Yorgos Mitralias, La gauche anticapitaliste, 06/02/2020
Maintenant que même les plus sceptiques et incrédules, semblent commencer à prendre -enfin- conscience que Bernie Sanders est un candidat très sérieux à la présidence des États-Unis, il est plus que temps qu’on se penche un peu sur ce qui fait que le contenu de sa candidature soit inédit, historique et révolutionnaire, au sens propre du terme. En somme, sur ce qui fait que ses adversaires de tout bord, de Trump à l’establishment Démocrate et aux grands capitalistes qui gouvernent le monde, aient si peur de ce Bernie qui monte en flèche et fassent tout leur possible pour le “neutraliser”…
Alors, de quoi tout ce beau monde a-t-il peur ? La réponse n’est pas trop difficile : Il a surtout peur non pas du programme de Bernie Sanders mais de l’énorme mouvement populaire que ce même Bernie a lancé en novembre 2018 et qui est toujours en train de se construire! Un mouvement populaire qui n’a pas de précédent dans l’histoire des États-Unis ni par ses dimensions ni par sa radicalité et la détermination de ses jeunes militants et militantes d’en découdre avec ce système et ses représentants politiques!
Comme l’a dit récemment si bien Noam Chomsky :
“Encore plus menaçant que les propositions de Sanders de mener à bien des politiques du genre New Deal, je crois que c’est qu’il inspire un mouvement populaire engagé résolument dans l’action politique et l’activisme direct afin de changer l’ordre social – un mouvement du peuple, surtout des jeunes, qui n’ont pas encore intériorisé les normes de la démocratie libérale: Que les gens sont des “étrangers ignorants et importuns” qui doivent être des “spectateurs, pas des participants agissants”, autorisés à pousser un levier chaque quatre ans mais à retourner juste après devant leur écran de télévision et leurs jeux vidéo tandis que les “gens responsables” s’occupent des choses sérieuses”.(1)
Et force est de constater que la raison profonde de la peur ou même de la terreur qu’inspirent à ceux d’en haut ces millions de jeunes activistes, est qu’ils et elles transforment en force bien matérielle les idées dites “dangereuses”, et ce faisant, imposent un nouveau rapport de forces au niveau tant social que politique! Ce qui a plusieurs conséquences dont celle d’assurer la continuité du mouvement populaire de masse et de rendre moins efficaces sinon inopérantes les politiques de répression ainsi que la propagande du pouvoir. Pourquoi? Mais, parce qu’il suffit une balle pour éliminer une personne -comme par exemple Bernie Sanders- quand elle devient trop dangereuse, mais il faut bien plus pour battre et éliminer un mouvement populaire radicale et de masse qui veut “changer la vie et le monde”…
Évidemment, loin de nous l’idée de sous-estimer l’importance (capitale) du programme de Bernie Sanders, car c’est ce programme -ainsi que son exemple personnel- qui ont inspiré et mobilisé ces millions de jeunes et de moins jeunes. En effet, les propositions, les positionnements et les revendications qui sont contenus dans ce programme couvrent tous les domaines de l’activité humaine, proposent des réponses et des solutions aux graves problèmes existentiels qu’affronte tant la société nord-américaine que l’humanité, tout en faisant le pont entre la satisfaction des besoins immédiats de la grande majorité de la population et la vision d’un monde radicalement différent.
Alors, s’agit-il d’un programme “révolutionnaire” ou d’un ensemble de revendications et des mesures “bourgeoises” qui feraient de Bernie Sanders un politicien pratiquement “comme les autres”? A première vue, aucune des mesures et politiques phares du programme de Bernie Sanders, comme p.ex. “assurance santé pour tous”, “enseignement gratuit pour tous” ou même abolition des prisons privées et annulation totale de la dette étudiante, ne peut être qualifiée de “révolutionnaire”. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles sont -à juste titre- présentées par Bernie lui-même comme inspirées du précédent historique du New Deal rooseveltien dont il se revendique ouvertement. Mais, qu’est-ce qu’il y avait de « révolutionnaire » au mot d’ordre “Pain, Paix et Terre” des Bolcheviks qui a enflammé la population russe et permis qu’elle soit suffisamment motivée pour faire une révolution comme celle d’Octobre 1917 ? En somme, ce qui fait qu’une revendication devienne révolutionnaire ce n’est pas tant ses qualités intrinsèques mais plutôt la dynamique sociale et politique qu’elle libère et développe dans un contexte et un moment historique donnés. Et force est de constater que le programme de revendications transitoires de Bernie Sanders est actuellement en train de développer une telle dynamique subversive…(2)
La preuve ? Mais, elle est offerte par les réactions des uns et des autres. C’est à dire de ceux d’en bas et de ceux d’en haut qui l’interprètent, chaque camp à sa façon et selon ses intérêts, comme une claire incitation à la révolte contre le système et ses principales forces économiques et politiques. Pour ceux d’en bas (salariéEs, minorités, femmes, indigènes, migrants et victimes de toute oppression), ce programme est déjà devenu une source d’inspiration, une arme de combat et aussi un drapeau qu’on brandit haut et fort. Et en tant que tel il a déjà fait ses preuves avec un succès sans précédent. Mais, pour les autres, c’est a dire ceux d’en haut (Trump, l’establishment Démocrate, les grands médias et surtout les grands intérêts capitalistes) c’est tout simplement la pire des menaces existentielles ou plutôt « le pire cauchemar » comme aime le répéter publiquement Bernie lui-même. Alors, il arrive ce qui devait arriver : Ceux d’en haut déclarent une guerre sans merci à Bernie et au mouvement populaire qui le soutient. C’est logique et ça ne pouvait pas être autrement du moment que Bernie et ses amiEs, les jeunes députées et sénatrices Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Rashida Tlaib et Pramila Jayapal en tête, osent attaquer nommément et publiquement les ennemis (capitalistes) dont ils promettent la fin prochaine. Et cette guerre est -déjà- impitoyable : Tous les coups sont permis jour après jour (3), jusqu’à ce que Bernie soit définitivement « neutralisé » et son mouvement battu en brèche. Tous les coups, même les plus extrêmes et les plus répugnants et barbares car l’enjeu de cet affrontement de classe à mort est d’une taille plus qu’énorme et de dimensions historiques…