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Entrevue réalisée par la revue Inprecor 

Le monde qui a permis l’envol de l’économie chinoise et son expansion internationale n’est plus. Les tensions sino-étasuniennes s’aiguisent sur fond de crise de la (dé)mondialisation marchande. A l’occasion de la réunion de l’Assemblée nationale populaire, Xi Jinping a confirmé son emprise sur les organes centraux du Parti communiste chinois, mais il doit faire face à une détérioration de l’économie. Il a rencontré « son meilleur ami » Vladimir Poutine à Moscou, s’engageant plus avant dans la crise eurasiatique, au risque de perdre pour une part sa mise en Europe. Derrière cet affichage diplomatique et un unanimisme de façade, le régime est confronté à une situation problématique, tant sur le plan intérieur que sur le plan international.


Inprecor – comment perçois-tu le « moment présent » en Chine ?

Pierre Rousset – Une accélération déstabilisante des changements en cours tant sur le plan intérieur qu’international. L’Assemblée nationale populaire (ANP) s’est réunie pendant neuf jours, se terminant le lundi 13 mars. Deux points saillants sont à noter : Xi Jinping a été réélu pour un troisième mandat à la présidence de la République populaire, ce qui n’est évidemment pas une surprise, mais il l’a été à l’unanimité, et cela s’est inhabituel. Xi manifeste ainsi sa volonté de diriger le parti, l’armée et l’Etat sans partage. Ensuite, l’APN a approuvé un objectif de croissance de 5% pour l’année à venir. C’est très bas (sans certitude de l’atteindre) et signifie une augmentation du chômage et des inégalités sociales. En interne, le régime doit reprendre la main alors que le pays traverse une crise dont les causes sont profondes.

Sur le plan international, les signaux sont contradictoires. La confrontation géostratégique entre Washington et Pékin se durcit, mais pour le grand capital transnational, les affaires doivent continuer sans entraves, comme en témoigne la visite de Tim Cook, dirigeant d’Appel, à Pékin où il a été reçu avec tous les honneurs. Cette visite est d’autant plus significative que la firme a payé, l’an dernier, très cher les « ratés » meurtriers de la politique Covid de Xi Jinping et qu’elle tente de réduire sa dépendance en délocalisant une partie de sa production, mais l’importance du marché chinois ne peut être ignorée, pas plus que les avantages l’écosystème économique qu’offre la Chine aux investisseurs.

La guerre poutinienne en Ukraine et le recentrage asiatique des Etats-Unis ont placé le régime chinois devant des choix difficiles. La récente visite de Xi Jinping à Moscou sanctionne un glissement significatif de son positionnement dans la géopolitique mondiale des conflits et tensions militaires. Elle nous permet de (tenter de) faire le point des rapports russo-chinois et de leur impact en Eurasie, notamment. Le conflit géostratégique entre la Chine, puissance montante, et les Etats-Unis, puissance établie, est entré dans une nouvelle phase, critique.

Le développement économique de la Chine et son envol international sont intrinsèquement liés à la place qu’elle a occupée dans la division internationale du travail et la mondialisation néolibérale. Ce temps est révolu. Nous sommes passés de la crise de la mondialisation marchande à l’insoluble crise de la démondialisation capitaliste.

Disons donc que le « moment présent » du Parti communiste chinois (PCP), puisque c’est son comité permanent du bureau politique (sous l’étroit contrôle de Xi) qui décide de tout, est… indécis.

Des conséquences planétaires de cette situation sont malheureusement claires, telles l’aggravation brutale de la crise climatique ou la militarisation croissante du monde.

Que nous dit la visite de Xi Jinping à Moscou ?

La question s’était posée l’an dernier de savoir si l’invasion de l’Ukraine était le prélude à une attaque chinoise sur Taïwan – une véritable alliance sino-russe avec l’ouverture de deux fronts à l’ouest et à l’est de l’Eurasie, prenant à contre-pied les pays de l’OTAN alors politiquement divisés et militairement impréparés. Ce ne fut pas le cas et l’on peut dire avec le recul que Pékin n’était pas en mesure de tenter l’aventure taïwanaise, et ce pour de multiples raisons. Xi ne pouvait pas, mais probablement ne voulait pas non plus d’une guerre risquant d’impliquer frontalement les Etats-Unis.

En s’inscrivant dans la durée, le conflit ukrainien a mis en danger les intérêts politico-économiques chinois en Europe et plus généralement en Occident. Ce n’est pas un détail. Or, tout « grand frère » qu’il est, Xi Jinping n’a pas pu influencer le cours de la guerre poutinienne. Un an plus tard, il se rend à Moscou et met en scène leur indéfectible amitié, malgré de nombreuses pommes de discorde et rivalités qui l’entachent. En ce « moment présent », il s’agit tout d’abord d’un geste assez spectaculaire de soutien à Poutine, peu après l’émission d’un mandat d’arrêt à l’encontre de ce dernier par la Cour pénale internationale de justice l’accusant de crimes de guerre pour « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. Nous sommes « les meilleurs amis » ont-ils conjointement proclamé.

