Argentine : les femmes se mobilisent pour le droit à l’avortement

 

Angeline Montoya, Le Monde 18 octobre 2019

On en attendait 100 000, ce qui aurait déjà été un record. Elles ont été plus du double à converger, du samedi 12 au lundi 14 octobre, vers La Plata, la capitale de la province de Buenos Aires, pour participer aux 34es Rencontres nationales des femmes (ENM, selon le sigle en espagnol).

Venues de tout le pays, de toutes les classes sociales, origines ethniques, orientations ou identités sexuelles, elles ont occupé les hôtels, les places, les rues, pris d’assaut les restaurants et débattu dans l’un des 87 ateliers organisés sur des thèmes liés aux problématiques de genre.

Le vert, symbole de la lutte pour l’IVG

Une foule bruyante, joyeuse, colorée, où le vert, symbole de la lutte pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dominait. Les femmes affichaient ainsi leur volonté de replacer au centre du débat l’avortement, grand oublié de la campagne des élections présidentielle et législatives qui se tiendront le 27 octobre.

« Nous obtiendrons des lois qui s’opposeront de plus en plus au patriarcat, ici et dans toute l’Amérique latine. » Nina Brugo

Lancées à la suite de la troisième Conférence mondiale sur les femmes, à Nairobi, au Kenya, en 1985, ces rencontres annuelles ne sont pas un simple festival. « Lieu d’échanges intenses, de débats, de confrontation d’idées, elles ont été, soutient l’avocate féministe Nina Brugo, à l’origine des discussions pour l’obtention de nombreux droits » : loi de parité politique, création de programmes de santé sexuelle et reproductive, loi contre la violence de genre, mariage pour tous…

C’est lors des ENM de 2003, à Rosario, que le droit à l’avortement est devenu une revendication nationale. Les premiers foulards verts y ont fait leur apparition. Un an plus tard, en 2004, à Mendoza, était décidé le lancement de la Campagne nationale pour ce droit à l’avortement, un collectif d’ONG créé pour soutenir plus efficacement le combat en faveur de l’IVG. C’est lui qui a rédigé le projet de loi débattu au Parlement en 2018, finalement rejeté par le Sénat.

Au fil des années, la participation des femmes s’est faite plus massive. « Nous étions à peine un millier en 1986, à Buenos Aires, se souvient Nina Brugo, une des fondatrices de la Campagne, qui s’enorgueillit d’avoir participé aux 34 ENM. Le féminisme argentin s’est construit en grande partie lors des rencontres. »

« La Campagne nationale pour le droit à l’avortement est devenue une actrice politique de poids et un enjeu de pouvoir. » Une militante

Depuis l’an passé, les jeunes sont venues en nombre, à la faveur notamment des débats sur l’avortement. « On ne peut plus revenir en arrière, poursuit la pionnière. Grâce à cela, nous obtiendrons des lois qui s’opposeront de plus en plus au patriarcat, ici et dans toute l’Amérique latine. La forte présence de camarades latino-américaines à La Plata le prouve. »

De nouveaux débats sont apparus, sur la question du genre notamment. Et l’appellation « rencontres nationales » ne satisfait plus les communautés indigènes. Les 35es ENM, qui se dérouleront en 2020 à San Luis, à 800 kilomètres à l’ouest de Buenos Aires, devraient ainsi devenir les « Rencontres plurinationales de femmes, lesbiennes, trans, travesties, bisexuelles et non binaires ».

Sur la scène politique, certains tentent de récupérer la mobilisation. Totalement inconnue avant les débats de 2018, « la Campagne nationale pour le droit à l’avortement est devenue une actrice politique de poids et un enjeu de pouvoir, alors que, jusque-là, l’avortement était considéré comme piantavotos [qui fait perdre des voix], explique une militante qui préfère ne pas donner son nom. Aujourd’hui, les partis de gauche favorables à l’IVG se disputent pour savoir qui va capitaliser ces centaines de milliers de votes. »

Le Front de tous et le pape François

À seulement deux semaines des élections, les militantes se sont divisées sur l’itinéraire de la manifestation le dimanche soir. Certaines ont fait le choix de passer devant la cathédrale, le palais du gouverneur de la province, le ministère de la justice, bref, les centres de pouvoir. Quand d’autres ont souhaité éviter toute confrontation directe, en particulier avec l’Église, comme le voulaient les soutiens du Front de tous qui, mené par Alberto Fernández et l’ex-présidente Cristina Fernández de Kirchner (2007-2015), caracole en tête des sondages et devrait l’emporter dès le premier tour. S’il s’est dit favorable à la légalisation de l’IVG, le duo péroniste s’est aussi rapproché dernièrement du pape François, qu’il veille à ne pas froisser. Lors du premier débat présidentiel dimanche soir, M. Fernández a juste effleuré le sujet, disant qu’il fallait « tendre » vers la légalisation. Présenté en mai pour la huitième fois depuis 2007 par la Campagne nationale, le projet sur l’IVG devrait à nouveau être discuté dans l’hémicycle en 2020. L’issue dépendra de la composition du Parlement qui sortira des urnes le 27 octobre.

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