Haïti : l’opposition à la recherche d’elle-même

Lemone Bonneau, Le Nouvelliste, 10 juillet 2019

D’octobre 2018 à juillet 2019, l’opposition a lancé trois grandes opérations de manifestations de rue et de grève générale pour contraindre Jovenel Moïse à quitter le pouvoir. Ces mouvements, les uns plus inquiétants que les autres, ont bouleversé le pays et rendu le climat politique instable. En dépit du mécontentement de plusieurs secteurs de la vie nationale concernant la mauvaise gouvernance du pays et la dégradation accélérée des conditions de vie des différentes couches de la population, Jovenel Moïse reste attaché à son poste. Dans l’hisoire récente d’Haïti, aucun président élu n’a abandonné le pouvoir à la suite de manifestations de rue ou de grève générale. En Algérie, récemment, et dans d’autres pays, des manifestations rassemblant de fortes proportions de la population ont pu conduire à la démission de chefs d’Etat. En Haïti, rien ne laisse prévoir que l’opposition puisse obtenir gain de cause en intensifiant les manifestations de rue contre Jovenel Moïse. S’il en est ainsi, l’opposition politique va-t-elle chercher d’autres moyens de lutte si elle veut poursuivre son combat contre l’équipe au pouvoir ?

L’échec de l’opération «Amagedon» lancée le week-end dernier par l’opposition devrait permettre à Jovenel Moïse de se refaire une santé, à la suite de ces turbulences depuis la publication du second rapport de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif sur le fonds PetroCaribe. Cependant, comment va-t-il pouvoir trouver un Premier ministre qui pourra calmer l’ardeur des parlementaires irréductibles au Sénat et à la Chambre des députés,  donner une certaine garantie à l’opposition radicale qui ne jure que par sa démission, faciliter la reprise effective des activités sur les routes nationales et neutraliser les gangs disséminés dans la zone métropolitaine et dans le département de l’Artibonite ? En dépit du fait que l’opposition ne peut pas pour l’instant mobiliser la foule pour des manifestations de rue, sa capacité de peser sur la vie des Haïtiens demeure réelle un peu partout à travers le pays. Dans un sens comme dans l’autre, il ne sera pas facile pour le chef de l’Etat de trouver un consensus avec  les forces politiques de l’opposition. Qui pourra relever ce défi ?  Une mission internationale, un groupe de la société civile ou un groupe de parlementaires ?

Dans les milieux politiques haïtiens, particulièrement au sein de l’opposition, on critiquait le gouvernement américain, en février dernier lors du mouvement  « peyi lòk » de n’avoir pas facilité le départ  pour l’exil de Jovenel Moïse, dépassé par les événements, alors qu’il avait contraint Jean-Bertrand Aristide en février 2004 à prendre le chemin de l’exil. Deux poids, deux mesures, estiment certains analystes. Depuis la dissolution des Forces armées d’Haïti en février  1995, les hommes politiques haïtiens, qu’ils soient de droite ou de gauche, quand ils sont au pouvoir, cherchent la bénédiction de l’ambassade américaine pour neutraliser l’opposition. Quand ils sont dans l’opposition, ils sollicitent le soutien de cette ambassade pour forcer un président à prendre le chemin de l’exil.

Dans l’imaginaire collectif haïtien, l’ingérence américaine dans la politique haïtienne est perçue comme une entrave au bon fonctionnement du pays. Toutefois, la présence américaine est constante dans les compartiments de la société. L’homme politique haïtien d’hier et d’aujourd’hui est-il vraiment favorable au désengagement de l’ambassade américaine dans la vie politique haïtienne ?

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