Le village de Khonoma. Crédit photo : Rita Willaert CC BY-NC 2.0 https://www.flickr.com/photos/rietje/2089165524

Peter Yeung

Dans l’État du Nagaland, un petit territoire dans l’extrême nord-est de l’Inde, un village de chasseurs traditionnels est à transformer ses pratiques ancestrales afin de préserver la biodiversité locale tout en misant sur l’écotourisme.

traduit de l’anglais par Jérémy Bouchez


À Khonoma, les connaissances traditionnelles ont entraîné un essor de l’écotourisme et des pratiques culturales durables.

Entre les rues immaculées sans ordures et le décor luxuriant de rizières et de forêts denses, Khonoma, un village pittoresque du nord-est de l’Inde situé à une altitude de 5 300 pieds (NDT : ou 1600 m d’altitude), ne donne que quelques indices sur son passé sanguinaire.

Ce village montagneux de l’État du Nagaland, vieux de 700 ans, est légendaire pour sa résistance farouche pendant la période coloniale britannique et pour les pratiques de chasse ancestrales de sa tribu autochtone, les Angami.

Mais si les crânes des animaux tués ornent encore les façades des maisons et si le fort guerrier du XIXe siècle est toujours debout, il ne s’agit là que de reliques historiques pour un village qui est devenu l’un des projets de conservation les plus convaincants de l’Inde, mené par la communauté.

« Nous n’avons pas oublié le passé », s’exclame Vibu Iralu, un guide local, en gravissant les marches abruptes du fort. « Nous n’avons pas oublié nos traditions. Mais je pense que c’est la raison pour laquelle notre plan de conservation à Khonoma a été un succès ».

Historiquement, les chasseurs angamis ont accroché les crânes des animaux tués à leurs maisons. Crédit : Peter Yeung

Les racines de cette transformation remontent à plusieurs décennies. Pendant des générations, les Angami ont été des chasseurs-cueilleurs, mais au début des années 1990, avec l’utilisation croissante des armes à feu – introduites pour la première fois par les Britanniques – la chasse de subsistance s’est transformée en surexploitation.

En peu de temps, les chasseurs de Khonoma ont commencé à éprouver des difficultés à attraper des animaux sauvages tels que les sangliers, dont ils dépendaient depuis longtemps pour se nourrir. Puis, en 1993, quelque 300 tragopans de Blyth – un faisan menacé à la gorge rouge vif qui est l’oiseau d’État du Nagaland – ont été tués en une semaine dans le cadre d’un concours de chasse organisé à Noël.

Cette chasse a choqué les anciens du village et les a amenés à conclure qu’ils avaient été maudits par la déesse de la forêt Angami, Chiikhie-u, pour n’avoir pas su protéger la forêt. « Nous avons compris que le désastre était à venir », explique Vilazosie Punyü, un ancien du village Angami qui était à l’époque secrétaire du conseil du village de Khonoma. « Sans la forêt et les animaux qu’elle abrite, nous n’aurions pas eu d’avenir. C’est alors qu’est née l’idée de la conservation ».

Selon Punyü, le folklore de la tribu Angami est riche en récits qui évoquent la magnifique biodiversité et les forêts étendues de la région. Cela a alimenté les craintes des anciens : s’ils continuaient sur la même voie, les générations futures pourraient perdre le lien spirituel de la tribu avec le monde naturel qui l’entoure. La forêt abriterait plusieurs espèces rares, dont la panthère nébuleuse, l’ours noir d’Asie et le gibbon hoolock, et elle est considérée comme une zone importante pour la conservation des oiseaux.

Ainsi, en 1998, après de nombreuses réunions et débats, le conseil du village a approuvé la création du Khonoma Nature Conservation and Tragopan Sanctuary (KNCTS), première étape de la transformation radicale du village, qui est passé du statut de chasseur à celui de défenseur de l’environnement. Cette zone de 20 kilomètres carrés de forêt subtropicale, soit environ un sixième du territoire de Khonoma, est devenue le premier projet de conservation mené par la communauté en Inde. En 2001, la chasse et l’exploitation forestière ont été totalement interdites dans tout le Khonoma.

Une installation d’eau municipale à Khonoma, le premier « village vert » de l’Inde. Crédit : Peter Yeung

Pourtant, ce changement n’a pas été simple. Au fil du temps, le conseil du village a invité des experts d’organisations de protection de la nature à organiser des ateliers éducatifs avec les habitants de Khonoma. De manière plus pertinente, un certain nombre d’hommes du village ont été payés pour devenir des gardes forestiers pendant trois ans grâce à une subvention du Gerald Durrell Memorial Fund.

« La première année, il y a eu beaucoup de difficultés, les gens se sont plaints de l’arrêt de la tradition de la chasse », explique Punyü. « Mais cela a ouvert la voie à la communication avec le groupe de dissidents et nous avons eu des discussions franches.

