Manifestation à Melbourne contre les énergies fossiles - @Takver from Australie CC BY-SA 2-0 via Wikimedia Commons

Julia Conley, Common Dreams

« La crise mondiale de l’énergie s’est avérée un gigantesque pactole pour les firmes exploitant les combustibles fossiles. Au lieu d’investir leurs bénéfices record dans les énergies propres, ces compagnies les redirigent vers le pétrole et le gaz et vers la dotation des détenteurs de leurs titres ».  Entendu en marge de la COP 28

L’année 2023 a été marquée par des événements météorologiques signalant de plus en plus clairement que la Terre est entrée dans ce que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé l’« ère de l’ébullition », avec ses incendies de forêt et vagues de chaleur prolongées qui font souffrir des millions de personnes. Et la communauté scientifique confirme que l’extraction des combustibles fossiles et le réchauffement de la planète sont des sources directes de tels maux.

Mais pour les cinq plus grandes compagnies pétrolières au monde, l’année a été marquée par des bénéfices record et par l’approbation de plusieurs nouveaux projets majeurs d’exploitation de combustibles fossiles -à tel point que, selon les prévisions, ces compagnies devraient pouvoir distribuer aux détenteurs de leurs titres une manne supérieure à 100 milliards de dollars américains, signe que leurs dirigeants ne craignent guère une baisse de la demande de leurs produits, a noté un économiste.

Les compagnies en question – BP, Shell, Chevron, ExxonMobil et TotalEnergies – ont rémunéré les détenteurs de leurs titres à hauteur de 104 milliards de dollars américains en 2022, et devraient selon le Guardian récompenser les investisseurs avec des rachats de titres et des versements de dividendes encore plus impressionnants en 2023.

Shell a annoncé en novembre avoir des plans pour verser aux détenteurs de ses titres au moins 23 milliards de dollars américains, soit plus de six fois le montant qu’elle prévoyait consacrer à des projets d’énergie renouvelable. BP a promis aux détenteurs de ses titres une augmentation de 10 % de ses dividendes. Chevron a en début d’année dernière fait savoir qu’elle entendait racheter ses actions pour un montant de 75 milliards de dollars américains, et ses efforts en ce sens pourraient bien dépasser ce montant.

Alice Harrison, militante au sein de l’ONG Global Witness, a dénoncé le fait que les détenteurs de titres des compagnies du secteur des énergies fossiles vont faire de bonnes affaires tandis que beaucoup de foyers aux quatre coins de l’Europe souffrent de la pénurie de carburants et que le monde est confronté à la menace croissante de catastrophes climatiques imputables à l’industrie.

« La crise mondiale de l’énergie s’est avérée un gigantesque pactole pour les sociétés exploitant les combustibles fossiles, a déclaré Madame Harrison au Guardian. Et au lieu d’investir leurs bénéfices record dans les énergies propres, ces compagnies les redirigent vers le pétrole et le gaz et vers la dotation des détenteurs de leurs titres. Cette année encore, des millions de familles seront à court de moyens pour chauffer leur maison pendant l’hiver et les pays du monde entier continueront de subir les effets des phénomènes météorologiques extrêmes dus à l’effondrement climatique. Ainsi va l’économie des combustibles fossiles, avec ses dés pipés en faveur des riches ».

En 2023, les militants ont intensifié leurs démarches pour placer les industries du pétrole, du gaz et du charbon devant leurs responsabilités et il appert qu’en date du mois dernier, ils ont obtenu des résultats en faisant pression sur plus de 1 600 universités, fonds de pension et autres institutions en vue de les dissuader d’investir dans les combustibles fossiles. Aux États-Unis, les dispositions de la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), présentée en grande pompe comme le « plus grand investissement dans le climat et l’énergie de l’histoire américaine », sont entrées en vigueur.

Mais Dieter Helm, professeur de politique économique à l’université d’Oxford, a déclaré au Guardian que si l’on craignait vraiment dans l’industrie que les décideurs politiques mettent un terme à l’extraction des combustibles fossiles et accélèrent la transition vers les sources d’énergie renouvelables, les compagnies du secteur dépenseraient beaucoup moins pour lancer de nouveaux projets et rémunérer les détenteurs de leurs titres.

« On n’en serait pas là si on était convaincu que la transition énergétique est en voie de se concrétiser et que la demande de combustibles fossiles va diminuer », a confié Monsieur Helm au Guardian.

En 2023, le président américain Joe Biden a exaspéré les défenseurs du climat en approuvant le projet de forage pétrolier Willow en Alaska, qui risque d’entraîner l’émission d’environ 280 millions de tonnes de dioxyde de carbone contribuant à l’emprisonnement de chaleur dans l’atmosphère. L’administration Biden a par ailleurs inclus dans un accord sur la limite de la dette des dispositions visant à aller plus rapidement de l’avant avec l’approbation du pipeline Mountain Valley, un projet qui pourrait conduire à l’émission de l’équivalent de plus de 89 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Parallèlement, le gouvernement britannique a donné le feu vert à un énorme réseau de forage pétrolier en mer du Nord et la société française TotalEnergies a poursuivi la construction de l’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est, long de 1450 kilomètres, dans la perspective de transporter jusqu’à 230 000 barils de brut par jour.

« Ces compagnies investissent des sommes considérables dans de nouveaux projets et distribuent des dividendes de plus en plus juteux parce qu’elles sont convaincues de pouvoir obtenir des rendements élevés, a souligné M. Helm. Et si l’on considère l’état actuel de nos progrès en matière climatique, qui peut dire qu’elles se fourvoient? »

Vanessa Nakate, militante pour le climat, a mis le doigt sur l’expectative de voir se matérialiser une grasse rémunération des détenteurs de titres de ces compagnies après l’entente intervenue à la 28e conférence annuelle des Nations unies sur le changement climatique pour instaurer un fonds « pertes et dommages » visant à aider les pays en développement à lutter contre l’urgence climatique. Ce fonds a été qualifié d’« historique », et il est prévu que les pays riches le dotent de 700 millions de dollars américains, une somme qui devrait être éclipsée par les gains des investisseurs dans les combustibles fossiles.

Prem Sikka, membre de la Chambre des Lords du Royaume-Uni et cofondateur du Tax Justice Network (réseau de justice fiscale) a fait ce commentaire au sujet des géants du secteur pétrolier : « Ils se sont servis dans le portefeuille des gens, ils ont alimenté l’inflation et ils ont aggravé la pollution et la pauvreté. Les gouvernements ne font rien pour mettre fin à leur mainmise monopolistique. C’est un cartel à démanteler. »

Traduit de l’anglais par Johan Wallengren