Sergio Ferrari, ALAI, 1er février 2021
Le dernier dimanche de janvier a été le point culminant d’un véritable marathon de neuf jours, avec près de 800 activités proposées par 1’300 organisations qui ont animé le Forum social mondial (FSM) virtuel 2021. Près de 10’000 personnes de 144 pays ont participé à cette édition. La prochaine étape sera le FSM qui se tiendra au Mexique en 2022, si la pandémie le permet.
« Ce que nous venons de vivre est un maillon de cette chaîne de 20 ans du Forum Social Mondial, une étape de confirmation et de renforcement », explique Rita Freire, journaliste et communicatrice, responsable de Ciranda.net – plateforme d’information sur l’altermondialisation créée en 2001 – et membre du groupe de facilitation qui a mis en place ce forum virtuel. Elle ne cache pas sa surprise et son enthousiasme, face à l’ampleur de ce rassemblement qui a dépassé toutes les prévisions, même les plus optimistes.
Point de départ et dilemme
Rita Freire revient en arrière et cherche un point de départ pour faire le bilan : c’est le Forum de résistance de Porto Alegre, en janvier 2020. « Nous avions fixé de grands défis. Nous sommes parvenus à un consensus sur le fait que, pour continuer, nous devions assurer un FSM réactivé, vigoureux, avec une réelle capacité de rassemblement et d’impact, ainsi qu’un engagement clair dans les luttes sociales », rappelle-t-elle.
La pandémie a forcé un changement de la feuille de route, mais pas des objectifs exigeants proposés. La grande question était de savoir si cette édition allait renforcer le FSM. La réponse aujourd’hui est positive : « Dès le premier jour, le 23 janvier, lorsque la marche virtuelle d’ouverture a eu lieu, nous avons réalisé que nous vivions quelque chose de vraiment incroyable. Avec d’échanges d’expériences, de vidéos, de réflexions de personnes venant des coins les plus reculés du monde, ainsi que de riches contributions de mouvements et d’organisations sociales, dans des langues que nous ne comprenions pas toujours ».
« Le virtuel peut être un allié des processus vivants, réels. Même s’il faut reconnaître que le digital n’est pas un support viable pour beaucoup de gens, surtout dans les pays qui n’ont pas les moyens de se connecter à l’Internet. Nous sommes confrontés à une deuxième contradiction, difficile à résoudre pour l’instant. Pour communiquer, nous utilisons des appareils, des téléphones portables dont les composants comprennent des matières premières provenant de pays comme la République démocratique du Congo, où ces ressources naturelles sont la cause de guerres et d’affrontements. Autre contradiction encore : pour l’instant, nous devons nous appuyer sur des médias monopolistiques, tels que Facebook, Zoom ou YouTube, sans disposer de nos propres outils libres, forts et souverains. »
« Nous pouvons utiliser le virtuel, sans oublier qu’il n’est pas nécessairement merveilleux ou juste et que, dans de nombreux cas, il reflète un privilège qui est le produit d’un système d’exploitation inacceptable », observe Rita Freire. Elle rappelle que la naissance même du forum en 2001, à Porto Alegre, a été réalisée grâce à l’appel lancé au monde via Internet. Et que, plus tard, les médias et les réseaux sociaux essentiels au mouvement altermondialiste ont commencé à être créés et renforcés.
Convergences pour contester le pouvoir
Rita Freire affirme que ce fut une bonne idée d’avoir organisé ce forum 2021 sur la base d’axes thématiques précis. Les activités ont nécessité « des dialogues préalables entre les organisations, des consensus et des convergences, ce qui a renforcé un exercice important pour les acteurs sociaux. Tout cela sans ignorer les différences et les éventuels conflits qui doivent être résolus dans l’interne. Durant des mois, ce forum s’est révélé un vaste processus participatif ».
« De nombreux débats de l’actuel FSM ont porté sur les alternatives d’une planète post-pandémique, tant sur le plan environnemental, économique et informationnel, que sur la construction et le renforcement de la démocratie, les luttes féministes, les migrations, les peuples indigènes et les minorités ethniques », a-t-elle déclaré.
L’essentiel est, précisément, de comprendre ce dialogue constant entre les acteurs sociaux, non seulement comme une simple rhétorique intellectuelle, mais dans la perspective « de renforcer les convergences, d’imaginer des actions et des mobilisations communes pour l’avenir, bref, de suggérer des propositions globales qui permettent de contester le pouvoir de ceux qui le détiennent », souligne-t-elle.
« De nombreuses propositions discutées au FSM renforcent cet espoir futur », ajoute Rita Freire. Elle énumère quelques exemples : les travailleurs de Google avancent dans l’idée de construire un syndicat mondial unique ; les communautés indigènes du Mexique développent des formes alternatives d’Internet ; les médias libres cherchent à se renforcer ; des organisations envisagent une grande campagne pour proscrire la pauvreté et anticipent des propositions concrètes au niveau national pour aller dans cette direction. Sans oublier également les débats sur le rôle des États dans des situations comme celle que nous connaissons actuellement, l’importance des services publics, le poids asphyxiant de la dette pour les pays du Sud etc.