En février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a placé la Chine en porte à faux. Pékin n’a jamais condamné Moscou pour l’invasion de l’Ukraine, mais, comme toutes les capitales, la direction du PCC a pris le temps d’observer l’évolution de la situation et s’en est inquiétée. Le bilan était sévère : échec de « l’opération spéciale » face à la résistance nationale ukrainienne, extrême brutalité des forces d’occupation (y compris contre des populations russophones), revitalisation de l’OTAN paralysée depuis la débâcle afghane, retour des Etats-Unis sur la scène européenne…

De l’aveu même de Poutine, la pression (potentielle et non immédiate) de l’OTAN n’était pas la seule justification de l’invasion : il déniait le droit à l’existence de ce pays et voulait restaurer les frontières de l’Empire tsariste ou de l’URSS stalinienne (un objectif qui inquiète d’autres pays d’Europe orientale). Ce faisant, il brisait le credo officiel de Pékin concernant le respect des frontières internationales, alors que le recours récurrent à la menace nucléaire violait l’un des tabous majeurs de la diplomatie chinoise…

Pékin avait considérablement investi économiquement et diplomatiquement en Ukraine, en Europe orientale et occidentale, tissant un vaste réseau d’influence. Une pièce maîtresse de ses « nouvelles routes de la soie ». Il risquait donc très gros. Xi ne voulait alors ni rompre avec la Russie ni perdre sa mise. D’où la prudence de son positionnement, y compris à l’ONU, sur la crise ukrainienne.

Le voyage de Xi rompt avec la prudence antérieure. Il reflète effectivement un ajustement significatif des priorités du Parti communiste chinois (PCC), même s’il cherche évidemment, aujourd’hui encore, à limiter en Europe le coût de son appui à la Russie (avec l’aide, espère-t-il, des chefs d’Etat allemands et français). A la suite du durcissement de la confrontation avec Washington, ses priorités géostratégiques sont dorénavant situées en Asie : la mer de Chine du Sud et Taïwan, le Pacifique… Or, de ce point de vue, la poursuite de la guerre en Ukraine est devenue pour le régime chinois une bonne chose : elle sert d’abcès de fixation – plus Washington dédiera d’armements, de finances et de troupes au front européen et plus il devra limiter l’ampleur de son repositionnement dans la zone indo-pacifique.

Comment qualifier les relations sino-russes ?

Xi Jinping et Vladimir Poutine ont signé une « déclaration conjointe sur l’approfondissement du partenariat de coordination stratégique globale de l’ère nouvelle ». Les mots importants me semblent être ici « globale » et « ère » (nouvelle) qui sanctionnent une alliance dite « sans limite ». Cette formule (« sans limite ») avait déjà été utilisée peu avant l’invasion de l’Ukraine, puis était tombée plus ou moins en désuétude. La revoilà, en force. Elle signe effectivement, il me semble, la formalisation d’un bloc sino-russe à vocation stratégique plus consistant qu’il ne l’a été jusqu’à aujourd’hui, mais toujours aussi inégalitaire.

La relation sino-russe est très asymétrique et les deux pays ne sont pas sur un pied d’égalité, tant s’en faut. C’est une évidence. Durant son séjour moscovite, Xi s’est comporté en Empereur bienveillant et Poutine en en vassal obséquieux. Je voudrais seulement nuancer cette évidence en notant que le PCC a besoin de ce partenariat. Son cauchemar est de se retrouver militairement seul face aux Etats-Unis. Il lui faut un allié qui compte sur ce terrain et il n’y a pas d’autre choix possible que la Russie.

Il ne veut pas non plus être confronté à de nouveaux gouvernements hostiles à ses frontières. Quoi qu’il pense de Poutine (ou de Kim Jun-un en Corée du Nord), Xi ne peut prendre le risque de voir son régime s’effondrer. Il a ainsi apporté un soutien appuyé à Poutine pour sa réélection à la présidentielle de 2024 ! De quoi booster un peu la crédibilité diplomatique de l’hôte du Kremlin, qui en a bien besoin. Xi invite Poutine à des rencontres internationales en Chine qui lui permettront de prendre langue (sous patronage chinois) avec bon nombre de chefs d’Etat, sans risquer d’être inquiété par la Cour pénale internationale.

S’il y a un sujet sur lequel Xi Jinping est sourcilleux, c’est bien le nucléaire militaire. Or, Vladimir Poutine vient d’annoncer qu’il allait déployer des armes nucléaires « tactiques » en Biélorussie et y construire un dépôt d’armement nucléaire… Une nouvelle provocation vis-à-vis de l’Occident, mais aussi de son ami Xi.

Qu’en est-il sur le terrain économique ?