Par la suite, la nouvelle s’est répandue et les écotouristes ont commencé à se rendre dans le premier « village vert » de l’Inde, un titre qui reconnaît sa gouvernance durable. En 2006, la première famille d’accueil a ouvert ses portes et il y en a aujourd’hui une douzaine. Depuis, de nombreuses personnes viennent chaque année : En 2022, il y avait 2 500 touristes, qui ont tous payé un droit d’inscription qui sert à financer les patrouilles forestières et le développement du village. Les chercheurs et les amateurs d’oiseaux paient également un droit de conservation pour les activités. Au fil des ans, les fonds ont été utilisés pour construire des installations telles qu’un réservoir d’eau commun et des poubelles de recyclage.

« Le tourisme est une affaire de communauté ; il ne peut jamais se faire de manière isolée », explique Kevichulie Meyase, secrétaire du comité de gestion de l’écotourisme de Khonoma, qui organise l’équipe de guides locaux. « C’est ainsi que l’on rend le développement durable.

L’afflux de visiteurs a également permis aux femmes Angamis de vendre des textiles traditionnels tissés à la main et des spécialités maison telles que les pommes sauvages confites, ce qui a encore renforcé l’économie locale. « Maintenant, je peux gagner ma vie tout en préservant notre culture », déclare Amendo Punyü, l’une des tisseuses de l’atelier du village.

Des tisserands comme Vilazosie Punyü peuvent à la fois gagner leur vie et maintenir leur culture en vendant des textiles traditionnels tissés à la main. Crédit : Peter Yeung

Mais au-delà du tourisme – qui, comme la pandémie l’a prouvé, peut être une source de revenus peu fiable – Khonoma a profité du projet pour devenir plus autonome. Plus de 20 variétés de riz, de millet et de maïs sont cultivées dans le village, et des produits tels que les citrouilles, les choux et l’ail sont cultivés selon la méthode traditionnelle de culture sèche en forêt connue sous le nom de « jhum ». Les villageois cultivent pendant deux ou trois ans à côté des aulnes de l’Himalaya, qui enrichissent le sol en azote, avant de passer à une autre zone pour maintenir la qualité du sol à long terme. « Cette pratique durable de la culture du jhum a permis aux villageois de ne plus dépendre des ressources forestières pour leurs besoins de subsistance », a conclu une étude réalisée en 2018.

Deepshikha Sharma, responsable de programme pour l’organisation à but non lucratif indienne Nature Conservation Foundation, estime qu’une approche multidimensionnelle comme celle de Khonoma rend plus probable le succès à long terme de la conservation communautaire.

« Le tourisme n’est pas mauvais en soi, mais il doit être modéré d’une manière ou d’une autre », explique-t-elle. « Il peut accroître la dépendance à l’égard de paysages dont les ressources sont déjà limitées, comme l’eau potable, le bétail ou l’agriculture.

En décembre, l’Agence mondiale du tourisme des Nations unies a désigné Khonoma pour faire partie de son programme de mise à niveau afin de recevoir un financement, et en février, Khonoma a fait partie d’une vitrine des réussites de l’écotourisme en Inde lors du sommet du G20.

« Les communautés ont été négligées dans le discours général », ajoute M. Sharma. « Il est important d’impliquer les communautés car elles sont des acteurs importants et leurs systèmes de connaissances traditionnelles peuvent contribuer à la protection de la faune.

Cependant, tout n’est pas parfait à Khonoma. Certains agriculteurs se plaignent qu’en raison de l’interdiction de la chasse, leurs cultures sont parfois détruites par les animaux qui cherchent de la nourriture. En conséquence, le village a accepté d’accorder des permis de chasse de trois jours à ceux qui luttent contre les nuisances.

En 1993, un concours de chasse au cours duquel quelque 300 tragopans de Blyth ont été tués a poussé les anciens du village à agir. Crédit : Peter Yeung

Et même si des amendes ont été mises en place, les vieilles habitudes ont la vie dure. Des cas de chasse sont encore signalés et l’association des jeunes de Khonoma, dont les 25 membres sont chargés de patrouiller dans la forêt, se plaint de ne pas disposer de ressources suffisantes pour surveiller correctement le territoire. « C’est notre devoir, nous devons donner notre travail au village », explique Pelesali Kuotsu, le secrétaire général. « Mais c’est difficile. Nous avons des difficultés financières. Mais nous voulons que la prochaine génération soit heureuse comme nous ».

Les chasseurs de Khonoma, devenus conservateurs, continuent de cultiver leur approche communautaire de la protection de leur patrimoine.

« Après l’interdiction de la chasse, j’ai d’abord été tenté par des oiseaux ou des animaux », explique Zaskie Khate, un homme de 68 ans qui a commencé à chasser lorsqu’il était jeune. « Mais j’ai compris que le plus important était de travailler pour le bien des villageois.