L’année qui commence : qui sera le prochain ennemi ?

Serge Halimi, Le Monde diplomatique, janvier 2021

 

La carte de vœux de M. Anders Fogh Rasmussen n’a pas attendu la Saint-Sylvestre. L’ancien secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a résumé ainsi la mission que celle-ci devrait remplir, selon lui, sitôt que M. Donald Trump aura quitté la Maison Blanche : « En 2021, les États-Unis et leurs alliés auront une occasion qui ne se présente qu’une fois par génération. Celle d’inverser le repli global des démocraties face aux autocraties comme la Russie et la Chine. Mais il faudra pour cela que les démocraties principales s’unissent (1). » Ce qu’ont fait nombre d’entre elles, il y a une génération, justement, en envahissant l’Afghanistan, puis l’Irak. Il est donc temps de s’attaquer à des adversaires plus puissants…

Mais par lequel commencer ? Puisque Washington entend assurer le « leadership » de la croisade démocratique — « L’Amérique est de retour, prête à diriger le monde », a proclamé M. Joseph Biden le 24 novembre 2020 —, les pays satellites feraient bien de comprendre que les Américains ne s’accordent plus sur l’identité de leur adversaire principal. Leurs raisons ont peu à voir avec la géopolitique mondiale, et tout avec leurs déchirements internes. Pour les démocrates, l’ennemi est d’abord russe, puisque, depuis quatre ans, les dirigeants de ce parti ont répété, à l’instar de Mme Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, qu’« avec Trump tous les chemins mènent à Poutine ». Côté républicain, dans le registre d’« un prêté pour un rendu » qui évoque les bousculades d’école maternelle, le slogan « Beijing Biden » tient lieu de réplique. Car le second fils du nouveau président, M. Hunter Biden, a fait des affaires en Chine ; et la mondialisation, imputée aux démocrates, a fait les affaires de la Chine. CQFD.

Le 10 décembre dernier, le secrétaire d’État Michael Pompeo s’est donc appliqué à creuser le fossé existant entre les deux pays. Invoquant, sans rire, son souci du respect de la vie privée, celui qui fut aussi directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) a d’abord alerté le monde : « Xi Jinping a l’œil sur chacun d’entre nous. » Puis il s’est attaqué tour à tour aux 400 000 étudiants chinois envoyés aux États-Unis chaque année, dont une partie viendrait voler des secrets industriels et scientifiques ; aux universités américaines elles-mêmes, « très nombreuses à avoir été achetées par Pékin » ; enfin, aux produits de la société Huawei, dont chaque utilisateur se placerait « entre les mains de l’appareil de sécurité chinois » (2). Voilà le refrain que les républicains vont opposer à M. Biden. Il relaiera les quatre ans de paranoïa antirusse alimentée par les démocrates contre M. Trump. Mer de Chine, Taïwan, sort des Ouïgours, Hongkong : tout sera prétexte à tester la détermination antichinoise de la nouvelle administration.

  1. Rasmussen a vu clair au moins sur un point : «Une file d’alliés inquiets attendent le président élu Joe Biden devant sa porte. » Mais, en demeurant dans une alliance que dirige une puissance mentalement ébranlée, ils ne vont pas recouvrer de sitôt leur tranquillité.