À la suite d’un recomptage des votes très serré lors des élections du mois dernier en Équateur, deux candidats iront au deuxième tour, soit Guillermo Lasso (Mouvement CREO), un ancien banquier identifié à la droite et au monde des affaires, et Andrés Arauz de l’Union pour l’espérance, qui attend continuer dans la voie de Raphaël Correa, qui a dominé l’équateur jusqu’à 2016. À la surprise générale, le suspense est resté jusqu’à la fin puisque le troisième candidat Jaku Perez représentant le parti Pachakutik (le bras politique de la Confédération des nationalités autochtones) est arrivé à quelques milliers de votes de Lasso.
Comment comprendre ce qui s’est passé ?
Le précédent président, Lenin Morena s’était largement discrédité. De grandes manifestations en 2019 ont mis en question sa gestion néolibérale suivant les prescriptions du FMI. Contre ce projet et les élites traditionnelles, les gens sont allés vers la gauche, vers les deux gauches en fait, celle d’Arauz et celle de Perez (ensemble, ils ont obtenu plus de 50 % des voix). Pour autant, un virage à gauche ne sera pas facile. L’héritage néolibéral du gouvernement précédent sera difficile à surmonter, d’autant plus que la crise du coronavirus frappe très fort et que la situation économique se détériore (notamment à cause de la chute des prix internationaux du pétrole.
Aujourd’hui, les deux gauches sont séparées sur plusieurs grandes questions. Perez s’appuie sur les résistances démontrant le pouvoir d’organisation et mobilisation des organisations autochtones, en particulier des femmes, ainsi que sur le mécontentement de la jeunesse contre le système politique et modèle économique extractiviste et écologiquement prédateur. Les régions où Yaku Perez a prédominé sont des régions qui ont été fortement touchées par l’extractivisme minier. Arauz reste le premier candidat des couches populaires urbaines.
En réalité, les élections ont rendu visible une profonde fracture entre le mouvement autochtone et la gauche traditionnelle. Cette fracture n’est pas seulement identitaire ni de nature purement tactique. Elle repose sur une redéfinition des valeurs républicaines autour des revendications autochtones et territoriales. La question qui se pose est à savoir si le mouvement autochtone sera en mesure de proposer un programme intégrateur capable d’intégrer d’autres revendications et acteurs sociaux.
Pourra-t-il réconcilier le développement territorial et économique du pays ? Pourra-t-il articuler un programme qui permet de protéger l’eau et de l’environnement tout en consolidant un modèle de démocratie locale et d’autonomie territoriale, en rupture avec le centralisme et le présidentialisme du système politique équatorien ? Il n’est pas clair si la proposition de Yaku Pérez est en mesure de faire face à ces grands défis.
Un nouveau virage à gauche en Amérique latine
Enfin, il faut prendre en compte les éléments régionaux. Les élections en Équateur pourraient marquer un nouveau virage à gauche en Amérique latine, amorcé par l’élection d’Arce en Bolivie et de Fernández en Argentine, la mise en place de l’assemblée constituante au Chili et le gouvernement de López Obrador au Mexique. Ce nouveau virage, suivant la vague dite rose il y a deux décennies, devra se questionner sur les erreurs commises dans le passé, notamment par rapport au projet de démocratie dans une perspective territoriale et l’inclusion des préoccupations des jeunes, des femmes et de l’environnement dans le programme politique régional.
Aujourd’hui, la victoire de la gauche dépend des négociations entre les protagonistes. Jusqu’où iront les concessions tant de la part de Araux que de Perez dans un contexte post-pandémique alors que ce qui est remis en question est le modèle même sur lequel est construit le système économique et politique du pays ?