Oren Ziv, Article paru le 13 mai sur le site du magazine israélien +972 (traduction par la rédaction d’A l’Encontre)
L’exemple de Lod : comment la police israélienne est de connivence avec les colons contre les citoyens palestiniens
Dans la ville de Lyd [Lod en hébreu], au centre d’Israël, les forces israéliennes sont activement soutenues par des colons extrémistes de la Cisjordanie occupée dans leurs attaques contre les Palestiniens locaux [les « Arabes israéliens » qui habitent dans cette ville]. Alors que les médias israéliens décrivent la violence dans la ville – qui implique des violences dans les deux sens entre Juifs israéliens et Palestiniens – comme un pogrom anti-juif, la réalité sur le terrain nous livre une autre histoire.
Quelques heures après que la ville de Lyd a été placée sous l’état d’urgence mercredi soir, le 12 mai, des colons armés de Cisjordanie et des Juifs de droite sont entrés dans la ville et ont commencé à patrouiller dans les rues tout en attaquant les résidents arabes avec des pierres. La police israélienne n’a pas mis fin à ces attaques et n’a utilisé que dans quelques cas des grenades assourdissantes pour repousser les colons [cette ville a accueilli des colons évacués de Gaza en 2005]. Les attaques ont continué avec moins d’intensité dans la nuit de jeudi.
Mercredi 12, dans les heures précédant ce qui était censé être une fermeture de la ville, la police a commencé à envoyer des forces dans la ville qui compte une importante population de Palestiniens et de Juifs. Dans le même temps, des centaines de colons et d’extrémistes de droite ont commencé à entrer sans entrave dans Lyd.
L’invasion de la ville est intervenue alors que le chef de la police israélienne a annoncé mercredi un « état d’urgence» et un couvre-feu, parce que des Palestiniens auraient mis le feu à trois synagogues, à plusieurs magasins et à des dizaines de voitures. Or, les violences ont eu lieu après des affrontements entre des résidents palestiniens et la police israélienne dans la foulée des funérailles d’un homme arabe abattu mardi soir par un Israélien.
L’état d’urgence ayant été déclaré, le gouvernement a immédiatement envoyé plusieurs unités de la police des frontières dans la ville. Jeudi 13, le Premier ministre Benyamin Netanyahou est arrivé dans la ville, où il s’est adressé à une compagnie d’officiers de la police des frontières. Il a promis que les forces de police de la ville recevraient le soutien total du gouvernement israélien. En outre, il a annoncé que les membres des forces de sécurité ne devraient pas s’inquiéter des commissions d’enquête sur leur conduite. Jeudi soir, le ministre de la Défense, Benny Gantz, a prolongé l’état d’urgence de 48 heures supplémentaires après qu’une autre synagogue de la ville a été incendiée.
Benyamin Netanyahou a également déclaré qu’il envisageait de recourir à des détentions administratives contre les émeutiers et de déployer des troupes militaires pour réprimer la violence dans les villes mixtes arabes et juives. Israël a recours à la détention administrative pour détenir indéfiniment des Palestiniens, sans inculpation ni procès. Les ordonnances de détention administrative sont réexaminées tous les six mois, mais les détenus ne sont pas informés des crimes dont ils sont accusés et on ne leur montre pas les preuves retenues contre eux. Par conséquent, il est pratiquement impossible de se défendre contre un ordre de détention administrative.
Jeudi soir, on pouvait voir les colons et les activistes venus à Lyd faire un compte à rebours avant de prendre d’assaut des immeubles résidentiels arabes et, dans certains cas, d’incendier des véhicules appartenant à des Palestiniens. Dans quelques cas, les forces de police ont tenté d’arrêter les assaillants mais n’ont procédé à aucune arrestation. Avant chaque décompte, les colons demandaient à leur entourage qui portait une arme et invitaient les gens à « ramasser des pierres ». Il ne s’agissait pas des jeunes des organisations d’extrême droite La Familia [groupe d’extrême droite lié au club de football Beitar] ou Lehava [organisation raciste qui s’oppose, par exemple, à tout mariage d’une Juive avec un Arabe], mais plutôt de colons bien entraînés aux affrontements avec les Palestiniens en Cisjordanie occupée.
Dans d’autres cas, les colons et les militants ont jeté des pierres sans entrave, tout en se tenant aux côtés des policiers, tout en encourageant ces derniers à ouvrir le feu sur les Palestiniens et en leur disant qu’ils soutiendraient la police en entrant dans les quartiers arabes. « Nous sommes venus ici après avoir vu des jours de violence contre les Juifs », ont déclaré certains d’entre eux.
Yehuda Amrani, le porte-parole du conseil régional de Mateh Binyamin, qui régit 42 colonies de Cisjordanie, a fait le commentaire suivant : « Mateh Binyamin embrasse et renforce les résidents juifs de Lod (nom hébreu de Lyd). De nombreux habitants de Mateh Benyamin sont présents dans la ville avec des gâteaux et des friandises pour réchauffer le cœur des habitants et leur donner de la force, et le conseil encourage et bénit ces actes de solidarité. »
Au coucher du soleil, la police a arrêté plusieurs colons qui étaient entrés dans la ville en voiture, tirant en l’air lorsque les résidents s’approchaient d’eux. Les colons semblaient avoir l’habitude de traiter avec des policiers et des soldats dans les territoires occupés, puisqu’ils ont tenté de se lever et de s’éloigner après que la police leur a ordonné de s’asseoir. Mais contrairement à ce qui se passe en Cisjordanie, la police leur a fait comprendre qu’ils étaient en état d’arrestation et ne leur a pas permis de partir.
