Arabie saoudite : une militante pour les droits menacée

JEAN-PIERRE PERRIN, Médiapart, 29 août 2018

Jusqu’à présent, aucune militante des droits fondamentaux n’avait jamais été exécutée publiquement en Arabie saoudite. Des femmes reconnues coupables de meurtre, oui, et en général elles sont tuées d’une balle dans la tête – les décapitations sont réservées aux hommes. C’est le sort tragique que pourrait pourtant connaître la dissidente Israa al-Ghomgham, 28 ans, dont le procureur du Royaume a dernièrement requis la condamnation à mort, ainsi que celle de quatre autres militants. Son procès commencera le 28 octobre devant une cour de sûreté spéciale, créée pour juger les affaires de terrorisme mais, selon Human Rights Watch, utilisée pour poursuivre les opposants.

Si le tribunal la condamne alors ou lors d’une autre séance, elle pourra faire appel. Après la ratification de sa condamnation par la Cour suprême, elle aura comme dernier recours la grâce éventuelle accordée par le roi Salmane. Mais il est très rare qu’il l’accorde. Le prince héritier Mohammed ben Salmane, alias MBS, pourrait aussi intervenir en sa faveur. Mais c’est lui qui est favorable à cette campagne de répression contre les voix dissidentes, sans précédent jusqu’alors, même lorsque le Royaume était confronté à la campagne de terreur orchestrée par ce qui deviendra l’organisation Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), aujourd’hui repliée au Yémen. Sous les précédents monarques, le régime saoudien n’arrêtait pas les femmes dissidentes, il est vrai moins nombreuses. Ni a fortiori ne les condamnait à mort.

 « D’après l’expérience que nous avons acquise lors de précédents procès, nous savons que lorsque la peine capitale est demandée par le procureur, elle est un indicateur de ce que pourrait être le jugement final : la peine capitale », explique Ali Adubisi, le président de l’Organisation européenne saoudienne de défense des droits de l’homme (ESOHR, basée à Berlin). « C’est exactement ce qui s’est produit avec Ali al-Nimr, un protestataire pourtant mineur, ajoute-t-il. C’est parce que les mécanismes de la justice saoudienne dans le processus d’accusation ne sont pas indépendants et sont directement au service du roi Salmane. Ainsi, le tribunal spécial a été créé par le roi, les juges sont nommés par le roi, le bureau du procureur est relié directement au roi. Donc, tous les rouages de cette cour de sûreté sont sous le contrôle de Salman et, dès lors, la plupart des procès ne sont que des shows dont l’issue est déjà prédéterminée afin de servir de récit au profit du régime. »

Ce que les autorités saoudiennes reprochent à Israa al-Ghomgham, c’est d’avoir organisé des manifestations pacifiques, milité pour des réformes démocratiques sur les réseaux sociaux et appelé à la libération des prisonniers politiques. Elle avait été arrêtée avec son mari à leur domicile, le 8 décembre 2015, près de la ville de Qatif, dans l’est de l’Arabie saoudite, riche région pétrolière majoritairement chiite, et secouée périodiquement par des mouvements de contestation. Sa mise en détention n’a jamais été annoncée, ni sa famille prévenue. Le réquisitoire du procureur demandant sa mort n’a été connu que le 14 août, soit huit jours après la fin de la première séance du procès à l’encontre de la militante.

À ce jour, la jeune femme n’a pu encore bénéficier d’aucune assistance juridique. Elle a donc comparu dans le tribunal spécial sans avocat. Selon son père, qui a organisé une collecte via l’application WhatsApp, elle n’avait pas l’argent nécessaire – environ 70 000 dollars – pour en prendre un. Depuis, plusieurs avocats saoudiens se sont proposés pour la défendre gratuitement.

En avril 2018, MBS avait, dans un discours, affirmé qu’il travaillait à un plan pour limiter les peines de mort au strict minimum. À l’évidence, de la poudre aux yeux. Depuis qu’il a été nommé prince héritier, en juin 2017, ce sont 538 personnes qui ont été exécutées dans le Royaume. Selon Ali Adubisi, le président de l’ESOHR, on compte actuellement 58 prisonniers politiques dans le couloir de la mort, dont 31 sont susceptibles d’être exécutés d’un moment à l’autre et parmi eux huit mineurs. La plupart sont détenus dans une prison des services secrets dans la ville de Dammam, dans l’est du pays.

Ali Adubisi n’est pas certain que la sévérité du procureur à l’égard de Israa al-Ghomgham s’explique par le fait que la jeune femme soit de confession chiite : « C’est possible. Mais en fait, on ne sait pas vraiment. Certes, elle est chiite mais elle réclame des droits pour tous les Saoudiens. Les chiites sont victimes de violations des droits de l’homme spécifiques à leur confession, mais aussi communes à l’ensemble de la population. »

Après sa prise de pouvoir, MBS a d’abord mis au pas les oulémas (les hauts religieux) et les moutawa’im (la police religieuse) du Royaume, suscitant les plus grands espoirs chez les libéraux. Puis il s’est attaqué aux grands princes des différents autres clans, les dépouillant d’une partie de leur richesse, s’attirant là encore une sympathie certaine dans la population. À présent, c’est au tour des Saoudiennes, dont la contestation ne cesse de monter. En Angleterre, des militantes saoudiennes ont lancé une radio en ligne – Nsawya FM (Féminisme FM), avec ce slogan : « Nous sommes réelles, nous existons » – pour réclamer davantage de droits et faire connaître la grande misère des femmes saoudiennes.

Certes, depuis le 24 juin, elles peuvent conduire et le prince héritier les a autorisées à créer leur entreprise, à entrer dans l’armée, à faire du théâtre ou à entrer dans les stades. Mais elles restent des citoyennes de troisième zone, ayant toujours besoin d’un tuteur pour voyager, même à l’intérieur du Royaume, ou pour prendre des décisions engageant leur vie personnelle. Trois figures emblématiques, Loujain al-Hathloul, Aziza al-Yousef et Eman al-Nafjan, qui militaient notamment pour la levée de l’interdiction de conduire, ont été arrêtées en mai 2018, soit un mois avant le décret d’application permettant aux Saoudiennes de prendre le volant. Elles sont toujours détenues. Depuis plus de cent jours. « Le gouvernement ayant muselé les hommes, le mouvement de protestation est porté par les femmes. Avant, il n’arrêtait pas les femmes. Le roi Ben Salmane et MBS ont aujourd’hui changé de politique et pourraient vouloir faire d’Israa un exemple », craint Ali Adubisi.

Reste que l’image de prince éclairé que voulait donner de lui MBS, promoteur d’un islam modéré, a volé en éclats. Il semble peu s’en soucier. Pour le moment, on le dit fort passionné par un superbe palais… indien, qu’il se fait construire par un célèbre décorateur français dans le désert saoudien. Après l’achat de son faux château Louis XIV de 5 000 m2 habitables à Louveciennes, dans les Yvelines, qui est la demeure privée la plus chère du monde.

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