Les économies chinoises et russes sont par bien des aspects complémentaires, la Chine exportant des biens ou des capitaux et important des produits du sous-sol sibérien, dont évidemment le pétrole et le gaz à bas prix, que la réduction des importions occidentales a « libéré ». La Chine est maintenant le premier partenaire commercial de la Russie, qui n’est, pour sa part, que le onzième partenaire de Pékin (cependant, ses exportations sont en augmentation significative depuis 2022). Un cas exemplaire d’échange est inégal. Néanmoins, encore une fois, Pékin a besoin de la Russie, dans le domaine de l’énergie, ou de minéraux, notamment. Xi Jinping semble d’ailleurs ne pas vouloir mettre toutes ses cartes entre les mains russes. Il se tourne vers l’Arabie saoudite et l’Iran, le pétrole moyen-oriental, afin d’éviter de trop dépendre de la manne russe.

Pour comprendre l’importance du « partenariat » avec la Russie, du point de vue de Pékin, il faut tenir compte de leur proximité et de leur complémentarité géographique. Proximité : ces deux pays partagent une frontière commune, ce qui permet des échanges sécurisés, une assurance au cas où le commerce international serait perturbé par une crise géopolitique (ou sanitaire). Complémentarité : la Chine est excentrée en Eurasie. Avec la Russie, elle pèse dans l’ensemble du continent. A l’ouest, mais aussi au nord. Elle n’est pas riveraine des mers arctiques. La Russie, puissance sibérienne, devrait lui permettre de s’engager dans la compétition (féroce) pour le Grand Nord qu’annonce le changement climatique, le dégel des régions polaires et de leurs voies maritimes.

Le bloc sino-russe reste, ceci dit, conflictuel. Poutine rêve de restaurer les frontières de l’Empire tsariste ou de l’URSS stalinienne ? C’est cependant l’influence chinoise qui s’affirme en Asie centrale, dans des pays qui font précisément partie de ce périmètre historique. C’est une région d’importance majeure tant pour ses ressources que pour sa situation géographique : elle occupe une place charnière entre la Sibérie, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et la Chine – le passage obligé d’axes de communications économiques ou militaires. A l’occasion de son séjour à Moscou, Xi Jinping a annoncé l’organisation prochaine d’un sommet Chine-Asie centrale auquel sont conviés le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Voilà la Russie marginalisée, le prix que Moscou doit payer pour le soutien chinois. Gageons que cela ne sera pas le seul. Le gros de l’armée russe est concentré à l’ouest et cela convient très bien à Pékin qui a aussi quelques comptes territoriaux à régler avec son « meilleur ami » en Asie du Nord-Est.

La Chine, médiatrice dans le conflit ukrainien ?

La Chine n’est pas une tierce puissance, neutre, offrant ses bons offices pour négocier une solution politique à la crise ukrainienne. Non seulement elle apporte un soutien décisif à Moscou, mais elle est aussi partie prenante du conflit géostratégique qui se joue en Eurasie autour de cette guerre et ne le cache pas. Le plan en 12 points présenté par Xi Jinping est conforme à cet état des choses. Il défend le principe du respect des frontières internationales, de l’ordre onusien, mais ne dit pas que Moscou l’a violé. De fait, il ne contient aucune exigence précise adressée à la Russie – et c’est pourquoi Poutine a pu clamer son accord avec ce plan. Les médias officiels chinois reproduisent fidèlement le narratif russe concernant les causes de la guerre : un acte d’autodéfense face à l’OTAN. Elles ont aussi publié une longue note du ministère des Affaires étrangères affirmant : « qu’il y ait une crise en Ukraine ou non, les dirigeants chinois et russes maintiendront des échanges et des visites (…) Les Etats-Unis veulent intensifier la tension dans le détroit de Taïwan… ». « Le seul qui puisse résoudre le problème [ukrainien] et celui qui l’a créé. La clé de la résolution de la crise ukrainienne n’est pas dans les mains de la Chine, mais dans les mains des Etats-Unis et de l’Occident. » (cité par Frédéric Lemaire et Nicolas Ruisseau dans Le Monde daté du 22 mars 2023). Il y a des façons plus convaincantes de se présenter en médiateur…

Le plan en 12 points a surtout une fonction politique et diplomatique. En ce domaine, il est probablement efficace. Il y a vingt ans, en 2003, les Etats-Unis (et leurs alliés) ont envahi l’Irak pour mettre à bas le régime de Saddam Hussein en violant allègrement le droit international, sur la base de fausses accusations et d’une manipulation grossière de l’opinion publique mondiale. L’Irak paie encore le prix de cette sale guerre. Ce faisant, George W. Bush a réduit à néant le crédit légaliste et démocratique dont se parait le gouvernement US. Moscou et Pékin bénéficient aujourd’hui de cette perte de crédit.

La question d’un cessez-le-feu se pose néanmoins…

Le coût payé par la population ukrainienne dans cette guerre est proprement angoissant, et j’angoisse, mais un cessez-le-feu ne se décrète pas de l’extérieur. Il intervient quand les parties belligérantes jugent qu’elles en ont besoin. Ce n’est pas le cas de Poutine qui prépare l’offensive de printemps, pas une trêve, à la condition évidemment qu’il ait suffisamment d’armement pour ce faire (affaire à suivre). Cela n’est pas non plus le cas de Zelensky, semble-t-il. Le froid hivernal n’a pas eu raison de la population ukrainienne, malgré la terrible campagne de bombardements russes. Kyïv espère qu’un renforcement de l’aide militaire occidentale en quantité et en qualité permettra de prendre l’initiative sur plusieurs fronts clefs dans les mois qui viennent.