Pendant ce temps, des centaines de personnes se sont rassemblées autour de l’école préparatoire pré-militaire, dans la vieille ville de Lyd. Ils se sont divisés en groupes organisés, chacun dirigé par un « adulte responsable ». Beaucoup d’entre eux portaient des armes, tandis que d’autres tenaient des pierres et des bâtons.
Dans un cas, la police a poursuivi un groupe qui tirait en l’air, mais le commandant sur place a décidé de ne pas les arrêter, bien que des agents de la police des frontières aient déclaré avoir vu des colons tirer en l’air. L’un des membres de l’école pré-militaire a déclaré à la police que ces jeunes hommes étaient des locaux, et qu’ils se déplaçaient donc librement.
Plus tard, un groupe d’une centaine de militants de droite et de colons a défilé de manière organisée dans les rues, alors que la police fermait l’entrée de la ville et que des soldats, notamment de l’unité spéciale SWAT [Special Weapons and Tactics], patrouillaient. Les colons ont marché dans la ville sans interruption pendant des heures, à la recherche de quelqu’un à attaquer. À un moment donné, ils ont compté jusqu’à trois et ont fait irruption vers les Palestiniens en lançant des pierres. Un jeune émeutier a été surpris avec un cocktail Molotov et a affirmé à la police que les bouteilles avaient été « prises aux Arabes ». La police a confisqué les bouteilles, mais ne l’a pas arrêté.
Lorsque la nuit est tombée et que certains citoyens palestiniens sont sortis de chez eux pour affronter les émeutiers, les activistes de droite et les colons ont commencé à jeter des pierres sur les maisons situées devant l’académie pré-militaire, tandis qu’un agent de la police des frontières restait les bras croisés. Comme dans les territoires occupés, les colons ont agi comme une force auxiliaire de la police. L’un des militants a demandé à un agent de la police des frontières de charger en direction d’un ensemble de bâtiment où une voiture a été incendiée : «P ourquoi restez-vous plantés là ? Allez-y et tirez sur eux, et nous entrerons avec vous », a-t-il dit à l’officier, avant de foncer avec plusieurs de ses amis vers un bâtiment où vivent des familles arabes.
Vers 21 heures, les colons ont commencé à s’approcher de la grande mosquée du centre de la ville. Le muezzin a appelé en arabe les gens à sortir et à défendre la mosquée, et des centaines de personnes ont répondu à l’appel. Alors que les soldats ont commencé à disperser les résidents palestiniens à l’aide de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, les activistes de droite ont profité de la situation et ont attaqué la mosquée avec des pierres. Ce n’est que plus tard qu’ils ont également été dispersés à l’aide de grenades assourdissantes. Même alors, ils ont continué à marcher librement dans la ville.
Dans une station-service à l’extérieur de la ville, des dizaines de colons ont garé leurs voitures et sont entrés dans la ville à pied sans être bloqués. Un employé de la station-service a déclaré avoir vu les colons quitter leur voiture avec des pieds-de-biche et d’autres armes.
Vers 1 heure du matin, des colons ont lancé des pierres sur une mosquée à Dahmash, un village palestinien non reconnu situé près de la vieille ville. Selon les résidents qui se trouvaient à l’intérieur de la mosquée à ce moment-là, les colons ont tenté de s’introduire dans la mosquée alors que la police se tenait prête. « C’est du terrorisme soutenu par l’État et la police », a déclaré l’un des résidents. « La police était de l’autre côté, occupée à traiter avec nous. Ils ont laissé [les colons] faire ce qu’ils voulaient. »
Tout au long de la soirée, des tirs occasionnels à balles réelles ont pu être entendus, sans que l’on sache s’ils provenaient de la police, des colons ou des résidents palestiniens. En plus de protéger la mosquée principale, les résidents arabes ont jeté des pierres sur les colons qui défilaient dans la rue. Des Palestiniens ont lancé un cocktail Molotov sur des colons près d’une yeshiva. Il a explosé sur la route.
Les résidents palestiniens que j’ai interrogés mercredi ont répété ce que m’ont dit les jeunes participant aux émeutes. Leur problème n’est pas avec les Juifs, mais avec les colons qui sont venus et ont pris le contrôle de la ville au cours des dernières années avec la bénédiction du maire, ont-ils dit. « Nous vivons ici depuis des décennies avec des religieux et des Juifs, il y a de bonnes relations de voisinage, mais ils [les colons] viennent pour la guerre », a déclaré l’un des résidents palestiniens.
Vers minuit, la police a réussi à rassembler de nombreux militants de droite à l’entrée de la ville, à Ginton Junction, et les jeunes de Lyd et de la ville voisine de Ramla les ont rejoints. La nuit entière a été marquée par une perte totale de contrôle. Bien que des centaines de policiers aient été déployés dans la ville, ils n’ont pas empêché les colons et les militants de droite d’agir comme une milice et de terroriser la ville.
Oren Ziv est photojournaliste, membre fondateur du collectif de photographes Activestills et rédacteur pour Local Call qui travaille en lien avec +972. Depuis 2003, il documente une série de questions sociales et politiques en Israël et dans les territoires palestiniens occupés.