Jeff Halper, The Bullet, 24 mai 2018
Comme le dit la chanson de Leonard Cohen, « tout le monde sait » que la solution des deux États pour la Palestine et Israël est morte et disparue. La tentative du sionisme pour judaïser la Palestine a été achevée. Depuis 1967, tous les gouvernements israéliens refusent de considérer sérieusement la notion d’un État palestinien véritablement indépendant et viable aux côtés de l’État d’Israël. Toute possibilité d’un État palestinien viable dans les territoires occupés est enterrée. La matrice de contrôle d’ Israël a établi un contrôle permanent sur l’ensemble du pays. La solution de deux États continue néanmoins d’être la « solution » des gouvernements. En fait, elle constitue un véhicule parfait pour une gestion sans fin du conflit. Les négociations sur les négociations ne mènent nulle part. mais peuvent être prolongées indéfiniment. De plus, c’est un piège dans lequel l’Autorité palestinienne est prise[1].
Il faut finir par finir
Au-delà des manifestations, de l’activisme, de la campagne BDS, il n’y a pas de substitut à un règlement politique qui mettra fin à l’oppression et à la violence. On ne peut pas être dans une lutte politique sans fin de partie, et dans notre cas, il faut parvenir à une justice réparatrice en démantelant les structures et les idéologies de domination en les remplaçant par des structures sociales, culturelles, basées sur l’égalité politique et économique, accompagnée d’un processus de réconciliation. Pour que ce double processus politique réussisse – le premier pour les Palestiniens, le deuxième à vendre ou à imposer aux Israéliens juifs – nous avons besoin d’un plan, d’une vision de l’avenir et d’une stratégie efficace. Si nous, les parties prenantes, les Palestiniens et les Israéliens juifs ensemble, n’offrons pas à nos propres peuples une issue mutuellement acceptable, et si nous n’offrons pas quelque chose aux individus et organisations à l’étranger dédiés à la cause de la justice en Palestine / Israël, nous allons perdre. La justice ne prévaut pas par la magie. Il est donc grand temps de formuler un règlement politique véritablement juste et réalisable, puis de le mettre en place avec une stratégie efficace de plaidoyer en Israël / Palestine et à l’étranger. C’est ce que nous appelons la « Campagne pour un État démocratique»[2].
Une démocratie multiculturelle
Le projet fait la promotion de l’idée d’un seul État, à la fois démocratique et juste, mais qui reconnaît également le caractère multiculturel et les droits collectifs des peuples vivant dans le pays, des Arabes palestiniens et des Juifs israéliens. Dans une démocratie constitutionnelle dans laquelle tous les citoyens jouissent d’une citoyenneté commune, d’un Parlement commun et de droits civiques parfaitement égaux, la protection constitutionnelle serait également accordée aux collectivités nationales, ethniques ou religieuses désireuses de conserver leur identité et leur vie culturelle. Une telle approche, acceptable pour la plupart des Palestiniens, répond à une préoccupation majeure des Israéliens juifs : la protection de leurs droits collectifs dans un futur pays dans lequel ils seront minoritaires. Le Parlement, en vertu de la Constitution, n’aura pas le pouvoir d’adopter des lois discriminatoires à l’égard de toute communauté.
Le retour des réfugiés
La clé de toute solution est le retour des réfugiés palestiniens et de leurs descendants, ou l’indemnisation et la réinstallation de ceux qui choisissent de ne pas revenir. Mais le retour n’est qu’une partie de l’histoire. Où reviendront-ils ? Leurs maisons et leurs communautés ont été démolies il y a des années. Mais selon le géographe palestinien Salman Abu-Sitta, 85% des terres prises aux Palestiniens en 1948 sont toujours disponibles pour la réinstallation. Bien que plus de 530 villages, villes et zones urbaines aient été démolis à la suite de la Nakba de 1948, les terres agricoles existent toujours, incorporées maintenant dans les kibboutzim israéliens et autres entreprises rurales. D’autres terres se trouvent sous les parcs publics et les forêts. Ainsi, les réfugiés pourraient effectivement retourner, sinon dans leurs anciennes maisons, au moins dans les régions du pays d’où ils sont originaires. Cela rejoint une autre question: comment empêcher que la population réfugiée, traumatisée, appauvrie, gravement sous-éduquée et non qualifiée ne devienne une classe défavorisée dans son propre pays ? Un projet dirigé en partie par l’organisation israélo-palestinienne Zochrot a de jeunes urbanistes et architectes palestiniens qui conçoivent des communautés modernes pour les réfugiés dans les zones qu’ils ont quittées – de nouvelles communautés dotées d’infrastructures économiques et intégrées à d’autres segments de la société. Avec la redistribution des terres, une compensation financière et un accès égal à l’éducation, à la formation et à l’économie, renforcés par l’action positive, permettraient aux réfugiés d’atteindre la parité économique avec les Israéliens en peu de temps. Nous devons garder à l’esprit les ressources dont disposent les Palestiniens : le nombre élevé de Palestiniens en Israël, dans les territoires occupés et à l’étranger qui ont terminé l’enseignement supérieur, ainsi que l’investissement probable de la diaspora hautement scolarisée et aisée. Même dans ces questions les plus difficiles, des solutions pratiques, justes et réalisables existent.
