par YORGOS MITRALIAS
Une fois de plus, le silence assourdissant des médias sur la Catalogne ne signifie absolument pas qu’il ne s’y passe rien qui mérite attention. En réalité, c’est même le contraire. Par exemple, la répression vient d’atteindre des dimensions historiques et en dépassant tout précédant « en temps de paix » dans un « État démocratique » européen, elle bouscule les certitudes, nous fait entrer dans une nouvelle ère (cauchemardesque) et est en train de créer une situation tout à fait inédite dans toute l’Europe. Une situation qui – logiquement – aurait dû pousser les démocrates et autres gens de gauche à se révolter pour prévenir la catastrophe qui se dessine à l’horizon. Et voici donc très brièvement de quoi il s’agit… en plein milieu de campagne électorale et moins de trois semaines avant les élections qui décideront du sort de la Catalogne.
Tiré de Europe solidaire sans frontière.
Le bilan bien que provisoire est éloquent : 700 maires poursuivis, la moitié du gouvernement catalan (très démocratiquement élu) en prison et l’autre moitié en exil , le Parlement Catalan dissout, 1066 citoyens blessés victimes de la violence policière, et 200 sites web bloqués. Et aussi, menaces de poursuites contre ceux qui oseraient appeler « ministres » et « détenus politiques » les ministres emprisonnées ! De plus, poursuites et mise en accusation pour… « incitation à la haine » contre les citoyens victimes de la répression qui osent dénoncer les violences subies ! Et aussi, préparation des poursuites contre les citoyens qui protestent les nuits en frappant leurs casseroles puisque les autorités judiciaires qualifient cet acte d’ « incitation à la violence » ! Et enfin, interdiction, accompagnée de menaces de poursuites contre les contrevenants, … de la couleur jaune (!) , emblématique du mouvement pour la libération des détenus politiques, de tout lieu public y compris des… eaux des fontaines du centre de Barcelone !
« Évidemment », quand nos bons médias européens ne considèrent pas que ces faits constituent des « nouvelles » et refusent même de les mentionner, il n’est pas surprenant que ces mêmes médias s’en foutent éperdument des événements en cours aux tréfonds de la société catalane. Et pourtant, comme on va le voir par la suite, ces événements sont d’une importance capitale et pourraient influencer le cours de l’histoire même au-delà de l’État espagnol…
Le plus prometteur de ces événements est sans doute l’apparition des Comités de Défense de la République (CDR) qui connaissent un développement spectaculaire, couvrant déjà toute la Catalogne, tandis qu’en même temps ils émergent comme protagonistes de la résistance au régime de Madrid et apparaissent comme ébauche d’un autre pouvoir, qualitativement diffèrent, de ceux d’en bas ! Ce n’est pas donc un hasard si les CDR enthousiasment les uns et font peur aux autres tandis que presque toute la presse de Madrid les appelle… « soviets catalans » et encourage les autorités à les réprimer « avant qu’il ne soit trop tard ».
Les CDR ne sont ni une invention ni un faire-valoir d’un parti ou d’une organisation. Ils sont les produits directs de la radicalisation de la société catalane et ont fait leur première apparition peu avant le referendum du 1er octobre 2017 quand il était déjà clair que les autorités de Madrid avaient décidé de tout faire pour empêcher son déroulement. Tout à fait spontanément, des centaines de citoyens, d’habitude des voisins, ont alors commencé à préparer la défense des bureaux électoraux et des urnes en constituant des groupes de défense démocratique et de résistance non violente. C’était les premiers Comités de Défense du Referendum et bien que leur nombre ne dépassait pas les quelques dizaines, leur importance a été déterminante puisqu’ils ont constitué l’épine dorsale de la mobilisation des dizaines de milliers de citoyens, ce qui a rendu possible le déroulement du referendum malgré l’extraordinaire violence policière !
Deux semaines plus tard, à leur première rencontre nationale à Sabadell, les CDR étaient déjà presque une centaine. Et maintenant, ils dépassent les 300 ! Entre temps, les initiales des CDR sont restés les mêmes mais le R ne signifie plus “REFERENDUM” mais ‘REPUBLICA”. Désormais, les CDR s’étaient transformés en “Comités de Défense de la République”. Et il était évident qu’un développement si rapide et si impétueux indiquait qu’ on était devant un rare phénomène d’auto organisation populaire puisque les CDR avaient déjà eu l’occasion de démontrer leurs capacités et leur utilité.
Cette occasion leur a été offerte durant la grève générale du 8 Novembre 2017 quand les CDR ont mobilisé des dizaines de milliers de citoyens lesquels ont réussi à paralyser la Catalogne et ses villes en bloquant tous les grands axes routiers, les autoroutes, les avenues ainsi que les grandes lignes ferroviaires et les principales gares ! La démonstration de force des CDR était si impressionnante que la presse catalane et espagnole n’a pas omis de souligner qu’à coté ou même face aux partis et aux organisations indépendantistes existait désormais et se développait rapidement un autre pôle de résistance populaire ayant une structure, une composition sociale et un programme bien distincts et bien à lui .
Les CDR ne cachent pas que leur « République Catalane » n’est pas celle prêchée par le gouvernement Puigdemont. Tandis qu’ils participent et même prennent la tête des mobilisations pour la libération des détenus politiques en collaborant sans problème avec les partis et les organisations traditionnelles du pays, ils n’arrêtent pas de déclarer que la République Catalane « doit être celle de ceux d’en bas et non de ceux d’en haut » , et ce pour cela que « nous devons continuer à descendre dans la rue car sans nous il n’y a pas de République » .
Assembléistes, décentralisés et ouverts à tous et à toutes, les CDR ont deux références principales : D’un côté, les lointains CDR – Comités de Défense de la Révolution de 1936 , à la forte sensibilité libertaire, et de l’autre, le très contemporain exemple des combattants de Rojava, au Kurdistan Syrien ! Ce n’est donc pas un hasard que le mouvement catalan de solidarité à la lutte des défenseurs de Rojava et son programme ont été dès le début au centre des débats qui ont conduit à la création des CDR…
Nous clôturons cette première présentation du « phénomène » des Comités catalans de Défense de la République avec une dernière – et très significative – nouvelle : La création du CDR de Barca , à laquelle s’empressent déjà d’annoncer leur adhésion la plupart des clubs de ses supporters , des clubs qui -ne l’oublions pas- comptent plusieurs dizaines de milliers de membres. Critiquant durement l’actuelle direction de Barca pour ses « hésitations » et ses compromissions, ce premier CDR de ses supporters se réfère au passé antidictatorial du club et souligne sa totale opposition à la marchandisation du sport « qui lui enlève son âme sportive et sociale ». En même temps, il déclare son « engagement dans la lutte pour la démocratie, la liberté et la justice sociale ». Selon la presse catalane, la première manifestation du CDR de Barca qui a traversé Barcelone avant d’aboutir au Camp Nou le samedi 2 décembre 2017, a rassemblé beaucoup de monde et a été décrite comme « une démonstration de force » très réussie…
Bien que provisoire, notre conclusion est catégorique : l’apparition et le développement impétueux des « Comités de Défense de la République » catalans transforment drastiquement la donne du problème puisque aux deux pouvoirs catalans rivaux et antagoniques, celui du gouvernement Puigdemont « interdit » et l’autre « légal » bien qu’imposé de l’extérieur et illégitime des Gauleiters de Madrid, tend à s’ajouter maintenant un troisième en formation et à l’état encore embryonnaire : Celui des CDR des citoyens auto-organisés qui ambitionnent de tout chambarder !…
Yorgos Mitralias : Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.