Brésil : les machinations du Trump tropical

FILE PHOTO: Presidential candidate Jair Bolsonaro leaves an agribusiness fair in Esteio, Rio Grande do Sul state, Brazil August 29, 2018. REUTERS/Diego Vara/File photo - RC1E33C0D170

João Sette Whitaker Ferreira, 5 novembre 2018

En quelques jours, le président élu du Brésil collectionne déjà des épisodes alarmants qui font présager un futur très difficile. L’Argentine a déjà fait état de ses préoccupations au sujet des déclarations du futur ministre de l’économie, un milliardaire ayant fait fortune dans le monde de la bourse, dédaignant le Mercosul, bloc économique représentant 24% des exportations brésiliennes. La même chose pour les pays arabes, qui importent 5% des exportations brésiliennes, soit 11 milliards de dollars par an, et qui ont menacé le Brésil de représailles si Bolsonaro confirme, comme l’a fait Trump, de déménager l’ambassade brésilienne en Israel de Tel-Aviv vers Jerusalem. Israel ne représente que 0,14 de nos exportations, mais les rumeurs parlent d’accords pour l’utilisation de technologies du Mossad, mises à l’essai contre les Palestiniens, pour combattre le trafic de drogues dans les favelas de Rio. La Chine, quant à elle, a envoyé un communiqué par son ambassade, exprimant des préoccupations au sujet d’une visite programmée à Taiwan et l’importance qui lui est donnée par le nouveau président, alors que l’approche construite par Lula avec le géant asiatique fait qu ́il est aujourd’hui le partenaire commercial le plus important, représentant 26% des exportations brésiliennes.

La première déclaration du nouveau président a été destinée aux réseaux sociaux, l’arme de mensonges qui l’a emmené à la victoire, en attaquant les “gauchistes” et son adversaire, le PT. Quelques minutes après, à la télé, le nouveau président de l’État laïque du Brésil faisait sa prière en live, menée par un sénateur allié, qui en plus d’être accusé de corruption est aussi pasteur évangéliste, et dont les paroles étaient “oh Dieu, livre nous des maux du communisme”.

Sur ce début assez hétérodoxe, une constatation tout aussi préoccupante : les militaires (en fait, des “généraux en pyjama”, c’est à dire des militaires retraités qui regrettent le temps de la dictature et des tortures), représentent 60 % de l’équipe de transition, et le futur ministre de la défense, un général, a déjà censuré publiquement une interview de l’ancien ministre des affaires étrangères de Lula, le très respecté Celso Amorim, pour avoir défendu l’ex-président lors d’une interview à CNN. Le futur ministre, ex-chef des armées, a parlé d’antipatriotisme et de crime contre la nation, un vocabulaire bien au goût des partisans de la dictature. Le futur Ministre de l’Éducation, un général aussi, parle de transformer les écoles publiques selon le modèle des écoles militaires, et de remplacer le terme “dictature” par “mouvement civique de 1964” dans les cours d’histoire. Il sera quand même un ministre peut-être meilleur que celui indiqué auparavant pour le poste, un ex-acteur de films pornos, élu député avec un discours anticommuniste primaire, et qui prône la loi des “écoles sans parti”, que le Congrès devra voter dans quelques jours, selon laquelle les professeurs seront interdits de porter des messages “communistes ou socialistes” aux élèves. Répétant un geste déjà fait par Bolsonaro lui même durant la campagne, une députée élue dans l’État de Santa Catarina a lancé un appel pour que les élèves “filment et dénoncent” les professeurs ayant un discours “gauchiste”. Elle n’avait pas pensé que, sur le web, ses élèves publieraient des photos d’elle même donnant un cours avec des t-shirts de Bolsonaro.

