Venezuela : risque de guerre civile

Entrevue avec Edgardo Lander

Jean-Baptiste Mouttet, Mediapart, 15 février 2019

Dans un pays qui est le théâtre d’une lutte entre deux présidents, Juan Guaidó d’un côté et Nicolás Maduro de l’autre, la « plateforme » citoyenne de défense de la Constitution propose une troisième voie afin d’éviter une recrudescence de la violence. Un de ses membres, Edgardo Lander, figure de la gauche vénézuélienne, renvoie les deux adversaires dos à dos et défend l’organisation d’un référendum.

Alors que la tension ne cesse de s’exacerber au Venezuela, il est difficile de proposer une voie qui ne se réclame ni du camp de l’opposition incarné par Juan Guaidó, qui s’est proclamé président de transition le 23 janvier, ni du camp bolivarien représenté par le président en exercice Nicolás Maduro.

Guaidó a de nouveau défié Maduro en début de semaine, assurant que l’aide humanitaire des États-Unis entrerait bien dans le pays le 23 février prochain, tandis que Maduro a, lui, reconnu avoir été en contact avec l’administration américaine.

Composée de chavistes dissidents et d’intellectuels de gauche, la « plateforme » de défense de la Constitution (de 1999) veut proposer une troisième voie. L’organisation, qui défend le retour à « l’ordre constitutionnel », fait campagne pour un référendum susceptible de mener à des élections générales afin de donner une nouvelle légitimité aux pouvoirs publics discrédités.

Edgardo Lander est une des figures de proue de la plateforme. Sociologue à la retraite de l’Université centrale du Venezuela (UCV), associé permanent de la Fondation Rosa-Luxemburg, il fut l’un des organisateurs du Forum social mondial de Caracas en 2006. Selon lui, Nicolás Maduro a précipité la fin des expériences de gauche en Amérique latine.

Quelle est votre analyse de la situation au Venezuela, depuis que Juan Guaidó s’est proclamé président le 23 janvier ?

Edgardo Lander : Le pays traverse une situation à très haut risque. Alors que le contexte économique est insoutenable, avec un manque d’accès à la nourriture ou aux médicaments, avec des millions de Vénézuéliens qui ont quitté le pays et des indicateurs sociaux qui sont ceux d’un pays en guerre, il y a une menace sévère de confrontation entre deux camps. L’un de ces deux camps est le gouvernement de Nicolás Maduro que nous reconnaissons comme président parce qu’il est à Miraflores [siège du gouvernement – ndlr], parce qu’il exerce le pouvoir et contrôle les forces armées.

Mais nous considérons que ce n’est pas un président « constitutionnel ». Pourquoi ? Parce que depuis 2015, il a violé, pas à pas, la Constitution de manière toujours plus autoritaire. Le gouvernement n’a pas reconnu les résultats des élections législatives de 2015. Le Tribunal suprême de justice (TSJ), en faveur de Maduro, a déclaré l’Assemblée nationale en « desacato » [en situation « d’outrage » – ndlr] et l’a ignorée complètement.

L’Assemblée nationale constituante a été élue par des mécanismes électoraux qui ont violé les lois fondamentales de la Constitution. Maduro en est venu à gouverner par décrets depuis janvier 2016. En situation d’urgence économique, le président a la faculté de déclarer l’état d’urgence pour trois mois. Il peut renouveler cet état d’urgence une seule fois avec l’appui de l’Assemblée nationale.

Nous sommes en 2019, et ce décret se renouvelle et se renouvelle… Il a ainsi décrété la création de l’Arc minier de l’Orénoque, qui concède 12 % du territoire national à l’exploitation minière où il y a une violation systématique des droits de l’homme, une violation systématique des droits des peuples amérindiensune violation systématique de la souveraineté nationale. C’est un gouvernement qui convoque des élections quand il veut, avec les partis qu’il veut. Nous avons de nombreuses raisons de dire qu’il ne représente pas la volonté du peuple.

Et que pensez-vous de la dynamique de Juan Guaidó ?

De l’autre côté, nous sommes face à une offensive impériale extraordinairement forte, avec une menace de la part du gouvernement des États-Unis d’une invasion militaire du Venezuela et des mesures d’étranglement de l’économie du pays toujours plus sévères. La possibilité pour l’État vénézuélien de trouver des systèmes de financement internationaux est toujours plus restreinte. Cet étranglement de l’économie n’est pas la cause fondamentale de la crise que vit le pays.

La crise a débuté avant ces mesures. Aujourd’hui, les sanctions contribuent à la crise sociale profonde que vit le pays. Alors que la population vénézuélienne souffre de faim, les États-Unis offrent une aide humanitaire. Nous savons ce qu’est l’aide humanitaire dans ce contexte. C’est une aide accompagnée des forces armées. Nous craignons un éclat de violence à la frontière colombienne, l’accès principal de l’arrivée de cette aide.

Pour la plateforme, il est évident que le pays a besoin d’une aide internationale. Mais il doit y avoir des mécanismes de collaboration internationale multilatérale, via des organismes comme la Croix-Rouge, l’Unicef, comme l’Organisation mondiale de la santé. Cela est très différent de l’instrumentalisation politique unilatérale des États-Unis, qui utilise l’aide comme un mécanisme de pénétration et d’exacerbation du conflit interne.
En résumé, depuis l’auto-proclamation de Juan Guaidó comme président, nous sommes face à une dualité de pouvoir exacerbé. Nous avons deux assemblées législatives, deux procureurs de la République, deux cours suprêmes et deux présidents… Nous pouvons arriver à une division des forces armées avec un risque important de guerre civile.

Que propose la plateforme ?

L’unique moyen d’éviter une sortie de crise par la violence est un accord élémentaire entre les deux parties qui permette de nommer un nouveau Conseil national électoral (CNE) et, ensuite, de réaliser un référendum consultatif où il sera demandé à la population si elle souhaite renouveler tous les pouvoirs publics. Il ne peut y avoir de référendum crédible qu’avec un nouveau CNE et une observation électorale internationale, principalement de l’ONU. S’il y avait un référendum avec le Conseil national électoral actuel, la population ne participerait pas. Ce conseil, aux mains du gouvernement, ne bénéficie plus d’aucune crédibilité.

La route que propose le président de l’Assemblée nationale Juan Guaidó suppose d’abord l’éviction de Nicolás Maduro. Pour lui, l’unique solution est la reddition complète du président en exercice. Cela est peu probable. Pour le moment, le soutien des forces armées au président en exercice demeure important. Le discours du gouvernement de ces derniers jours a été très agressif et militariste. Cette route de non-négociation conduit à l’affrontement.

Le gouvernement, face à toute cette pression nationale et internationale, prévoit des élections législatives. L’Assemblée nationale [où l’opposition est majoritaire – ndlr] a été élue en 2015 et le mandat des députés n’est pas terminé [en fonctions jusqu’au 5 janvier 2021 – ndlr]. Cette élection ne ferait qu’aiguiser le conflit et verrouiller les portes de la négociation.

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