Donner la main aux grandes puissances pour définir les conditions d’une trêve tourne généralement mal. C’est ce qui a été fait en 1954 concernant le Vietnam. Les élections promises, que le Vietminh aurait gagnées, n’ont pas eu lieu et les Etats-Unis ont pris le relais des Français, l’escalade militaire US aboutissant à une guerre totale, sans équivalent, je crois, par son caractère dévastateur. La situation en Asie du Nord-Est montre aussi à quoi peut conduire une situation de trêve sans signature d’une paix durable : l’état de crise nucléaire le plus aigu au monde.

En ce qui nous concerne, je pense que l’essentiel est d’écouter ce que nous demandent les composantes de la gauche ukrainienne et de faire tout ce que nous pouvons pour agir en conséquence dans la solidarité internationale. Pour l’heure, le message est qu’il faut infliger une défaite majeure à l’armée russe, pour ouvrir une perspective de paix durable. Ce n’est pas à nous de bâtir des plans de paix.

Comment caractériser le conflit entre les Etats-Unis et la Chine ?

Une puissance établie, les Etats-Unis, est confrontée à une nouvelle puissance montante, la Chine, au point que ce face-à-face interimpérialiste constitue dorénavant un élément structurant de la situation géostratégique mondiale. Un cas de figure classique, mais sur un arrière-plan qui ne l’est pas du tout…

Une « nouvelle guerre froide » ?…

… J’allais expliquer en quoi l’arrière-plan du conflit Pékin-Washington n’est pas « classique » – et pourquoi la formule de « nouvelle guerre froide » me semble trompeuse. A l’époque de ladite guerre froide, le degré d’interdépendance économique entre les blocs Est-Ouest était minimal. Elle est très étroite aujourd’hui. Le contexte mondial est radicalement différent de ce qu’il était il y a un demi-siècle et nous ne pouvons rien comprendre à la situation présente sans en tenir compte. Pour ce faire, il vaut mieux éviter de recourir aux mêmes termes.

Avant d’y revenir, je voudrais noter qu’à l’époque de la confrontation entre les « blocs » Est-Ouest, la formule de « guerre froide » reflétait un étroit point de vue européocentré. La guerre n’avait en effet rien de « froide » en Asie, débouchant sur l’escalade US en Indochine. Ironie de la situation, on invoque aujourd’hui la « nouvelle guerre froide »… alors même que l’Europe est le théâtre, en son cœur, du plus violent conflit militaire depuis 1945. Une guerre engagée avec les moyens d’une grande puissance (la Russie), à la différence des conflits qui ont déchiré les Balkans.

Il est inévitable que les médias, experts et politologues mainstream parlent aujourd’hui de nouvelle guerre froide, mais ce n’est pas une raison pour faire de même. Les mots ont de l’importance et véhiculent des présupposés qui peuvent contribuer à oblitérer la réalité. La formule « guerre froide » a une forte charge mentale qui invite à une interprétation géopolitique très datée. Cela est d’autant plus problématique que beaucoup de courants de gauche continuent de se ranger, plus ou moins franchement, du côté de, voire derrière, la Russie et la Chine, au nom du combat contre les Etats-Unis. L’imaginaire de la guerre froide leur convient donc parfaitement. Comme, symétriquement, il convient parfaitement à Joe Biden et à des courants qui prônent l’alignement sur Washington au nom des « valeurs démocratiques occidentales ».

Il ne suffit pas d’expliquer, dans les textes, la différence entre les périodes ou la complexité des situations géostratégiques contemporaines. Il faut aussi choisir un vocabulaire plus adéquat.

A savoir ?

Conflit interimpérialiste : c’est bien de cela qu’il s’agit et le dire rend la différence avec le « modèle » géopolitique passé immédiatement perceptible. Nous avons pour arrière-plan l’héritage de la mondialisation néolibérale, c’est-à-dire un degré inédit d’intégration du marché mondial au sein duquel la Chine a occupé une place nodale. Pékin et Washington sont aujourd’hui engagés dans une confrontation géostratégique qui s’étend à tous domaines : militaires, systèmes d’alliances, sanctions économiques, développements de technologies alternatives, contrôle des fournitures en ressources rares… Il s’agit bien de reconstituer des « camps », mais cette dynamique politique se heurte aux réalités économiques. Ces deux pays sont liés l’un à l’autre par de multiples biais et, ce qui est peut-être encore plus important, tous deux sont dépendants d’une organisation mondiale de la production qui rend très difficile une relocalisation massive et rapide, notamment vers leurs pays d’origine, d’entreprises clefs dans le cadre d’une économie mondiale de guerre (plus ou moins froide, plus ou moins chaude).