La question du bi-nationalisme
Notre initiative propose une démocratie constitutionnelle dans laquelle tous les citoyens jouissent d’une citoyenneté commune et de droits égaux. Cela dit, nous ne pouvons ignorer la réalité fondamentale qui fait que deux groupes nationaux – Arabes palestiniens et les Juifs israéliens – habitent le pays. Nous ne pouvons pas non plus ignorer le fait que la majorité sera palestinienne. La perspective que les Juifs vivront en tant que communauté minoritaire contredit peut–être le principe fondamental du sionisme : que les Juifs en tant que groupe national contrôlent leur propre destin. Cependant, le fait même que nous devons chercher une alternative à la solution à deux États découle de l’incompatibilité de ce principe avec la politique israélienne de colonisation et d’annexion du territoire palestinien et de domination permanente d’une population palestinienne (majoritaire). Notre programme doit lutter avec ce dilemme et assurer la reconnaissance constitutionnelle et la protection des droits collectifs des Israéliens juifs. Un État binational serait plus facile à vendre aux Israéliens juifs qu’un État unitaire. Mais ici, nous nous heurtons à la résistance palestinienne. Alors que la grande majorité des Palestiniens reconnaissent la présence permanente des Israéliens juifs, être contraints de les reconnaître en tant que groupe national place les Palestiniens dans une position de légitimer le colonialisme sous sa forme sioniste. Offrir de protéger les « droits collectifs » et de maintenir des communautés qui le souhaitent dans le cadre d’une démocratie multiculturelle, n’est pas un projet évident pour les Palestiniens.
Le défi: forger une nouvelle société civile commune
Après avoir assuré l’intégrité des identités et des associations collectives, l’impulsion et l’énergie primaire de notre vision d’un État unique est orientée vers la construction d’une société civile commune. En effet, c’est la rupture du modèle «bi» national qui permet aux gens de quitter des blocs ethno-nationaux strictement délimités pour former une société civile intégrée, fluide et partagée. À la longue, il est espéré que les citoyens et les communautés de Palestine / Israël développeront un sentiment de confiance réciproque, d’interconnectivité et de sécurité, les jeunes générations émergeront et la vie dans une société civile commune deviendra normale.
Décolonisation, restauration et réconciliation
Tandis que la réalisation d’un règlement politique juste est notre tâche la plus urgente, la mise en place d’un tel projet nécessite trois processus plus difficiles : la décolonisation, la restauration et la réconciliation. La décolonisation ne s’arrête pas au moment où un peuple cesse de dominer les autres. En effet, c’est le moment où cela commence. Cela continue ensuite jusqu’à ce que toutes les formes de domination – économique et culturelle aussi bien que politique et juridique – soient extirpées. La décolonisation exige qu’un pays soit complètement réinventé de manière à être égalitaire, inclusif et durable. Cela signifie, bien sûr, restituer aux expulsés, exclus et opprimés leurs droits, leurs propriétés (réelles ou compensatoires), leurs identités et leur position sociale. C’est seulement alors que le troisième processus, la réconciliation, peut être poursuivi.
Le problème de la laïcité
Pratiquement tout le monde en Palestine et en Israël soutient l’idée d’un état laïc. Pourtant, nous reconnaissons que la majorité des populations israéliennes ne sont pas laïques. La grande majorité des Palestiniens se définit comme musulmane ou chrétienne. 58% des Israéliens juifs se définissent comme religieux. Pourtant, nous croyons que la plupart des gens accepteront une démocratie libérale si nous la rendons acceptable. Notre programme précise que l’autorité de gouverner et d’adopter des lois émane de l’électorat, du peuple ; Ce qui n’est pas dit, c’est que la loi religieuse (halakhah, sharia, loi ecclésiastique) peut continuer à appartenir à ses communautés religieuses (personne n’interdira les mariages religieux, par exemple). Également, il n’y aura pas de religion officielle ou d’autorité religieuse officielle.
Un projet pour la région
La souveraineté et les frontières, les réfugiés, l’eau, la sécurité, le commerce et le développement économique, le tourisme et l’environnement – ce ne sont là que quelques-unes des questions d’envergure régionale. Nous envisageons un nouveau pays qui se joint à toutes les forces progressistes du monde arabe qui luttent pour la démocratie, la justice sociale et des sociétés égalitaires libérées de la tyrannie et de la domination étrangère. Bien que cela puisse sembler utopique en ce moment, la résolution du conflit israélo-palestinien éliminera une source majeure de polarisation et de militarisation dans la région, libérant ainsi des forces positives de développement et de résolution des conflits.
[1] Le mouvement de libération palestinien a promu cette vision dans la Charte nationale de l’OLP jusqu’à son entrée dans les négociations de paix à la fin des années 1980. À la suite de l’accord d’Oslo et d’autres développements historiques, l’OLP a réaffirmé son soutien à la solution des deux États comme base d’une paix future, une vision approuvée par tous les partis palestiniens représentés à la Knesset israélienne
[2] L’initiative est endossée notamment par Awad Abdelfattah (chef et fondateur du Parti Balad) Ilan Pappe (historien israélien bien connu), Diana Buttu (militante palestinienne) Daphan Baram (avocate et comédienne), As’ad Ghanem (professeur à l’université de Haïfa), Shir Hever (économiste israélien), Yoav Bar (activiste israélienne), Sami Ma’ari, professeur à l’Université Al-Quds) et Jeff Halper (campagne contre la démolition des maisons).