Le futur ministre des Sciences, de la Technologie et de l’Enseignement Supérieur est le seul ancien cosmonaute brésilien (il est allé dans l’espace sur une Soyuz russe, avec une équipe de la Nasa), un type qui, il y a quelques semaines, gagnait sa vie en faisant des pubs à la télé pour des oreillers à la “technologie NASA”, et dont les relations avec les universités ou la science sont simplement inexistantes. Confondant peut-être son ministère avec celui de la Guerre, il a déjà déclaré qu´il ira “combattre les ennemis internes et externes”. Mais ce ne sera pas un problème s’il ne connait rien aux affaires universitaires, puisque le nouveau gouvernement à déjà indiqué son intention de privatiser les universités fédérales, dont le nombre avait doublé sous Lula. De la même manière, il aannoncé la suppression du Ministère des Droits Humains (ce n’est pas nécessaire dans un pays qui a plus de 60 000 morts violentes par an, (dont 50 % sont des jeunes noirs pauvres, entre 15 et 29 ans), et de celui de la Ville (alors que le pays compte un déficit de près de 6 millions de logements).

La liste  augmente chaque jour. Mais le plus scandaleux, sans doute, est la nouvelle qui a fait la une ces derniers jours. Le “juge” Moro, le persécuteur de Lula, a accepté sans hésiter le poste de super-ministre de la justice et des polices du nouveau gouvernement. Il aura le commandement de la “lutte contre la corruption” et le rôle de faire passer des lois comme celle qui permet l’incarcération avant la fin des recours juridiques, une méthode qu ́il a appliqué contre Lula alors qu’elle était inconstitutionnelle (ce que la cour suprême à fait semblant de ne pas voir). Au moins, les avocats de Lula auprès de organismes internationaux sont contents. Dans n’importe quel pays au monde, une telle situation serait suffisante pour mettre en doute, et même annuler, tout le procès – très défaillant car manquant de preuves – qui a mené Lula en prison.

Immédiatement, les actions très suspectes de Moro sont revenues à la mémoire: une autorisation pour diffuser dans les médias un enregistrement illégal d’une conversation téléphonique entre Dilma et Lula, qui a enflammé le pays au moment du faux impeachment de la présidente (action que la Cour Suprême a jugé illégale, mais le mal était fait). La mise en garde à vue, illégale aussi, de Lula au début de son procès, qui aida à le rendre impopulaire et à légitimer son incarcération plus tard, alors que Lula s’était rendu à toutes les convocations du juge.

En fait, il devient très clair que Moro a été la personne chargée d’écarter du chemin de Bolsonaro le seul adversaire qui l’aurait vraisemblablement battu dans les urnes. Mais le plus grave a été la déclaration du vice-président élu, un obscur général anticommuniste, qui a déclaré que Moro a été contacté par l’équipe de Bolsonaro DURANT la campagne, alors qu’il était encore en charge du procès de Lula. Et, plus incroyable, Moro a autorisé, deux jours avant le premier tour, la diffusion par les médias du contenu d’une délation, tenue depuis deux ans sous secret de justice, d’un ancien ministre de Lula, avec des accusations contre Lula et le PT. Une délation que le Ministère Public avait déjà classé sans suites du fait de ses inconsistances, et que, sans aucune raison, Moro a décidé de rendre publique la veille du vote, alors qu ́il s’était vraisemblablement déjà réuni avec Bolsonaro. Un acte délibéré de campagne électorale de la part du “juge” néofasciste ?

Toujours est-il que l’homme qui ne porte que des chemises noires, rappelant tristement les milices italiennes des débuts du fascisme, a déclaré que le financement illégal de campagne par des entreprises, pour payer une industrie de centaines de millions de fake news, qui certainement ont eu un rôle décisif dans la victoire de Bolsonaro, n’était pas selon lui un “acte de corruption électorale”, mais une simple “erreur technique de la campagne”.

Les personnes normales, comme vous et moi, seront peut-être soulagées de lire tout cela. Au moins, il est clair que le jugement de Lula a été politique, qu ́il souffre d’une incarcération politique et que les choses maintenant seront sûrement revues par la Cour Suprême. Mais non, ce qui se passe au Brésil, et qui devrait être observé attentivement par tout le monde, est justement qu’avec les nouvelles méthodes de campagne politique menées par les Cambridge Analytics et autres entreprises d’espionnage digital, la limite de ce que l’on peut ou l’on ne peut pas faire, d’un point de vue légal, étique ou moral, à été cassée. Et que l’extrême-droite à découvert que les institutions ne sont pas capables de lui faire face, préférant faire semblant que rien ne se passe. Une fois que cette limite à été rompue, plus rien n’a de sens. Et tout est possible,

 

 

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