La désindustrialisation de l’Occident s’avère fort compliquée à surmonter. Bien que cette désindustrialisation se soit faite avant tout au profit de la Chine, celle-ci n’est pas autant autosuffisante. L’exemple du secteur des semi-conducteurs est symptomatique. On en trouve presque partout. Qui produit les circuits intégrés de très haute catégorie détient un avantage décisif, notamment en matière militaire. Les licences concernant les semi-conducteurs sont généralement étatsuniennes, mais leur fabrication est basée en Asie : Taïwan, Corée du Sud… (un peu les Pays-Bas)… des pays géographiquement vulnérables face à leur voisin chinois. Pékin consacre des fonds considérables à la recherche en ce domaine, mais rattraper son retard n’est pas gagné d’avance. Joe Biden a fait adopter un budget mammouth pour implanter un centre de production aux Etats-Unis avec l’aide d’une firme taïwanaise, TSMC. Bien rares sont en effet les firmes possédant la technologie et le savoir-faire pour graver des micropuces ultras miniaturisées.

Les relocalisations se heurtent à de nombreux obstacles. On le voit avec Apple – l’Inde ne remplace pas la Chine – quant à produire aux Etats-Unis même… L’administration Biden place aujourd’hui les firmes qui comptent devant un choix binaire : vous recevrez une aide massive pour assurer vos relocalisations aux USA à la condition que vous sortiez du marché chinois. Vous ne pourrez pas avoir le beurre et l’argent du beurre… Ce bras de fer aléatoire illustre à quel point nous ne vivons plus au temps de la « guerre froide » !

Et que valent des relocations si les chaînes de production, lesdites chaînes de valeur, restent mondialisées comme elles le sont actuellement. Leur rupture, que ce soit pour raison de crise sanitaire ou géopolitique, a des effets immédiats. Un produit fini comme une voiture contient un très grand nombre de composants provenant de multiples pays. Si l’un manque et n’est pas remplaçable, la production s’arrête. La crise du Covid-19 l’a montré. Il en va de même pour l’industrie militaire.

Le choix de la mondialisation à permis au capital de se déployer presque sans entrave sur le plan international, pour optimiser ses profits, assurer sa domination, organiser en conséquence les chaînes de production. Et voilà que maintenant, les principaux Etats impérialistes veulent réactiver les frontières, voire en rajouter. C’est une situation inédite et très contradictoire.

Il y aurait bien une alternative à la crise de la démondialisation capitaliste : une politique de régionalisation au profit des populations et de la lutte contre la crise climatique (avec, notamment, la réduction conséquente des transports). Il faut populariser cette alternative, mais les forces sociales à même de l’imposer restent à construire…

La crise de la démondialisation capitaliste est là pour durer. Ses conséquences pour la Chine sont majeures. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le régime chinois ne peut espérer retrouver les conditions qui ont précédemment assuré sa centralité au sein du marché mondial et son envol géopolitique.

Quelles sont les autres conditions ?

J’en mentionnerais ici deux.

Ce n’est pas Xi Jinping qui a créé les pré-conditions intérieures de l’envol chinois. Il fallait d’abord que le pays soit indépendant, doté d’une population et d’un salariat éduqué, d’une première base industrielle propre. Cela, c’est l’héritage de la révolution de 1949 (on aurait tendance à l’oublier, vu des convulsions dans lesquelles le régime maoïste a sombré). C’est ensuite sous Deng Xiaoping que l’aile marchante de la bureaucratie chinoise a réussi à piloter une (contre) révolution bourgeoise, la formation d’une nouvelle bourgeoisie composite alliant (notamment par les réseaux familiaux) capital bureaucratique et capital privé. Enfin, c’est sous Jiang Zemin et Hu Jintao que l’insertion dans le marché mondial s’est consolidée. Xi Jinping a fait preuve de beaucoup d’ingratitude quand il a publiquement humilié Hu Jintao lors du dernier congrès de PCC.

Sur le plan international, Xi Jinping a bénéficié d’une fenêtre de tir inespérée : l’impotence prolongée des Etats-Unis en Asie-Pacifique. Embourbé au Moyen-Orient, Obama n’a pas pu faire basculer le pivot du dispositif US en Asie-Pacifique. Erratique, Trump a inquiété les alliés traditionnels des USA et laissé largement le champ libre à Pékin, y compris sur le plan économique, tout en initiant la politique des sanctions. Il a fallu attendre Joe Biden pour que, dans la foulée de la débâcle afghane, il réussisse à reprendre l’initiative dans cette partie du monde. Entre-temps, Pékin avait militarisé la mer de Chine du Sud, à son profit et aux dépens des autres pays riverains.

