Bolivie : la droite dure plonge le pays dans la violence

 FRANÇOIS BOUGON, Médiapart, 18 novembre 2019

Le nouveau pouvoir bolivien affirme vouloir mener une transition pacifique jusqu’à l’organisation de nouvelles élections, après le départ forcé d’Evo Morales, qui a dénoncé un coup d’État. Mais la police et l’armée ont réprimé férocement les manifestations de ses partisans, provoquant au moins 21 morts.

Un coup d’État en Bolivie ? Depuis le départ forcé de l’ancien président bolivien Evo Morales et son exil au Mexique lundi 11 novembre, la question n’a cessé de se poser, suscitant nombre de controverses. L’intéressé lui-même, depuis Mexico, a dénoncé, lors de sa première conférence de presse, « un coup d’État »« Pour moi, le coup d’État policier auquel se joignent des syndicalistes et des politiques de droite a commencé le 21 [octobre, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle – ndlr]. » 

Son numéro deux, tête pensante de l’expérience politique menée par Evo Morales, Álvaro García Linera, a parlé également d’un « coup d’État civique et policier »« Cela a commencé comme un coup d’État civil contre le gouvernement, les institutions et, à mi-chemin, c’est devenu un coup d’État policier et militaire »a-t-il dit au site espagnol ElDiario, jugeant qu’« il y a dû avoir beaucoup d’argent pour acheter les hauts responsables de la police et de l’armée ». Certains sites latino-américains ont évoqué le soutien des États-Unis à cette opération en se fondant sur des enregistrements audio de dirigeants de l’opposition.

Pour sa part, Luis Almagro, le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), l’organisation qui a relevé des fraudes lors du premier tour de l’élection présidentielle, a renvoyé la responsabilité de la situation aux erreurs d’Evo Morales et à sa volonté de s’accrocher au pouvoir, évoquant l’« auto-coup d’État » que l’ancien président aurait tenté. « Ce peuple qui a cru dans ses réformes sociales ne méritait pas d’être trompé de manière aussi honteuse », a lancé M. Almagro.

Des partisans de l’ancien président Morales durant des heurts avec la police, vendredi 15 novembre 2019, près de Cochabamba. © REUTERS/Danilo Balderrama

Mais est-il pertinent d’utiliser cette expression de « coup d’État » (« golpe » en espagnol) ? La Bolivie en a certes connu de nombreux depuis son indépendance en 1825. Mais Hugo José Suárez, docteur en sociologie de l’université catholique de Louvain (Belgique) et chercheur à l’Institut de recherches sociales de l’université nationale autonome du Mexique (Unam), interrogé par Mediapart, ne distingue dans ce qui s’est passé aucun des traits caractéristiques des coups d’État, notamment une rupture de l’ordre institutionnel par un secteur militaire ou des soldats descendant dans la rue pour arrêter les opposants. 

Comme le souligne le journaliste et historien Pablo Stefanoni (dans un texte traduit en français sur le site de Mediapart), « de fait, l’armée – dont aucune unité n’a pris part aux troubles – a été une des toutes dernières institutions et organisations à demander la démission d’Evo Morales, ce après la mythique Centrale ouvrière bolivienne (la COB, certes bien diminuée aujourd’hui) et plusieurs syndicats de mineurs ». L’armée avait d’ailleurs été bien traitée par Evo Morales depuis l’arrivée au pouvoir du premier président autochtone en 2006 (soldes et retraites améliorées, possibilité de bénéficier de contrats publics) et ne semblait plus vouloir participer à la vie politique du pays.

Si analystes et journalistes continuent malgré tout à s’interroger (lire ici un article intéressant du New York Times) – le politiste Yascha Mounk affirmant même, sans craindre le ridicule, qu’« il s’agit d’une des rares grandes victoires de la démocratie ces dernières années » –, ce débat sur la typologie est un piège, car il éclipse un certain nombre de sujets, le premier étant la violence de la répression de ces derniers jours envers les partisans de l’ancien président bolivien, à La Paz, Cochabamba et dans le Chapare, bastion d’Evo Morales et des « cocaleros », les producteurs de coca, alors que le nouveau gouvernement prétend mener une transition vers de nouvelles élections ouvertes à tous. La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) dénonce l’« utilisation disproportionnée de la force militaire et policière ». Le bilan, établi samedi par le Défenseur du peuple, une institution étatique, est de 21 morts, 23 selon la CIDH. 

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