HENRI MAMARBACHI, Orient XXl,
Les nations ne disparaissent pas en une fois. La population syrienne, qui survivait tant bien que mal au milieu des décombres d’une longue guerre, s’enfonce désormais dans la pauvreté, la crise sanitaire et les difficultés hivernales. La peur vient désormais de la hausse vertigineuse des prix et des longues queues pour acheter du pain, devenues le lot de tout un chacun.
C’est un rude hiver pour le peuple syrien. « Avant, c’était les bombes qui pleuvaient, maintenant c’est le pain qui manque, et nous ne voyons aucune perspective d’avenir », déplore Abou Saïd, un commerçant damascène qui observe l’inexorable dégradation de tout ce qui l’entoure. « L’hyperinflation, la paralysie économique, la pauvreté galopante, les absurdes sanctions occidentales qui touchent surtout l’homme de la rue ; auxquelles s’ajoute depuis des mois la Covid-19 qui sévit durement… Quoi de plus ? », ajoute-t-il fataliste.
Triste symbole : les proches du régime festoient le soir dans les restaurants qui ne semblent ouverts que pour eux, alors que pour la première fois dans l’histoire du pays, on voit des queues devant les boulangeries et les stations d’essence. De nombreux Syriens sont choqués par ces scènes, courantes il est vrai dans les pays les plus pauvres du globe.
Preuve supplémentaire de sa faillite, cet ancien grenier à blé en est à quémander la charité à ses rares amis et alliés. Telle la Russie, son principal pourvoyeur de blé, dont le chef de la diplomatie Serguei Lavrov a annoncé à la veille du Nouvel An, que Moscou avait « fourni 100 000 tonnes de blé » à la Syrie, ajoutant que ce soutien « se poursuivra au plan humanitaire ». « Mais qui voudrait vraiment investir dans ce pays ? Où est le retour sur investissement dans ce pays ruiné ? », s’interroge un industriel d’Alep qui souhaite garder l’anonymat.
Dans les années 1990, presque 20 % de la population travaillait dans l’agriculture et la Syrie avait atteint l’autosuffisance. Or, l’économie de cet État qui fait partie de ce qu’on appelait « le Croissant fertile » dépend grandement des aléas climatiques, notamment la sécheresse qui a été un des déclencheurs du conflit en 2011.
Aujourd’hui, la Syrie ne peut plus compter sur elle-même dans aucun domaine. Depuis la guerre, ce pays s’est transformé en un terrain de chasse ouvert aux intérêts russes et iraniens, ses principaux alliés qui ont mis la main sur une grande partie de ses richesses (ports, mines de phosphates, etc.) En plus d’être un champ de tir pour Israël, qui poursuit les milices pro-iraniennes du Hezbollah libanais. Sans oublier la Turquie qui occupe une partie de son territoire dans le nord peuplé de Kurdes, et dont on ignore les desseins.
« LA PIRE SITUATION DEPUIS LE DÉBUT DU SOULÈVEMENT »
Comme d’habitude, l’ONU s’alarme sur les conditions d’acheminement de l’aide humanitaire. « Le peuple syrien continue de souffrir, une souffrance exacerbée en période hivernale », a alerté en décembre le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, Mark Lowcock, devant les membres du Conseil de sécurité. Alors que le pays est loin d’être en paix malgré les territoires gagnés par le pouvoir et la défaite « officielle » de l’organisation de l’État islamique (OEI), « les conflits violents et le terrorisme sont toujours une réalité pour les Syriens », a pour sa part insisté l’envoyé spécial de l’organisation pour la Syrie, Geir Pedersen pour qui « l’insécurité alimentaire et la malnutrition devraient augmenter considérablement, tout comme le nombre total de personnes ayant besoin d’aide humanitaire ».
En dépit de ses appels désespérés et de ses contributions sur le terrain, la marge de manœuvre de l’ONU est limitée par les sanctions contre le régime imposées par Washington, donneur d’ordre mondial, l’Union européenne et le Conseil de sécurité lui-même. « Nous faisons face à la pire situation depuis le début du soulèvement », a expliqué Jihad Yazigi, directeur du journal économique en ligne The Syria Report, lors d’une conférence organisée à Paris en décembre 2020 par Souria Houria (Syrie Liberté), une association qui regroupe des opposants au régime. « Depuis 2019, nous assistons à une montée très forte de l’inflation. Entre juillet 2019 et juillet 2020, le panier de biens et services a vu sa valeur multipliée par 250 alors que le gouvernement a revu ses subventions sur des produits de première nécessité, multipliant par deux le prix du pain subventionné », a-t-il indiqué. Citant une étude de l’hebdomadaire syrien Qasioun, The Syria Report a par ailleurs indiqué dans son édition du 10 novembre 2020 que le budget mensuel d’une famille résidant à Damas avait augmenté de 74 % au cours des neuf premiers mois de 2019, avec un doublement des prix de la nourriture.
De même, les produits pétroliers dont la pénurie oblige le régime à dépendre essentiellement de l’Iran (un comble pour deux pays frappés de sanctions !) ont vu leurs prix augmenter de façon spectaculaire. Pour faire face à la situation, le gouvernement syrien a annoncé le 19 octobre 2020 qu’il augmentait de 120 % le prix du mazout vendu aux entreprises privées, sans appliquer cette mesure aux entreprises publiques, aux particuliers, aux agriculteurs et aux sociétés de transport. À condition d’en trouver et d’être très patient.
PÉNURIES DE GAZ ET D’ÉLECTRICITÉ
Dans son édition du 11 janvier, The Syrian Observer, une revue de presse des médias pro et anti-régime, rapporte que dans la capitale Damas « les pénuries d’essence continuent de frapper, engendrant des files d’attente d’automobilistes sur des kilomètres, devant des stations-service vides de carburant ». Sawt al-Asima (La voix de la capitale, un site de l’opposition) a rapporté samedi 9 janvier 2021 que la principale raffinerie de Banyas avait cessé de fonctionner — une information qui n’a pu être confirmée, selon The Syrian Observer.
Avant le conflit, la Syrie était un petit producteur de pétrole et de gaz. De nombreux champs pétrolifères se trouvent aujourd’hui dans des zones qui échappent en partie aux autorités de Damas. Il arrive que le gouvernement achète également du pétrole aux Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde à prédominance kurde qui a mis en place la région autonome du Rojava.
Dans les régions non contrôlées par le pouvoir, comme le nord frontalier de la Turquie ou la partie sous contrôle des forces kurdes, « des produits sont parfois vendus en livres turques ou en dollars », ont par ailleurs noté Yazigi et d’autres observateurs sur le terrain, tout en reconnaissant les difficultés à recueillir des données fiables dans les régions qui échappent toujours au pouvoir, soit 30 % du territoire, et qui concentre l’essentiel des richesses pétrolières et agricoles.