L’expansion internationale de la Chine se poursuit néanmoins…

Oui, notamment en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. Avoir patronné un rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran est un indéniable succès qui n’a pas dû faire plaisir à Washington ! En revanche, Pékin a subi des revers dans le Pacifique sud et en Asie orientale, à savoir dans son périmètre d’influence de proximité et sa zone de sécurité immédiate. C’est assez paradoxal. Ces revers signent le retour des Etats-Unis dans la région, mais ils sont aussi dus à la politique de Xi Jinping lui-même. Il a piétiné les droits des pays riverains de la mer de Chine du Sud pensant que ces derniers seraient économiquement trop dépendants des investissements, des financements et du marché chinois pour se rebiffer. Il a trop tiré sur la corde.

Plus généralement, la nouvelle géopolitique de conflit imprime sa marque. Le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, s’est rendu à Kyïv au moment où Xi Jinping était à Moscou. Ce n’est pas un simple acte d’obédience à l’égard de Washington, il a son propre agenda : affirmer le poids du Japon dans le concert des grandes puissances, achever la reconstitution d’une armée d’intervention, en finir avec la culture pacifiste toujours prégnante au sein de la population nippone et militariser le régime, défendre les intérêts propres de son impérialisme dans le Nord-Est asiatique (la péninsule coréenne, des revendications territoriales…). Abritant les principales bases américaines à l’étranger, à Okinawa pour l’essentiel, en se rendant en Ukraine, il envoie aussi un message à la Chine concernant Taïwan.

On retrouve ici la même tension entre la dynamique géostratégique et les interdépendances économiques, en l’occurrence très fortes : la Chine était (en 2019) le deuxième partenaire commercial du Japon, à quasi-égalité avec les États-Unis. Pour la Chine, le Japon demeurait le premier investisseur étranger, hors monde chinois, et le troisième récipiendaire des exportations chinoises, derrière les États-Unis et l’Union européenne.

Après le retour au pouvoir du clan Marcos, Manille a doublé le nombre de ports que la Navale US aura le droit d’utiliser. Les Philippines pourront probablement stocker des munitions dont les conflits contemporains font un usage effréné.

La Chine semblait maître du jeu militaire dans sa périphérie immédiate, la conquête de Taïwan mise à part, mais la configuration des forces se rééquilibre progressivement, partiellement du moins.

On risque de se retrouver en mer de Chine du Sud dans une dangereuse situation prolongée de « ni guerre ni paix », avec des pics de tensions militaires, économiques (blocus), diplomatiques.

Le matériel militaire chinois reste pour une part d’origine russe. Pékin observe avec attention les performances de l’armée d’occupation en Ukraine, comparées à l’effectivité de l’appui US aux forces ukrainiennes. Xi Jinping a quelque souci à se faire. La qualité de l’armement russe apparaît bien inférieure à sa réputation. En revanche, la qualité de l’information fournie par le Pentagone à l’état-major ukrainien explique notamment la précision avec laquelle il a pu cibler ses opérations. Certes, le complexe militaro-industriel chinois est mobilisé à plein régime et modernise son arsenal, développe ses propres technologies, mais on ne les a pas encore vues à l’œuvre. Pékin semble toujours dépendre en certains domaines de la Russie et a décidé de coopérer avec Moscou sur ce terrain lors de la visite de Xi Jinping.

Pékin défend-elle un monde multipolaire ?

C’est ce qu’elle dit, d’une voix, mais elle a plusieurs voix. Xi Jinping n’a pas fait mystère de ses ambitions hégémoniques, opposant deux modèles de civilisation à l’échelle planétaire, la Chine devant retrouver sa centralité et l’histoire retrouver son cours naturel après une parenthèse occidentale. « Le XXIe siècle sera chinois » a-t-il clamé.

Dans une certaine mesure, le monde est aujourd’hui multipolaire. L’hégémonie US des lendemains de la Seconde Guerre mondiale n’est plus. De l’Inde au Qatar, de la Turquie au Brésil, chaque Etat a la latitude de défendre les intérêts (d’une partie) de ses classes dominantes (à moins d’être plongé dans une crise de régime qui le paralyse). Ainsi, les Etats-Unis et la Chine ont du mal à constituer un bloc d’alliance unique réunissant leurs alliés.

La marche vers l’Orient de l’OTAN a été interrompue par la débâcle afghane. Certes, en juin 2022, pour la première fois, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud et le Japon ont été invités à assister au sommet de l’Organisation où la Chine a été explicitement désignée comme une menace pour la sécurité collective commune. De fait, les mandats dont s’est dotée l’OTAN lui permettraient d’intervenir partout où elle jugerait la « sécurité » de ses membres en cause.

Cependant, pour l’heure, Joe Biden doit activer dans la région Asie-Pacifique divers accords politico-militaires ad hoc, susceptibles d’accommoder les exigences de chacun : le Quad (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité) avec l’Australie, l’Inde et le Japon… ou Aukus, acronyme anglais pour Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis.

La Chine active des réseaux comme celui des BRICS, l’acronyme anglais pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Je vois mal cependant le BRICS devenir une alliance militaire, même si le Brésil fait actuellement les yeux doux à Pékin. Il en va de même des réseaux de coopération économiques en Asie-Pacifique où se retrouvent des Etats (européens, par exemple) engagés auprès des Etats-Unis.

