Par Ramón Contreras López. Traduction par Jérémy Bouchez

Derrière la volonté de se libérer de sa dépendance aux énergies fossiles, l’Union européenne fonce à toute allure dans le piège de la croissance verte, sans aucune remise en cause du modèle extractiviste et consumériste. Ce texte publié sur Vientosur dénonce cette politique et ses conséquences pour les communautés dans le nord de l’Espagne, en Navarre et les impacts à l’échelle globale.


 

Depuis décembre 2021, l’Union européenne dispose d’un programme appelé « Objectif 55 », à travers lequel elle approuve un ensemble de mesures visant à adapter la législation à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030.

Les derniers accords conclus, bien qu’ils doivent encore être ratifiés par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, portent la consommation d’énergies renouvelables à 42,5 % (contre 32 % auparavant) d’ici cette année-là, en plus de prévoir un pourcentage pour l’utilisation de l’hydrogène rose1, de l’énergie nucléaire et de la biomasse qualifiée de source d’énergie verte à 100 %.

Tous ces objectifs sont matérialisés par des révisions et des mises à jour de la législation européenne à transposer dans les réglementations respectives des États membres.

Les lignes directrices pour atteindre ces objectifs envisagent surtout des mesures pour faciliter et accélérer les procédures d’autorisation pour les infrastructures d’énergies renouvelables, y compris l’établissement de territoires spécifiques où les réglementations sont considérablement assouplies.

Face à ces propositions, la première chose qui vient à l’esprit est la phrase que François de Sales, saint français du XVIIe siècle et patron des journalistes, attribuait à un autre saint français du XIIe siècle, Bernard de Clairvaux : « L’enfer est pavé de bonnes intentions ».

Les propositions de l’UE pour lutter contre le changement climatique ne sont rien d’autre qu’une fuite en avant, car elles partent des prémisses suivantes :

Maintenir le niveau de vie et de consommation des pays du Nord, en pillant les pays du Sud et en exploitant l’environnement mondial. Augmenter l’utilisation des minéraux et des matériaux nécessaires aux grandes installations éoliennes et photovoltaïques que l’on promeut signifie maintenir, de la part des pays de l’Union européenne, des formes d’impérialisme écologique et extractiviste avec les pays où se trouvent ces matériaux.

Transférer aux pays du Sud les charges environnementales et les coûts écologiques de la production des biens et des aliments que nous consommons au Nord. Les pays les plus pauvres génèrent 10 % des émissions de CO2 et sont pourtant les premiers à subir les conséquences du changement climatique.

Malgré l’augmentation des énergies renouvelables depuis des années, la consommation de combustibles fossiles n’est pas réduite, mais les énergies renouvelables sont couplées aux combustibles fossiles pour augmenter la consommation d’énergie et la croissance de l’économie.

La croissance économique implique une plus grande consommation de ressources et donc une augmentation des émissions de CO2. L’idée de maintenir la croissance économique tout en réduisant les émissions de CO2 en recourant aux nouvelles technologies s’est révélée être une illusion et un sophisme. Les données montrent que la mise en œuvre massive et abusive des énergies renouvelables éoliennes et solaires, de l’hydrogène dans toutes ses variantes (vert, rose, bleu, gris), de l’énergie nucléaire, de la biomasse… n’a pas du tout réduit les émissions de CO2, bien au contraire.

Les mesures proposées par l’UE sont prises au piège de la productivité et du non-abandon de la croissance économique. Ce capitalisme vert ne prend pas en compte les limites de la planète qui, si elles sont dépassées, déstabiliseront la vie sur Terre.

Sans partir de l’idée maîtresse que le changement climatique est profondément lié à la consommation effrénée du mode de vie aisé imposé par le capitalisme dans les pays du Nord global, il sera impossible de prendre des mesures justes et efficaces. Sans changement du mode de vie impérial, il sera impossible de s’attaquer aux problèmes environnementaux.

En réalité, les différentes propositions du programme « Objectif 55 » ne sont rien d’autre que les autoroutes que les administrations publiques mettent à la disposition des grandes entreprises énergétiques, afin de créer des macro parcs d’énergies renouvelables pour améliorer leurs résultats, au prix d’une dégradation de l’environnement. Il n’y a aucun espoir d’atteindre les niveaux de réduction indiqués ci-dessus.

Le temps est venu de dire « ça suffit » et de dire un NON retentissant à cette situation. Il est temps de freiner le capitalisme et de préparer la société à une économie durable. La décroissance économique est nécessaire pour réaliser une transition efficace, juste, égalitaire et démocratique.

L’État espagnol et la province de Navarre se trouvent plongés dans cette toile d’araignée, tissée par les intérêts des grands monopoles énergétiques et par les fausses idées selon lesquelles la croissance économique peut être prolongée à l’infini et que les technologies nous garantiront (dans le Nord riche) le niveau de vie et de consommation actuel.

Au contraire, la réalité nous montre qu’il s’agit d’un enrichissement obscène des grandes entreprises du secteur de l’énergie, et que les entreprises dédiées à la production de biens et de services en Espagne ont augmenté de 91,3 % en 2022, tandis que les salaires, au cours de la même période, ont augmenté de 3 %. Ces profits non justifiés sont la cause de l’inflation et de l’augmentation des prix et du coût de la vie, aggravant les conditions de vie des couches les plus pauvres de la population. Les effets de la crise de civilisation se font sentir dans le Nord global.

En Navarre, la planification rationnelle de l’implantation des énergies renouvelables brille par son absence, et ce qui existe est une course incontrôlée et frénétique menée par les entreprises pour faire approuver les projets, sans tenir compte des dommages causés à la biodiversité et au territoire qu’ils impliquent.

Le dernier de ces mégaprojets en date est la centrale solaire photovoltaïque de la municipalité d’Adiós, qui a obtenu une déclaration favorable sur le plan environnemental, publiée dans le BON 642 du 30 mars 2023, ignorant les allégations présentées, parmi beaucoup d’autres, par la plateforme citoyenne « Salvemos el Perdón 4.0 Erreniega Salba Dezagun »3, et qui implique l’installation de 148 MW, occupant pratiquement toutes les terres arables de la municipalité.

Seule la mobilisation citoyenne peut inverser la dynamique suicidaire des promoteurs privés, protégés par les règles de laisser-faire de l’Union européenne et des gouvernements Espagnol et de Navarre. Toute notre solidarité et notre soutien à la lutte de Salvemos el Perdón 4.0 Erreniega Salba Dezagun. Avec notre lutte, nous réussirons.

  1. NDT : l’hydrogène rose est de l’hydrogène produit à partir d’électricité d’origine nucléaire []
  2. NDT : le bulletin officiel de la province de Navarre []
  3. NDT : une association citoyenne qui vise à protéger le patrimoine culturel et naturel de la Sierra del Perdón, en Navarre, contre le méga projets photovoltaïques []