Massimo Civitani, Révolution permanente, 4 avril 2020
Un pays dévasté par la pandémie. C’est la situation, aujourd’hui, de l’Italie. Pour mieux comprendre la situation, nous avons interviewé Massimo Civitani, membre de la rédaction du journal marxiste en ligne La Voce delle Lotte et militant du syndicat de base SiCobas.
Révolution Permanente : L’Italie est l’un des principaux foyers de contamination en Europe, et a été l’un des premiers dans le monde. Aujourd’hui, où en sommes-nous au niveau du bilan sanitaire ? Et quelle a été la réponse du gouvernement en termes de mesures pour répondre à cette catastrophe ?
Massimo Civitani : En Italie le bilan au 4 avril de la protection civile parle de chiffres dramatiques et parfaitement hallucinants. Plus de 120.000 contaminés, et de 15.000 morts : des chiffres démentiels, dus aux carences du service de santé publique et aux carences des ressources.
En réponse à une crise de cette ampleur, l’État et le gouvernement ont acté une série de mesures restrictives des libertés personnelles et des libertés de grève dans certains secteurs. Le problème c’est qu’au bout du compte, toutes ces mesures se sont révélées inefficaces parce que la courbe des personnes contaminées ne diminue pas, la rapidité de la propagation du virus est toujours la même, en tout cas pour cette semaine.
Pendant que le gouvernement et l’État mettent des amendes et des sanctions à ceux qui sortent de la maison pour se promener ou faire un footing, des millions de travailleurs continuent à être forcés à travailler dans les entreprises, les usines et les entrepôts de logistique, même s’ils ne produisent ou ne transportent pas quelque chose d’essentiel, augmentant ainsi les contaminations, le nombre des personnes hospitalisées et, malheureusement, les décès.
Dans les prisons, les secteurs industriels de la métallurgie, du textile, de la chimie, de la logistique et de la grande distribution, on a pu voir des réactions aux diverses mesures du gouvernement. Quelle a été la réponse des travailleurs à ces mesures ? Après des années d’offensive et de démobilisation, pouvons-nous dire qu’il s’agit des symptômes d’un retour de la classe ouvrière en Italie ?
MC : C’est depuis le début de la crise sanitaire que la classe ouvrière s’est – de manière souvent inattendue – mobilisée pour se défendre elle-même, pendant que les syndicats patronaux continuaient de faire de la propagande sur le fait que l’économie devait continuer à tourner, et en disant que le Covid-19 ne devait pas affecter la production et la distribution des marchandises, donc en fait ne pas toucher les profits des grandes entreprises.
Les ouvriers en particulier dans le Nord de l’Italie se sont mobilisés. Il y a eu, il y a deux semaines, des grèves spontanées qui ont impliqué des centaines d’usines de métallurgie en particulier des aciéries mais aussi des usines du secteur automobile, comme FCA (FIAT Chrysler Automobiles) par exemple avec, le 25 mars, un mouvement plus important et généralisé, en Lombardie et la région de Rome.
En ce qui concerne la logistique et le transport des marchandises il y a un discours différent à faire : des dizaines de milliers des travailleurs de ce secteur sont habitués désormais depuis une dizaine d’années à un conflit très radical sur leur lieu de travail. Ainsi depuis deux semaines dans plusieurs entreprises de la logistique, en particulier là où la présence des syndicats de base Si Cobas et ADL Cobas est forte, on assiste à des mouvements massifs chez les travailleurs qui font valoir leur droite de retrait. C’est assez historique, et ils exigent le paiement de l’intégralité du salaire pendant le chômage partiel ainsi que la fermeture de toutes les activités non essentielles.
Le virus révèle plus que jamais les contradictions du système capitaliste : peut-on dire que le gouvernement est sous pression ? Du coté des patrons, que montre le rôle de l’État en leur direction ?
MC : Le gouvernement italien est en train de subir en ce contexte une pression incroyable, une pression due à la colère sociale et à la tension qui s’est créée parmi des millions de travailleurs et au sein des secteurs les plus précaires des classes populaires.
Ceux-ci comprennent très bien que le prix qu’ils sont en train de payer pour cette crise sanitaire et cette contagion est un prix exorbitant et qu’il aurait pu être plus léger si l’État était intervenu à temps. Mais c’est là que le bât blesse : l’État n’est pas intervenu à temps puisqu’il était trop occupé à défendre les profits d’entreprises qui pouvaient et devaient être fermées au début de la croissance exponentielle de l’épidémie.
Les patrons ont, pendant plusieurs semaines, de manière criminelle, fait pression pour continuer de faire tourner toutes les activités pour rassurer la population et ils ont défendu leurs propres privilèges, leur propre droit à faire des profits, plutôt que de défendre la santé publique. Et tout cela c’est le nœud central [de toutes ces contradictions] qui est mis aujourd’hui en évidence de manière éclatante.
Enfin, d’une situation sanitaire très dure et très violente en Italie, avec la perspective d’une crise économique mondiale, pour toi quelles seront les conséquences et le prix à payer pour les travailleurs et les classes populaires ? Quelles revendications suivre dans ce contexte de guerre contre le virus ? Quels enseignements de la situation à l’italienne pouvons-nous tirer pour les travailleurs du monde entier ?
MC : En Italie comme dans le reste du monde, il est évident qu’après la crise sanitaire, il y aura une crise économique très profonde qui portera avec elle chômage de masse, un appauvrissement généralisé, probablement une aggravation des conditions de travail pour des dizaines de millions de travailleurs.
Si la classe ouvrière italienne nous enseigne quelque chose, ainsi que la situation italienne actuelle, c’est qu’il n’y aura aucun État, aucun gouvernement qui défendra les travailleurs et les travailleuses s’ils ne se défendent pas eux-mêmes.
Aucun État et gouvernement bourgeois ne mettra les intérêts de l’ensemble de la population au-dessus des intérêts privés de la bourgeoisie, des grandes multinationales, des grands industriels. Donc il est évident que si la classe ouvrière veut répondre elle devra répondre en se dotant d’un programme politique indépendant des partis bourgeois ; un programme basé sur les nécessités de la grande majorité de la population contre les patrons et les industriels, un programme qui parte d’un salaire garanti pour tous, en particulier dans le scénario de chômage de masse qui verra le jour et que l’on voit déjà apparaître en Italie, après la fermeture de nombreuses petites et moyennes entreprises. Un salaire garanti qui permette à tous de vivre décemment, et des investissements massifs de ressources réelles pour les services publics essentiels qui ont été détruits, à commencer par la santé publique qui a été attaquée systématiquement au cours des vingt dernières années par tous les gouvernements, et qui aujourd’hui montre son insuffisance face à une crise d’une telle ampleur.
Évidemment toutes ces mesures d’urgence devront être payées par ceux qui n’ont justement pas du tout payé la crise jusqu’à maintenant et qui ont même carrément fait des profits là-dessus ; c’est-à-dire les grands patrons et les banquiers. Les grandes fortunes devront être taxées de manière agressive, pour pouvoir disposer des ressources à la hauteur des besoins.
Toutes ces mesures devront être mises sous contrôle de la classe ouvrière, comme les mesures de sécurité, à l’intérieur des entreprises, devront être mises sous contrôle ouvrier, comme aussi toute l’économie essentielle devra être mise sous contrôle ouvrier.
Il est évident qu’il n’y a pas d’autre réponse, ou de réponse simple à une catastrophe sanitaire de ce genre, simplement il faudra le faire, pour le bien de tous.