Ma « lecture » diffère ici d’analyses progressistes qui jugent que le réalignement de forces (Etats ou grandes entreprises économiques) autour de Washington ou Pékin se produit à un rythme accéléré. Je perçois plutôt un lent déchirement qui pourrait ne jamais s’achever. Ceci étant dit pour alimenter la réflexion et la discussion entre nous…

Rien de lent, cependant, dans l’impact planétaire des tensions sino-étasuniennes. Il est déjà considérable : militarisation du monde, accélération de la crise climatique… C’est à cette dynamique de militarisation qu’il faut s’attaquer, et on ne le fera pas en se rangeant derrière l’un ou l’autre des protagonistes – avec les Etats-Unis parce que le pouvoir chinois est autocratique, ou avec la Chine parce qu’elle ne porte pas la responsabilité historique de l’ordre impérial défendu par les pays de l’OTAN…

En se rangeant derrière l’une des puissances, on se retrouve prisonnier de cette dynamique de militarisation du monde et on risque d’être conduit à abandonner à leur sort des populations victimes d’un ordre impérial ou de l’autre : les Palestinien.es victimes du soutien accordé par les Etats-Unis à Israël, les Syrien.es victimes du soutien de la Russie au régime Assad, les Birman.es victimes du soutien chinois à la junte militaire…

Notre « angle de vue » est la défense des droits des peuples (inclus le droit à l’autodétermination) – ainsi que partout la défense des droits fondamentaux humains, sociaux. La défense des droits n’est pas une « valeur occidentale ». Nous avons connu les pires régimes en Occident, tel ne nazisme, et ces droits chèrement acquis sont aujourd’hui attaqués de la France à l’Italie jusqu’aux Etats-Unis.

Ne doit-on pas lutter pour les droits des travailleur.es, les libertés associatives et syndicales, le droit des femmes partout dans le monde ? Pour les droits des immigré.es, la liberté de circulation ou d’expression, le droit de vote à des élections qui ont un sens ? Le droit à choisir sa sexualité, son identité, à contrôler son corps, à l’avortement ?

L’analyse géopolitique du présent ne doit pas servir à relativiser le combat pour les droits ou à occulter l’origine des conflits, tels l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’écrasement militaire d’un vaste mouvement de désobéissance civique en Birmanie, l’invasion de l’Irak par une coalition sous hégémonie US… Il ne faut pas non plus oublier que des Taïwanais.es vivent à Taïwan et qu’elles et ils ont droit à décider librement de leur avenir, sans être soumis à des menaces militaires récurrentes, à des mesures de rétorsion économiques, à des opérations de manipulation de l’opinion.

N’est-ce pas cela l’internationalisme ?

La guerre interimpérialiste est-elle inévitable ?

Qui suis-je pour répondre à une telle question ! Je vais quand même donner mon… sentiment.

Il semble que pour bien des analystes, la seule question pendante concernerait sa date : très bientôt, plus tard ? J’espère que ces politologues, plus savants que moi, se trompent. La guerre d’Ukraine a des répercussions mondiales, mais ne se développera pas une guerre mondiale (sauf à devenir nucléaire). En revanche, un conflit en mer de Chine du Sud ne serait probablement pas une simple guerre par procuration. On peut apprendre beaucoup de l’Ukraine en matière d’histoire militaire contemporaine, mais cela ne dit pas ce que serait un conflit majeur opposant les deux principaux impérialismes. A part un désastre sans limite.

Le monde des affaires ne croit pas à la proximité de la guerre – il continue à investir sur le long terme, des compagnies chinoises en Occident (dernièrement dans le secteur minier en Australie) et des compagnies occidentales en Chine. Il rechigne à se couper d’une partie du marché mondial (y compris chinois).

La guerre est possible, elle peut advenir « malgré tout », mais elle n’est pas inévitable. Sa possibilité, cependant, crée une situation d’insécurité majeure qui pèse sur les consciences. Notre réponse politique est évidemment le développement du mouvement antiguerre. C’est aussi notre problème, tant il reste aujourd’hui faible sur le plan international et divisé entre « campistes » et « internationalistes ».

Revenons à la situation en Chine même

Xi Jinping a entamé, après le congrès du PCC l’an dernier et maintenant avec la réunion de l’Assemblée nationale populaire, son troisième mandant à la tête du parti, de l’armée et de l’Etat. Un point de non-retour est franchi. Avant la réforme de la Constitution que Xi a imposée en 2018, les mandats des dirigeants suprêmes étaient limités à deux fois cinq ans consécutifs. Une règle d’or qui avait été respectée par les deux successeurs de Deng Xiaoping : Jiang Zemin (1992-2002) et Hu Jintao (2002-2012).

