Helena Zelic, avec le soutien de Miriam Nobre

Découvrez l’histoire de la courtepointe féministe qui a traversé les pays et les continents avec des arts et des messages des femmes.


Coudre une courtepointe peut être un travail solitaire, enfermé dans une maison ou un atelier. Mais pas pour la Marche Mondiale des Femmes ! En 2005, dans le cadre de la 2ème Action internationale du mouvement, la courtepointe dite de Solidarité est passée entre les mains de femmes de tous les continents, qui ajoutaient des morceaux de tissu représentatifs de leurs luttes dans 63 pays et territoires. Maintenant, 18 ans plus tard et à la veille d’une autre Rencontre internationale de la Marche Mondiale des Femmes, nous appelons le souvenir de cette expérience à nous inspirer pour continuer à être créatives, combatives, à coudre nos territoires et à renforcer des liens concrets et palpables entre les différents peuples du monde.

La courtepointe de solidarité jouait un rôle symbolique : elle représentait l’union des femmes autour d’un projet politique féministe, exprimé la même année dans la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, qui accompagnait la courtepointe, et qui est sortie le 8 mars de la même année à São Paulo, au Brésil. La paix, la liberté, la justice, la solidarité et l’égalité étaient les cinq valeurs qui structuraient la Charte.

La courtepointe était le vecteur de la solidarité et des pratiques internationalistes. Pour unir ces 63 morceaux de tissu, il était nécessaire de franchir les frontières, de connaître et de confronter le militarisme, de renforcer les liens entre militantes d’une même région et de partager une tâche avec la confiance internationale. En plus de ces apprentissages, qui faisaient partie de la tâche complexe de traverser la courtepointe entre les pays et les régions, il y avait aussi l’apprentissage du consensus, l’élaboration collective des mots et/ou des images qui seraient estampillés sur le rabat de chaque coordination nationale de la Marche Mondiale des Femmes.

La dernière destination de la courtepointe, ainsi que de la lettre, était Ouagadougou, au Burkina Faso, le 17 octobre, Journée Internationale pour mettre fin à la pauvreté. Dans un pays considéré comme l’un des plus pauvres du monde, les déléguées internationales, régionales et locales de la MMF se sont réunies pour clôturer leur 2ème Action internationale et réfléchir à ce que signifient la pauvreté et la richesse, tant pour les indicateurs internationaux que pour la vie des femmes. Pendant ce temps, partout dans le monde, la première expérience de « 24 heures de solidarité féministe » a eu lieu. Au départ de la Nouvelle-Calédonie et accompagnant les fuseaux venus des quatre coins de la planète, les femmes ont mené des actions dans leurs localités de midi à treize heures. Des actions simultanées ont eu lieu dans 35 pays, affirmant qu’un monde sans pauvreté et sans violence est possible et inaugurant une forme d’action féministe et internationaliste par la Marche Mondiale des Femmes.

Dans les paroles des femmes

La Charte mondiale des femmes pour l’humanité, qui a également parcouru le monde, accompagnant la courtepointe, avait été proposée dans la 4ème Rencontre internationale de la MMF, qui a eu lieu en mars 2003 à New Delhi, en Inde. La charte serait une initiative pour montrer que « nous, les femmes, prenons l’initiative de proposer les grandes lignes d’une charte pour un autre monde possible avec des valeurs universelles et féministes », comme l’indiquait un rapport à l’époque.

Dans le même rapport, l’inspiration et le contenu attendu apparaissent : « Ce document pourrait prendre racine dans les 17 revendications mondiales de la Marche pour formuler des propositions d’alternatives. Il pourrait s’inspirer de la Déclaration universelle des droits humains de 1948, mais en faisant un pas de plus pour le progrès de l’humanité ». C’est ainsi qu’un groupe de travail a été formé pour la rédaction de cette lettre, avec pour tâche de synthétiser les contributions de toutes les coordinations nationales de la Marche Mondiale des Femmes. Le texte a été adopté dans la 5ème Rencontre Internationale, qui a eu lieu à Kigali, au Rwanda, en décembre 2004. Et son contenu a été la base de l’élaboration du patchwork de la courtepointe, dans chacun des endroits où les femmes se sont rassemblées pour tisser, ensemble, cette histoire.

Nous rejetons ce monde ! Nous proposons de construire un autre monde où l’exploitation, l’oppression, l’intolérance et les exclusions n’existent plus, où l’intégrité, la diversité, les droits et libertés de toutes et de tous sont respectés. (CHARTE MONDIALE DES FEMMES POUR L’HUMANITÉ, 2005.)

Traversées féministes

Les femmes cousaient la courtepointe sur le pouce, ce qui était un défi. Faire voyager la courtepointe était une tâche collective et parfois assez complexe. Sur le continent américain, par exemple, il a fallu beaucoup d’attention et de planification pour amener la courtepointe, qui venait des pays d’Amérique latine, passant du Mexique aux États-Unis. La frontière entre ces deux pays est profondément militarisée, ce qui fait partie d’une politique et d’une idéologie anti-immigration qui s’exprime à travers les États-Unis, et pas seulement dans les zones frontalières.

À ce jour, dans les Amériques, en particulier dans le centre, des militantes des mouvements territoriaux, féministes et populaires observent avec inquiétude les migrations précaires et peu sûres vers le Nord. Les caravanes quittant des pays profondément inégalitaires comme le Honduras montrent l’urgence de reconstruire les pays, de les libérer de l’impérialisme, de la dépendance, du pouvoir des entreprises et de l’extractivisme prédateur.

En Europe, actuellement, le mouvement féministe a également donné une place centrale à la lutte contre les frontières et aux accords militaro-économiques qui ferment le continent et discriminent les personnes migrantes. Pour les femmes migrantes, la xénophobie signifie précarité, manque de papiers, avoir les travaux domestiques et de soins sous-payés et privés de droits souvent comme la seule option. Pratiquer la solidarité internationaliste implique donc de soutenir l’organisation des femmes migrantes et de dénoncer les inégalités régionales et raciales qui favorisent un prétendu bien-être social sélectif, au détriment de l’exploitation et de la violence contre beaucoup.

En Asie, il y avait une tension particulière à la frontière entre l’Inde et le Pakistan. Fortement délimitée, limitée et militarisée, la frontière entre les deux pays est un élément de différend territorial. Pour cette raison, les militantes impliquées dans l’action de 2005 ont dû développer toute une stratégie pour le passage de la courtepointe, qui symbolisait également la possibilité de se rebeller contre les divisions nationales, de célébrer la souveraineté populaire et d’exercer l’amitié entre les femmes de différents peuples.

La couture finale de la courtepointe a été réalisée par la vaillante militante burkinabè Awa Ouedraogo, qui faisait alors partie du Comité International de la MMF. Awa est décédée en juillet 2021, et se souvenir de la courtepointe est également un rappel de sa vitalité et de son engagement envers le féminisme. Awa a voyagé de l’Afrique du Sud au Burkina Faso pour s’occuper de la courtepointe pendant la dernière partie de son voyage, en ajoutant les derniers morceaux du continent africain et en finalisant l’assemblage. Le résultat est un matériau historique, un objet fondamental de la trajectoire du féminisme populaire dans le monde.

Plus qu’une somme de luttes, la courtepointe de solidarité, ainsi que la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, représente l’élaboration et la synthèse d’un sujet politique collectif, diversifié et émouvant.

Édité par Tica Moreno – Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves, via Capiremov