pessimisme des Français, la perte de notre culture et de notre identité. »

Ces propos n’ont pas manqué d’être relevés et commentés dans les médias français, ce qui a donné lieu à un étrange ballet audiovisuel. On a ainsi vu défiler divers « intellectuels », responsables politiques et éditorialistes qui nous ont juré, la main sur le cœur, qu’ils étaient évidemment choqués par l’attentat, mais qu’il ne fallait pas en tirer de conclusions trop hâtives. Tout en se démarquant formellement de la thèse raciste du « grand remplacement », nombreux sont ceux qui ont ainsi repris à peu près l’essentiel de ses « arguments », alors même que les corps des victimes de Christchurch étaient encore chauds.

« Mais oui, il y a un grand remplacement ! »

« Il faut faire attention à ne pas criminaliser toute critique de l’immigration ou toute personne qui s’inquiètera du changement démographique de nos sociétés », a ainsi doctement expliqué Élisabeth Levy, de Causeur. Pour Olivier Truchot (RMC), « ce serait piégeant si on s’interdisait de parler de l’immigration, de la place de la religion dans nos sociétés, du sentiment qu’ont certains que la société change ». Du côté de Géraldine Woessner (Europe 1), « la « théorie du Grand Remplacement » n’est pas une « théorie » : c’est une peur, qui s’appuie sur des éléments concrets, que nous fournissent les pays qui, contrairement à la France, tiennent des statistiques ethniques ».

Ces trois « journalistes » ne sont que des exemples parmi d’autres, et l’on ne peut manquer en outre de relever que certains ont cru utile d’inviter sur les plateaux, le jour des attentats, des individus aussi recommandables que Philippe de Villiers ou Robert Ménard. Ce dernier ne s’est d’ailleurs pas privé de vomir sa haine sur LCI, chez David Pujadas : « Comme d’autres, j’explique ce qui saute aux yeux : il y a un changement de population dans une partie du territoire. […] Mais oui, il y a un grand remplacement ! »

Continuum islamophobe

Ces propos et ces invitations n’ont malheureusement rien de surprenant. Les théories racistes dont se revendique le tueur de Christchurch ont en effet pignon sur rue en France, même si elles sont souvent présentées dans leur version « soft ». Pas plus tard qu’en février dernier, le Point s’inquiétait ainsi du fait qu’il y avait en France « 18 % de prénoms arabo-musulmans parmi les nouveau-nés », faisant sa « Une » sur « le grand bouleversement », sans que cela choque grand-monde. Éric Zemmour a pu tranquillement écrire en avril 2016 qu’en France, « venant de banlieue, au terme d’un long périple depuis le fin fond de l’Afrique, un peuple arabo-musulman s’est substitué aux anciens habitants » sans cesser d’être un invité multimédias présenté comme simple « polémiste ». Alain Finkielkraut, quant à lui, a pu déclarer en 2017 que « Renaud Camus dénonce à juste titre le remplacisme global » sans que cela ne l’empêche de devenir académicien et d’être toujours célébré comme un « intellectuel »…

Mais la normalisation de ces idées racistes est également passée par la construction d’une racisme « respectable », l’islamophobie, qui n’est pas l’apanage, loin de là, de l’extrême droite. L’hystérisation qui accompagne chaque nouvelle « polémique » sur la place des musulmanEs dans la société française en témoigne. Malgré les nuances qui peuvent s’exprimer, leur principal ressort est en effet toujours le même : la visibilité croissante des musulmanEs, qui mettrait en péril les « valeurs » et « l’unité » de la société française.

Il ne s’agit pas d’opérer de raccourci ni de caricature en traçant un signe d’égalité entre des paroles et un sanglant attentat, mais bien de dénoncer des discours et des politiques, intérieures et étrangères, qui entretiennent l’idée d’une menace existentielle et de la nécessité de protéger « nos valeurs ». Un continuum raciste et islamophobe au bout duquel on trouve des assassins comme celui de Christchurch, dont le violent passage à l’acte ne peut être isolé des idées et des théories, venues de France et d’ailleurs, qui l’ont, de son propre aveu, nourri.

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