La réforme constitutionnelle de 2018 a levé toute restriction quant à la durée des mandats, afin de permettre à Xi Jinping de régner aussi longtemps qu’il le voudra et le pourra. La charge symbolique de la réunion de l’ANP tient à cela – la Chine est entrée de plain-pied non plus seulement dans le régime du parti unique, mais dans celui du dirigeant unique (à la pensée incomparable). C’est un vrai changement de régime. Xi s’est attaqué aux mesures initiées par Deng Xiaoping visant à limiter la monopolisation sine die des pouvoirs par une seule fraction, une seule clique, un seul homme. Certes, avant Xi, Jiang Zemin et Hu Jintao avaient déjà occupé simultanément les trois postes clefs à la tête du parti, de l’armée et de l’Etat. Ils devaient néanmoins respecter une certaine collégialité à chaque niveau de direction et préparer l’accession au pouvoir d’une nouvelle équipe.

La succession était donc l’enjeu d’une longue lutte au sein de l’appareil, ce qui a permis à des fractions différentes de l’emporter et imposait des compromis (dont Xi a profité). C’était indispensable quand les mandats ne pouvaient excéder dix années consécutives. Cela ne l’est plus. C’en est fini de la collégialité et, même à 70 ans, un dirigeant à vie prépare rarement sa succession.

Cependant si Xi contrôle effectivement le cœur du pouvoir politique au sein du PCC, du comité central jusqu’au saint des saints, le comité permanent du bureau politique, qu’en est-il réellement dans un parti qui compte 96 millions de membres ? Dans un pays-continent d’un milliard quatre cents millions d’habitrant.es ?

La Chine est-elle un pays capitaliste « normal » ?

Oui, mais non. Prenons l’exemple du Covid-19. Le régime s’est tout d’abord enfermé dans le déni, perdant toute possibilité de tuer l’épidémie dans l’œuf (et d’éviter la pandémie). Réagissant trop tard, il a dû recourir à des politiques de confinement « dur », bénéficiant initialement d’un soutien populaire. Il a commencé à déconfiner pour des raisons économiques et la sortie du confinement s’est faite sans préparation alors que, dans ces conditions, elle allait provoquer une reprise virulente des contaminations (et de protestations sociales). Nous avons vécu en France un cycle sanitaire assez similaire. Voilà pour normalité capitaliste de la Chine.

La spécificité chinoise est que ses politiques sanitaires ont pris des formes extrêmes, jusqu’aux pires « excès » (lanceur d’alerte mort en détention, familles enfermées dans leurs appartements sans recevoir eau et nourriture…). Cette folie institutionnalisée reflète comment fonctionne, de haut en bas, l’ordre bureaucratique propre à la gouvernance chinoise, que le pouvoir personnel sans partage de Xi Jinping a renforcée. Si l’on reprend la comparaison avec la France, il est difficile de ne pas évoquer une analogie (le pouvoir personnel d’Emmanuel Macron, qui a fortement joué), mais aussi la particularité d’un impérialisme français super-dépendent (incapable de produire des masques !) et des autorités politiques aveuglées par un eurocentrisme crasse teinté de racisme : nous avions l’avantage d’être avertis de l’arrivée de la pandémie et nous aurions pu apprendre de Taïwan, de la Corée du Sud…

La crise qui vient

La croissance chinoise est en berne, le PIB ayant augmenté de 3% en 2022 selon les chiffres officiels (moins selon nombre d’observateurs) et serait de 5% cette année. C’est dire que la crise sociale va s’aggraver. Le pacte social est érodé : les parents acceptaient un régime autoritaire dans la mesure où ils pensaient que leurs enfants vivraient mieux, or, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Les dettes publiques et privées s’accumulent. Le chômage structurel s’installe, notamment chez les jeunes adultes (il atteindrait 20%).

La transition démographique est plus rapide qu’anticipée : le chiffre de la population commence à décroître. Les incitations du PCC à travailler plus, à se marier jeune et à procréer sans tarder n’émeuvent pas une jeunesse qui tend à travailler moins (du moins celle issue des classes moyennes, qui peut se le permettre). Le nombre de femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfant s’accroît tant pour des raisons économiques (élever un enfant coûte cher) que du fait d’évolutions générationnelles. La classe ouvrière n’a pas oublié la façon dont sa santé a été sacrifiée pour tenter de maintenir la production durant l’épidémie Covid-19. Les personnes âgées manifestent contre les baisses de pensions qui sont annoncées. Les populations de la « périphérie » (Ouïgours, Tibétains..) sont soumises à des formes de colonisations toujours plus agressives.

Dans toute sa diversité régionale, urbaine et rurale, la (les) société chinoise change. Le régime peut-il adapter en conséquence son mode de gouvernance ? Rien n’est moins sûr, tant il s’est replié autour de la clique Xi Jinping qui a assuré, lors du XXe congrès du PCC, son contrôle exclusif sur les organes centraux de direction. Il pourrait s’avérer être l’un des principaux facteurs de la crise qui se dessine.

Souffler sur les braises du nationalisme de grande puissance crée un trait d’union entre la volonté de reprise en main interne (les fauteurs de troubles étant dénoncés au nom de l’indispensable union nationale) et le durcissement annoncé de la politique étrangère.