@Anthony Baratier - CC BY-SA 4.0

Édouard DeGuise JdA-PA – L’ordre socioéconomique mondial serait-il dans une «ère de confusion» après la chute du dogme néolibéral ou est plutôt maintenu en place par plusieurs gouvernements nationaux ? 

L’atelier «Lutte des retraites en France et fin du néolibéralisme» s’est tenu le 19 mai dernier dans le cadre du collectif La Grande Transition à l’Université Concordia à Montréal. La conférence, chapeautée par le réseau ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne), était donnée par Claude Vaillancourt, président d’ATTAC-Québec et auteur de l’essai «La fin du néolibéralisme»1, et Ian Vidal, responsable politique des relations internationales pour ATTAC-France et collaborateur au Sénat français.

Quatre constats sur la fin du néolibéralisme
Pour le président d’ATTAC-Québec, son propos sur « la fin du néolibéralisme ».est à la fois un souhait et un constat. Il fonde celui-ci sur quatre indices qui tendent à prouver la fin de ce système d’accumulation selon lui. D’abord, il considère l’inefficacité fondamentale du néolibéralisme. Les thuriféraires du régime néolibéral avaient, dès les débuts de son aventure politique, promis un monde meilleur. Or, la situation actuelle, marquée des crises multidimensionnelles à répétition, infirme l’hypothèse néolibérale. Il considère également l’exemple spécifique de la grande récession de 2007-2008 comme une preuve de la fin de ce système économique et politique. Cette crise serait effectivement survenue après une déréglementation importante des marchés bancaires. Ironiquement, les grandes banques ne devraient leur survie qu’à l’intervention étatique après la crise en 2008, concept auquel les adeptes du néolibéralisme sont opposés.
Le troisième indice que Claude Vaillancourt considère pour souligner l’inefficacité du système néolibéral est la crise climatique. Celle-ci remettrait en question l’économie basée sur la consommation d’hydrocarbures, ou l’« hyperconsommation » comme l’appelle M. Vaillancourt. Finalement, le dernier évènement qui aurait permis de percevoir la fin de ce système serait la pandémie de covid-19, qui a montré que la mondialisation néolibérale a rendu les populations vulnérables par leur dépendance au commerce international.

Macron et la politique qui « pousse les limites du néolibéralisme »
Ian Vidal se montre beaucoup plus sceptique quant à cette prétendue fin du néolibéralisme. Il a commencé son exposé en rappelant que les gouvernements français, à gauche comme à droite, ont tous mis de l’avant des politiques à saveur néolibérale. Cette tendance se serait accélérée sous la présidence d’Emmanuel Macron. Il a ensuite procédé en défaisant des arguments qui tentent d’illustrer la fin de ce système comme le désir de souveraineté stratégique et le blocage des prix de l’énergie en France. Selon lui, ces mesures ne seraient que des manières de sauvegarder le néolibéralisme avec des mesures de moindre sacrifice.
Dans le contexte de la réforme des retraites, Ian Vidal affirmait que le gouvernement « pousse les limites du néolibéralisme ». Selon lui, ce projet est une manière de défaire les acquis sociaux pour éviter à tout prix d’augmenter les impôts. Il rappelait d’ailleurs que cette mesure ne permettrait de sauver que 14 milliards d’euros de 2023 à 2030 alors que le gouvernement français octroie annuellement 200 milliards d’euros en aide aux entreprises.Les actions du gouvernement français seraient ainsi collées à l’idéologie néolibérale. Selon M. Vidal, l’écart entre les recettes supplémentaires permises par la réforme des retraites et l’aide aux entreprises démontrent que ce projet, « n’est pas du pragmatisme, c’est une idéologie ». Cette mesure viserait également démesurément les personnes les plus pauvres puisque l’âge de la retraite de facto selon Vidal serait près de 65 ans. Ce seraient ainsi les travailleuses et les travailleurs ayant accumulé moins d’argent et ne pouvant se permettre une retraite hâtive à cause de salaires précaires qui auraient à payer pour la réforme.
Pour Ian Vidal donc, Claude Vaillancourt serait trop rapide à prononcer la mort de ce régime d’accumulation.

Le néolibéralisme, un système qui ne fléchit pas
La tendance des gouvernements, tant à gauche qu’à droite, à adopter des mesures conformes à cette idéologie ne semble pas fléchir. Ce que Vaillancourt qualifiait d’indice de la fin du néolibéralisme serait peut-être davantage des symptômes des politiques néolibérales et des signaux que ce système ne fonctionne pas comme on nous l’avait promis.
En définitive, la réponse à la fin de ce régime se trouve probablement entre les positions de Claude Vaillancourt et Ian Vidal. M. Vaillancourt, malgré qu’il croit à la fin du néolibéralisme, reconnait effectivement que la France est un des pays qui maintient le mieux l’héritage de ce régime d’accumulation avec des réformes comme celle des retraites. Tandis que Ian Vidal, après qu’on lui ait demandé s’il pensait que la gauche gagnerait la lutte des retraites en France, a indiqué que le combat était déjà gagné sur le plan des idées. Selon lui, même si l’avenir de la réforme des retraites est incertain, la grande majorité de la population est mobilisée pour contester les politiques à saveur néolibérales mises de l’avant par le gouvernement Macron.

  1. Claude Vaillancourt, Écosociété, Montréal, 2023, 200 pages []